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No Bra : la poitrine se déconfine

Après le No Make-up, voici venu le temps du « No Bra », comprenez le non port du soutien-gorge. Les femmes n’ont pas attendu le confinement pour libérer leurs seins, mais le phénomène s’est encore accéléré pendant cette période particulière, où chacun troquait allègrement son jean et sa veste cintrée contre un pyjama ou un pantalon de jogging. 

Je fais partie des 8 % de Françaises à avoir abandonné ce sous-vêtement pendant le printemps, ce qui n’était le cas que de 3 % d’entre elles en février dernier selon un sondage Ifop (1).
  Un mode de vie qui a pris d’autant plus d’ampleur chez les moins de 25 ans : de 3 % à pratiquer le « no bra » en février, elles sont passées à 20 % en avril et sont encore 18 % aujourd’hui, rapporte une seconde étude publiée par l’Ifop le 22 juillet dernier (2).

Le No Bra, une tendance qui s’installe doucement

Une habitude des plus agréables lorsqu’il s’agit de traîner chez soi, mais plus difficile à assumer une fois que les portes du monde extérieur se sont rouvertes. Non pas que cela soit moins confortable lorsque l’air du dehors vient caresser notre peau, mais plutôt à cause de certains regards mal placés ou insistants, surtout lorsque les tétons pointent sous le tissu. 

Cette tendance du No Bra semble tout de même perdurer. Si 18 % des jeunes l’ont définitivement adopté, et 7 % des femmes tous âges confondus. Plus d’une interrogée sur dix déclare laisser son soutien-gorge au placard« une fois par semaine » , contre 42 % « deux fois par semaine » et 37 % « tous les jours »

Selon cette même étude, moins de la moitié des répondantes osent expérimenter le No Bra dans un lieu public. Elles sont pourtant nombreuses à reconnaître ses bénéfices en termes de confort (53 %) et de santé (24 %). Alors, pourquoi choisir de s’en priver ?

Une hypersexualisation ancrée et dangereuse

Parmi les freins qui poussent les femmes à enfiler un soutien-gorge en sortant de leur domicile, plus de la moitié s’inquiète de voir leurs seins tomber. 

Une peur non fondée selon la majorité des témoignages, à l’image de celui de Gala, bloggeuse féministe de 29 ans et fondatrice du compte Instagram « Sorcière, ta mère ! », pour Konbini news. La jeune femme notait qu’après quatre ans de vie « sanssoutif », ses seins étaient « plus ronds, plus fermes […] un petit peu remontés » et qu’ils avaient « à peine grossi ».

À cette crainte purement esthétique s’en ajoutent d’autres, qui en disent long sur la condition actuelle des femmes. 48 % se sentent gênées à l’idée que des inconnus devinent leurs tétons, 36 % craignent d’attirer les regards masculins, 34 % redoutent de subir une agression verbale, physique ou sexuelle. Ce dernier chiffre explose à 57 % chez les moins de 25 ans.

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Les jeunes femmes sont en effet les plus touchées par ces problèmes de harcèlement et d’agression. Plus de la moitié ont déjà été victimes de regards déplacés, se sont fait sifflées ou ont reçu des commentaires grossiers vis-à-vis de leur poitrine (39 %). Un quart déclare même avoir subi des attouchements non consentis sur cette partie du corps. 

« [La pratique du No Bra] a le mérite de mettre en lumière les limites de la liberté vestimentaire des femmes dans une société où l’hyper-sexualisation des poitrines féminines les surexpose encore à des formes de harcèlement ou de ‘rappels à l’ordre‘ », commente François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualité et santé sexuelle » de l’Ifop.

À en croire le sondage, les mentalités restent plutôt archaïques car 48 % des répondants (homme et femme) considèrent qu’une femme qui ne porte par de soutien-gorge court un plus grand risque de se faire harceler, voire agresser. Pire encore, pour 20 % des sondés,« le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle ».

