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One Ocean Summit : « Des engagements forts qu’il va falloir surveiller », pour François Gabart

Le navigateur François Gabart a participé au Sommet de l’Océan à Brest. Il dresse son bilan après les annonces faites pour préserver l’avenir des océans.

Le 11/02/2022 par Florence Santrot
François Gabart
François Gabart à l'occasion du baptême trimaran SVR LAZARTIGUE. Photo : Guillaume Gatefait.
François Gabart à l'occasion du baptême trimaran SVR LAZARTIGUE. Photo : Guillaume Gatefait.

« Il y avait une dynamique très intéressante et des participants convaincus et engagés pour la sauvegarde des océans. Ces prochains mois, il va falloir surveiller les engagements forts pris aujourd’hui », a déclaré à WE DEMAIN le navigateur François Gabart au terme du dernier jour du One Ocean Summit qui se tenait à Brest les 9, 10 et 11 février 2022.

« Ce sommet a au moins le mérite d’exister et de mettre au premier plan les enjeux autour de l’océan et de discuter des solutions pour en assurer la préservation », a-t-il ajouter. Ce vendredi 11 février, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a annoncé la création d’une coalition comptant les 27 Etats membres de l’UE et 13 autres pays. Ces quarante États s’engagent à adopter des mesures communes afin de protéger la biodiversité en haute mer. Un premier pas qui sera sans doute confirmé par des engagements concrets lors du sommet de l’ONU sur les océans qui se tiendra à Lisbonne au Portugal en juin prochain.

WE DEMAIN : Qu’attendiez vous du One Ocean Summit qui vient de se clore à Brest ?

François Gabart : J’essayais justement de ne pas avoir trop d’attentes pour ne pas avoir trop de déceptions. Ce sommet a au moins le mérite d’exister et de mettre au premier plan les enjeux autour de l’océan (pollution des plastiques, surpêche, absence de régulation en haute mer, etc.) et de discuter des solutions pour en assurer la préservation. C’était l’occasion aussi de parler de sujets transversaux de l’océan avec les nombreux experts, politiques, ONG… présents lors de ce sommet. Ce sommet est l’occasion de prendre le temps de définir les enjeux et d’explorer les différentes solutions pour préserver les océans et renverser la tendance.

Quel bilan dressez-vous du One Ocean Summit ?

Les personnes présentes, à tous les niveaux, que ce soit les scientifiques, les experts, les ambassadeurs, les politiques… étaient toutes très convaincues et engagées. J’ai eu le sentiment d’une dynamique très intéressante, avec une vraie volonté de bien faire. Après, chacun a pris des engagements dans le périmètre de ses responsabilités. Ce sont des engagements forts. Maintenant, il va falloir surveiller qu’ils découlent bien sur des mesures concrètes.

Après, il y a des perspectives, comme la question de la haute mer, qui dépassent les instances présentes ici. Une coalition pour porter la juridiction de la haute mer se met en place. Elle va permettre dans les prochains mois, je l’espère en 2022, aboutir à des accords internationaux au niveau de l’ONU. Ce sont des problématiques mondiales donc il faudrait l’unanimité des pays sur ces sujets-là. C’est loin d’être évident mais la quarantaine de pays qui a pris position aujourd’hui est réellement engagée. Et en phase avec ce sujet.

Que retenez-vous des ateliers auxquels vous avez participés lors du sommet de l’Océan ?

Avec d’autres navigateurs, dans le cadre de nos course au large, nous avons évoqué la question des transports maritimes et avons eu des échanges très intéressants avec différents métiers très variés : scientifiques, plongeurs, pêcheurs, experts, etc. Cela a donné des points de vue très enrichissants.

Comment percez-vous la dégradation des océans à votre niveau ?

