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Baisse historique des émissions : la Chine amorce un tournant décisif dans la lutte contre le CO₂

Au premier trimestre 2025, les émissions de CO₂ de la Chine ont chuté de 1,6 % par rapport à la même période en 2024, marquant une baisse de 1 % sur les douze derniers mois, rapporte le site britannique Carbon Brief. Cette diminution est attribuée à une croissance record des capacités de production d’énergie propre, notamment solaire, éolienne et nucléaire, qui ont permis de réduire la dépendance au charbon malgré une demande énergétique en hausse. “Pour la première fois, la croissance de la production d’électricité propre en Chine a entraîné une baisse des émissions de dioxyde de carbone (CO₂), malgré une forte hausse de la demande énergétique”, explique Carbon Brief.

Pour la première fois donc, la production combinée d’électricité solaire et éolienne a dépassé celle de l’hydroélectricité, avec une production totale de 951 TWh au premier trimestre 2025. Une production à base d’énergies renouvelables qui a bondi de… 19 % par rapport à l’année précédente ! Cette performance souligne un tournant majeur dans le mix énergétique chinois. Il faut souligner que l’électricité produite par les nouvelles capacités éoliennes, solaires et nucléaires a été suffisante pour faire baisser la production à base de charbon. Et, en parallèle, l’efficacité des centrales à charbon a légèrement progressé.

Les émissions de CO2 de la Chine ont diminué pour la première fois sur 12 mois grâce aux énergies propres. Légende du graphique : Émissions provenant des combustibles fossiles et du ciment, en MtCO2, cumuls sur 12 mois glissants. Crédit : Carbon Brief.

L’énergie propre, moteur du déclin des émissions en Chine

“Si cette tendance se poursuit, elle pourrait annoncer un déclin structurel des émissions du secteur énergétique chinois”, précise Lauri Myllyvirta, analyste senior au Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur et chercheur principal à l’Asia Society Policy Institute. Le secteur de l’énergie représente la principale source d’émissions du pays. Pourtant, entre janvier et mars 2025, la production thermique a baissé de 4,7 %, alors que la demande globale progressait de 2,5 %.

Cette prouesse s’explique par des ajouts massifs de capacités solaires et éoliennes : “23 GW de solaire et 13 GW d’éolien ont été ajoutés rien qu’en mars 2025, en hausse de 80 % et 110 % par rapport aux records précédents.” La Chine anticipe un pic d’installations d’ici fin 2025, porté par l’entrée en vigueur d’une nouvelle politique tarifaire pour les renouvelables.

Variation annuelle de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles et d’énergies propres, en térawattheures, total sur 12 mois glissants. La variation annuelle totale de la demande est indiquée par la ligne continue et la croissance annuelle moyenne par la ligne pointillée. Sources : China Electricity Council ; Ember ; ​​analyse pour Carbon Brief par Lauri Myllyvirta. Crédit : Carbon Brief.

Un modèle énergétique plus autonome et stratégique

Ce virage vers l’énergie propre n’est pas qu’une affaire de climat. Face aux tensions commerciales avec les États-Unis, la Chine tente de réorienter son modèle vers la consommation intérieure et la technologie domestique pour en faire les pierres angulaires de la croissance économique. Il y a quelques jours, le premier ministre chinois, Li Qiang, lors d’une réunion du Conseil des Affaires d’Etat, a souligné l’importance de tirer parti de la stabilité et de la croissance à long terme de l’économie nationale pour se prémunir contre les incertitudes mondiales, et de promouvoir la croissance régulière et à long terme ainsi que le développement de qualité du pays”, rapporte People’s Daily, le premier journal affilié du Parti communiste chinois.

Le développement du solaire, de l’éolien, du nucléaire et des technologies comme l’hydrogène vert ou les centrales virtuelles (des plateformes numériques pilotant à distance un réseau d’équipements de production et de stockage pour stabiliser le réseau) sont autant de leviers pour construire un système autonome. Une manœuvre qui réduit la dépendance aux hydrocarbures importés et pourrait renforcer le rapport de force face à Washington.

Le pic d’émissions est-il vraiment atteint en Chine ?