« Si l’abandon du port du soutien-gorge est donc bien un symbole d’un ‘féminisme du quotidien’ illustrant la capacité des femmes à s’affranchir des injonctions pesant sur elles, il est bon de rappeler que cette forme de réappropriation de son corps est encore loin d’être donnée à tout le monde… », conclut François Kraus, qui est aussi un collaborateur à la revue Sexologies.

Un mouvement pas si récent sur les réseaux…

Ce « féminisme du quotidien » n’est plus un acte isolé. Et cela notamment grâce aux réseaux sociaux, qui servent bien souvent de canal d’expression et de revendication pour les causes liées à la libération de la femme.

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En 2012, Lina Esco lançait la campagne #FreetheNipple (« Libérez le téton » en Français) puis produisait son film éponyme sorti en 2014. Le mouvement se déploie aux quatre coins du monde. Des stars comme Miley Cyrus ou Cara Delevigne s’en emparent.

En 2018, c’est le #NoBraChallenge qui se répand sur les réseaux. En Argentine, l’histoire d’une lycéenne de Buenos Aires renvoyée chez elle après être venue sans soutien-gorge à l’école déclenche des manifestations, durant lesquelles les femmes brûlent leur lingerie en signe de protestation.

L’année dernière, en 2019, un nouveau mot dièse devient la tendance sur les réseaux sociaux : #JeKiffeMonDecolleté. Des milliers d’utilisatrices postent des photos de leur décolleté en gros plan, avec ou sans soutien-gorge, afin de revendiquer leur droit de porter ce qu’elles souhaitent. 

https://twitter.com/c3lineb/status/1140994185518080000?ref_src=twsrc%5Etfw

… Mais pas encore 100 % libéré non plus

Depuis, de nombreuses influenceuses se sont exprimées sur le sujet. Ce qui a notamment donné lieu à un grand nombre de vidéos sur YouTube. Toutes racontent avoir commencé à porter un soutien-gorge dès l’âge de 11 ou 12 ans. Dans leurs témoignages, elles expliquent comment et pourquoi elles sont passées au No Bra, leurs ressentis par rapport à leur corps, mais aussi au regard des autres… 

Dans son témoignage « 95 E et plus de soutif ! », Malou (53 000 abonnés) aborde le sujet qui fâche… Les fameux tétons : « J’ai appris à me dire que si je pointe et qu’on le voit, je m’en tape. Parce qu’un mec qui pointe sous un t-shirt, et bah on s’en bat les **. Alors, pourquoi une femme ça devrait choquer ? ». Cependant, elle avoue tout de même que, « par respect », elle continue à porter des brassières dans certaines circonstances, lorsqu’elle va voir « des personnes plus âgées » ou sa famille par exemple. Pas évident, donc, d’assumer à 100 % le regard des autres.

Paradoxalement, que ce soit Malou ou encore Wideeyesbrown  (15 000 abonnés), toutes évoquent le boost de confiance que cette pratique leur a procuré : « quelque chose qui a vraiment changé pour moi depuis que j’ai arrêté de porter des soutien-gorges, c’est la confiance en moi. […] C’est un truc de fou, comme la vision de notre corps change quand on arrête d’être brimée par quelque chose d’aussi petit et insignifiant qu’un soutien-gorge. Je me sens vraiment libre », raconte cette dernière. 

Une liberté qui, comme pour les poils ou les règles, entre de plus en plus dans le débat public et est assumée par un nombre grandissant de femmes, mais reste tabou ou dérangeante pour une partie de la population.

À lire aussi : L’étendard sanglant est levé ! Comment les règles cessent d’être taboues

(1) Étude Ifop pour 24matins.fr  réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 3 au 4 avril 2020 auprès d’un échantillon de 1 016 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.

(2) Étude Ifop pour Xcams  réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 12 juin 2020 auprès d’un échantillon de 3 018 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.

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