Il serait facile de dire que l’on observe d’année en année une évolution mais ce serait mentir. C’est peut-être cela le plus dangereux : la dégradation des océans se fait de manière assez invisible. Presque tout se passe sous la surface de la mer. Certes, on voit bien des plastiques flotter en pleine mer, parfois très loin au large, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg car l’immense majorité des plastiques se situe au fond des océans ou est invisible car ce sont des microplastiques. C’est pour cela que ce sommet était passionnant : il a permis d’entendre la voix des scientifiques qui mesurent ces effets de l’activité humaine sur la qualité de l’eau et l’impact sur la faune et flore marines.

Que pensez-vous de cette volonté de cartographier les fonds marins ? Cela aura un impact sur votre manière de naviguer ?

Je suis très curieux de voir cela car, à titre personnel, je ne connais que la surface. Pourtant, il y a un volume de vie absolument extraordinaire dans les océans, et sans doute très sous-estimer. J’espère qu’en cartographiant mieux nos fonds marins, nous pourront à la fois mieux comprendre certains mécanismes de la planète mais aussi réaliser à quel point les océans ont de l’importance pour la santé de notre planète.

Sur la question des énergies renouvelables liées à la mer, avez-vous une préférence pour une solution plutôt qu’une autre ?

Je ne suis pas un spécialiste des questions énergétiques mais je sais que, sur le bateau, quand je suis en pleine mer, on doit produire notre propre énergie et cela passe toujours par plusieurs solutions plutôt qu’une seule. C’est toujours une combinaison de solaire, éolien, etc. Il n’y a pas de solution miracle. A titre personnel, avec ma petite connaissance en la matière, je serais donc d’avis de multiplier et diversifier les sources d’énergie.

Surtout, il ne faut pas perdre de vue que la seule bonne énergie est celle que l’on ne consomme pas. On se doit d’être plus sobre en la matière. Par exemple, en termes de transports marins, cela peut passer par faire le choix d’aller moins vite et donc d’utiliser moins d’énergie. Je travaille dans ce sens avec ma société MerConcept. Cette écurie de course au large vise à la fois la performance mais aussi la durabilité. Et nous imaginons des concepts comme un catamaran électrique volant sans voile [grâce à des foils, des appendices latéraux qui permettent d’élever la coque au-dessus de l’eau en prenant de la vitesse, NDLR]. Le premier prototype sera mis à l’eau la semaine prochaine. Destiné à la plaisance, pouvant transporter une dizaine de personnes, il aura une autonomie de près de 200 kilomètres. Nous fondons beaucoup d’espoirs sur ce type de projets.

Le catamaran électrique à foils imaginé par MerConcept et François Gabart. Illustration : MerConcept.
Le catamaran électrique à foils imaginé par MerConcept et François Gabart. Illustration : MerConcept.

Concernant les transports maritimes décarbonés, encore très marginaux, c’est quelque chose auxquels vous croyez ?

J’y crois vraiment. En mer, mon bateau utilise le vent, les vagues et le courant pour se déplacer. Avec les fils, on arrive à voler au-dessus de l’eau depuis quelques années. Ces technologies doivent pouvoir être appliquées aux voiliers cargos. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, 90 % des biens consommés en Europe vont transiter à un moment ou un autre par l’océan. Le vent est clairement une solution pour des transports décarbonés. On l’a fait pendant des siècles même si aujourd’hui, c’est une solution qui n’existe qu’à petite échelle.

Il faut que cela se développe et ça passera par des passerelles que l’on pourra créer entre les innovations trouvées pour profiter au maximum de l’énergie du vent pour les courses au large et ces transports maritimes responsables. Tous les systèmes développés sur nos machines XXL peuvent servir d’inspiration. Comme par exemple les foils ou encore les ailes développées dans le cadre de la Coupe de l’America qui sont très intéressantes et déjà utilisées sur certains cargos. Le vol, grâce aux foils, a chamboulé le monde de la course à voile. Quand on vole, il y a moins de frottements avec l’eau donc on va plus vite. C’est une révolution extrêmement intéressante pour tout le monde. Il faut continuer à creuser ces pistes.

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