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Equité et COP27 : quelle est la « juste part » de la France ?

Aides aux pays pauvres pour la mise en place de politiques d’atténuation du réchauffement planétaire, pour l’adaptation aux changements climatiques, pour les dégâts irréversibles déjà causés… Lors des COP, la finance climatique est toujours au cœur des divergences Nord-Sud. A la COP27 de Charm el-Cheik, celles-ci se cristallisent sur les « pertes et préjudices » (ou « pertes et dommages ») déjà actés. 

« Nous avons un besoin urgent de mécanismes financiers pour remédier aux pertes et dommages causés par le changement climatique, nous ne pouvons plus reporter ce débat », a ainsi rappelé Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, le nouveau président élu du Brésil, jeudi, à son arrivée en Égypte. 

6,1 milliards d’euros dont 2,2 pour l’adaptation

Ces tensions posent toutes l’épineuse question de la « juste part » des pays riches pour régler cette crise climatique. Exemple avec la France. Avec environ 6,1 milliards d’euros, dont 2,2 en faveur de l’adaptation en 2021, « la France joue pleinement son rôle et honore ses engagements », a souligné le ministre de l’Economie Bruno Le Maire.

« La France prend sa juste part de l’effort collectif », lui a fait écho la ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères, Catherine Colonna. Fort de cet engagement, la France a même appelé « les pays développés qui ne l’ont pas encore fait à se doter de cibles de finance climat ambitieuses et à les mettre en œuvre de toute urgence ».

Des prêts « générateurs de dettes »

L’avis du Réseau Action Climat (RAC), fédérant les associations impliquées dans la lutte contre le dérèglement climatique, diffère. Le RAC estime que la France doit atteindre « au minimum 8 milliards d’euros » d’aides en 2025, dont la moitié pour l’adaptation et 35% sous forme de dons. Ce qui resterait « plus que raisonnable ».

« Actuellement, la France utilise majoritairement des prêts pour financer l’action climatique dans les pays du Sud, mais cet outil est générateur de dettes, alors que beaucoup de pays se retrouvent dans une situation de surendettement, aggravée par la crise du COVID », commente le RAC. Il estime également que la France doit « fournir un financement additionnel pour les pertes et dommages »

Des « responsabilités communes mais différenciées »

Pour le RAC, la « juste part » de la France serait même d’allouer « 362 milliards d’euros d’ici 2030 pour des projets de lutte contre le dérèglement climatique ». Comment le RAC arrive-t-il à un tel montant ?

L’article 3 de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), à l’origine des COP, stipule que les pays doivent contribuer à la résolution de la crise climatique « en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives ». Ce qui induit le concept de « juste part ».

Une « juste part » de 2,6 % de l’effort mondial

Dans ce cadre, la France apparaît bien plus responsable dans la crise actuelle qu’un pays actuellement en développement. Pays riche, elle s’est développée avec principalement les énergies fossiles. Elle émet des gaz à effet de serre depuis la Révolution industrielle.  Mais les pays les moins responsables de ce réchauffement, eux, sont le plus souvent les premiers frappés par les changements climatiques, comme en Afrique.

Initiative scientifique internationale se basant sur les principes d’équité et de responsabilités communes de l’ONU, le Climate Equity Reference Project a créé un calculateur. En intégrant dans ce calculateur les émissions historiques et la richesse d’aujourd’hui de la France, y compris les inégalités, les chercheurs ont évalué « la juste part » de la France dans l’atténuation du réchauffement d’ici 2030. Elle se chiffre pour eux à 2,6 % du total mondial de l’effort à faire tandis que la population française représente 0,7 % des Terriens. 

« 6 milliards d’euros juste pour l’atténuation du réchauffement »

« Cette part juste équivaut à une réduction de 938 millions de tonnes d’équivalent CO2 en deçà des niveaux de 1990 d’ici 2030 », indique le RAC dans un rapport publié en 2022. Ce qui est bien sûr irréalisable sur le territoire français puisque ces émissions territoriales sont actuellement de l’ordre de 420 millions de tonnes de CO2.

Conséquence : en plus de la baisse des émissions, c’est au moyen d’un « soutien international » à d’autres pays que la France peut, comme toutes les nations riches, « s’acquitter de la portion de sa part juste qui excède son potentiel national d’atténuation »

En prenant en compte les coûts moyens à la tonne de la baisse des émissions de CO2, le RAC estime que la « part juste » de la France en ce qui concerne la seule atténuation du réchauffement planétaire, augmente de 6 milliards d’euros par an en moyenne de 2021 à 2025 à 30 milliards par an de 2026 à 2030. 

« 6 autres milliards pour l’adapation, 2 pour les pertes et préjudices »

En ce qui concerne l’adaptation, pour laquelle les estimations restent plus incertaines, le ratio pour la France s’élève toutefois à 2,6 milliards d’euros pour chaque centaine de milliards d’euros, selon cette approche. Afin de mettre l’adaptation « au même niveau que l’atténuation », le RAC double les sommes précédentes. 

Par ailleurs, un rapport de 2019, soutenu par des organisations de la société civile, le Civil Society Equity Review, estime qu’il faudrait fournir aux pays en  développement au moins 50 milliards de dollars en 2022 « au  titre  du  financement  des  pertes  et  dommages ». Ce montant passerait à 150 milliards de dollars par an d’ici 2025, puis 300 milliards à horizon 2030. « Un montant minimum », indique-t-il. 

Au total, le Réseau Action Climat évalue donc la « part juste » de la France à 14 milliards d’euros par an jusqu’à 2025 : 6 pour l’atténuation, 6 pour l’adaptation, 2 pour les pertes et préjudices. Pour la période 2025-2030, cette part bondit rapidement à 66 milliards par an, dont 6 pour les pertes et préjudices…

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