Même si les émissions ont baissé de 1 % sur douze mois, elles restent très proches du dernier pic. “Cela signifie que toute hausse conjoncturelle pourrait conduire à un nouveau record” d’émissions de CO₂, prévient Lauri Myllyvirta. Toutefois, le fait que cette baisse soit liée à l’énergie propre, et non à un choc économique, change la donne. La tendance globale va dans la bonne direction. Et elle y va particulièrement vite en Chine. La dynamique de décarbonation concerne aussi d’autres secteurs. Les émissions issues de la production de ciment ont chuté de 28 % depuis 2021. La consommation de produits pétroliers est orientée à la baisse depuis mars 2024, grâce à l’électrification des transports et à la conversion du fret au gaz naturel liquéfié (GNL).

Cependant, tout n’est pas rose. Les secteurs des métaux et de la chimie ont vu leurs émissions grimper de 3,5 % au premier trimestre, portés par un rebond de la demande et des prix favorables au charbon. Le secteur en plein essor de la conversion charbon-chemicals inquiète : il pourrait ralentir les progrès globaux. Autre point noir : la construction de centrales à charbon se poursuit, parfois en anticipation de pénuries énergétiques ou par stratégie politique locale. À noter que, aujourd’hui encore, la Chine est el champion des usines à charbon. Et elle continue à en construire. 311 nouvelles unités devraient voir le jour prochainement, principalement dans l’Est du pays, selon les données de Global Energy Monitor.

311 nouvelles usines à charbon sont en cours de construction en Chine. 202 autres permis de construire ont été émis. Et quelque 3230 sont en activité actuellement. Crédit : GlobalEnergyMonitor.org

Le poids du nouveau plan quinquennal chinois à venir

La trajectoire à long terme dépendra largement du 15e plan quinquennal (2026-2030), attendu d’ici un an. Il fixera les objectifs énergétiques et climatiques à l’horizon 2030, y compris les engagements sous l’accord de Paris. Aujourd’hui, la Chine est en retard sur sa promesse de réduire l’intensité carbone de son économie. “Si la Chine veut rester alignée avec sa promesse de 2030, une accélération significative de la baisse de l’intensité carbone sera nécessaire”, souligne Lauri Myllyvirta. Cela implique que le prochain plan inclue des objectifs ambitieux, compatibles avec un plafonnement dès 2025.

Fin juillet dernier, la Chine a annoncé que son quinzième plan serait l’occasion de “renforcer ses objectifs climatiques”. Contrairement aux plans précédents, qui mesuraient les émissions par unité de PIB, le pays entend désormais accorder plus d’importance aux volumes absolus de gaz à effet de serre. Cette évolution marque un tournant potentiel : jusqu’ici, la Chine considérait qu’elle progressait sur le plan environnemental tant que ses émissions n’augmentaient pas plus vite que la croissance.

Une compétition mondiale relancée par la décarbonation

Alors que les États-Unis, sous l’égide de Donald Trump, se replient sur eux-mêmes et nient le réchauffement climatique, la Chine pourrait dépasser ses propres objectifs et consolider son hégémonie sur les technologies propres. Sa maîtrise de la chaîne de valeur solaire et sa compétitivité-coûts inégalée en font un acteur incontournable. Aujourd’hui, la compétition ne se joue plus seulement sur les émissions mais sur les technologies, les infrastructures, et l’influence diplomatique. En ce sens, la décarbonation rapide de la Chine pourrait devenir un levier stratégique majeur dans un monde de plus en plus polarisé.

Cependant, l’incertitude demeure au payx de Xi Jinping. En effet, un nouveau régime tarifaire pour l’électricité renouvelable doit entrer en vigueur en juin 2025. Il supprimera les prix garantis indexés sur le charbon, obligeant les nouveaux projets solaires et éoliens à négocier des contrats directement avec les acheteurs. Seuls les projets labellisés comme prioritaires pour atteindre les objectifs nationaux pourront bénéficier de “contrats différentiels” subventionnés.

Ce changement réglementaire pourrait provoquer des cycles d’instabilité dans le secteur, en particulier pour le photovoltaïque distribué. L’objectif officiel de 200 GW d’ajouts en 2025 reste nettement inférieur aux 360 GW atteints en 2024, ce qui laisse entrevoir un éventuel ralentissement, au moins temporaire, du rythme de la transition énergétique.

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