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Written by 17 h 31 min Déchiffrer, Politique, Tech-Sciences

IApocalypse Now : la tech libertarienne à l’assaut du pouvoir

Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche. Les adorateurs de l’intelligence artificielle (IA) vont enfin accomplir leurs desseins pour l’espèce humaine. L’imaginaire apocalyptique des Jeff Bezos, Marc Zuckerberg, Sam Altman, Elon Musk et autres, construit sur les thèmes puisés dans la littérature cyberpunk et la science-fiction populaire américaine, va pouvoir se déployer. Problème ? Quelques milliards d’âmes n’ont plus leur place dans leur monde idéal.

Le 05/02/2025 par Jean-Marie Hosatte
IApocalypse now
Connexion établie entre Trump et la frange la plus libertarienne de la Silicon Valley. Crédit : DR/Midjourney (IA)
Connexion établie entre Trump et la frange la plus libertarienne de la Silicon Valley. Crédit : DR/Midjourney (IA)

Au début des années 1990, la Silicon Valley est en crise. L’effondrement de l’URSS a tari le flot de commandes que le complexe militaro-industriel passait aux entreprises californiennes. Bill Clinton, inspiré par Al Gore, son vice-président, décide alors un plan de relance de l’économie de la région de San Francisco, fondé sur les technologies de l’information. Bill Clinton avoue ne pas savoir de quoi il s’agit vraiment, mais une seule rencontre avec des pionniers de la tech suffit à le convaincre que “l’information, est le pétrole du futur”. Dix-sept milliards de dollars sont alloués pour déclencher une “renaissance digitale”. L’initiative de Clinton et de Gore va changer la face du monde.

2024. Trente ans ont passé depuis la création des “autoroutes de l’information”, un milliard et demi d’humains possèdent ou sont possédés par leur smartphone. Facebook compte 3 milliards d’abonnés. La capitalisation boursière d’Apple atteint 3 003 milliards de dollars… Trente ans, c’est moins que le temps d’une seule génération humaine mais, déjà, on n’en finirait pas d’aligner les milliards et les superlatifs si l’on tentait de donner une idée de l’ampleur de la révolution industrielle, sociologique, et même anthropologique, qu’a provoqué le plan de relance de la Silicon Valley.

La Silicon Valley, entre fascination et rejet du pouvoir politique

Alain Damasio, auteur français de science-fiction, écrit : “Ces entreprises font notre monde et fabriquent l’hominidé que nous sommes devenus… Exactement comme on externalise nos dépenses physiques dans la voiture ou l’ascenseur, on externalise depuis vingt ans nos capacités cognitives : notre mémoire dans les espaces de recherches, nos capacités d’orientation au GPS… Tout pousse à minimiser l’énergie cérébrale que nous consacrons à des tâches jugées subalternes, alors qu’elles participent à notre dynamique de pensée.”

L’initiative Clinton-Gore a ouvert une période de trente années de passion politique entre les démocrates et cette tech californienne qui se laisse désormais séduire par le vociférant Donald Trump. La haine entre eux fut pourtant affichée et féroce. À l’exception du prophète libertarien Peter Thiel, l’homme qui estime que la démocratie et la liberté sont inconciliables, les Big Players de la Silicon Valley ont toujours affiché leur hostilité au président qui vient de décrocher son second mandat. Après la première élection de Trump en 2016, la Silicon Valley avait été secouée par la “Trump Apocalypse”.

Musk, Trump et la tech libertarienne : une alliance explosive

Des dizaines d’entrepreneurs avaient acheté des propriétés en Nouvelle-Zélande pour s’y réfugier au cas où le “Le Clown” [surnom donné par “L’Endormi” Joe Biden, en réponse au sobriquet attribué par son rival, NDLR] aurait eu envie de régler quelques comptes avec les branchés de la tech. Huit ans plus tard, la Silicon Valley a viré de bord. Musk, le plus riche, le plus visionnaire, le plus agressif des technomagnats, celui qui promeut et réussit les projets les plus déments, a parié sur Trump – un choix aussi fou que celui de récupérer une fusée géante de retour sur Terre ou de créer une constellation de satellites en orbite. Mais une fois de plus, Musk a raflé la mise.

La connexion réussie entre Trump et la frange la plus libertarienne de la Silicon Valley pourrait provoquer une déflagration aux conséquences inimaginables. Clinton avait été convaincu de favoriser le développement des industries de l’information par des hommes d’affaires qui rêvaient d’engranger des milliards en vendant, à la Terre entière, des objets et des services dont ils pensaient, souvent sincèrement, qu’ils rendraient le monde plus savant, plus libre, mieux informé. Trump et Musk ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Le patron de Tesla, SpaceX, Starlink, X, Neuralink est déjà l’homme le plus riche du monde. Il cherche moins à accumuler encore davantage milliards que de mettre sa fabuleuse fortune au service de la réalisation de son “Plan pour l’Humanité”.

De la science-fiction à la réalité : les milliardaires réécrivent l’Histoire

Musk est l’archétype de ces milliardaires systémiques qui n’ont créé leurs empires que pour se donner les moyens de s’affranchir des obstacles qui les empêcheraient d’accomplir le dessein qu’ils poursuivent pour l’espèce humaine – qu’elle le veuille ou non. Il y a un peu moins de 3 000 milliardaires sur Terre, mais seulement six sont obnubilés par l’envie d’orienter l’histoire du genre humain vers des voies qu’ils ont découvertes, dès leur adolescence, dans les classiques de la littérature et du cinéma de science-fiction. Au lendemain de la victoire de Trump – ou de la défaite fracassante de Kamala Harris –, la presse américaine progressiste a parlé d’une “révélation” en rendant à ce mot sa dimension religieuse.

Selon saint Jean, le temps de la révélation serait l’Apocalypse, dont le premier signe est le retour de l’Antéchrist. Dès lors, l’Humanité saura quelles épreuves terribles elle aura à traverser jusqu’au Jugement dernier et le règne du Christ pour l’éternité.

Donald Trump ou le triomphe de l’Antéchrist

Aux yeux de millions de croyants américains, la résurrection politique de Trump, c’est le triomphe de l’Antéchrist, une figure que l’étude de la Bible puis des dizaines de films, de séries, de romans à succès, ont ancrée dans la conscience collective des États-Unis, sans forcément la rendre repoussante. Trump ne renie pas cet amalgame. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder sa photo de profil sur son compte X.

Sa première action politique aura été de soumettre l’administration américaine à son pire ennemi. Elon Musk est chargé de rendre la puissance publique “plus efficace”, tout en la privant de 2 000 milliards de dollars de budget. Rien ne peut plus empêcher les Cavaliers de Teotwawki (acronyme de The End of the World as We Know it, en usage chez les survivalistes et preppers), figures de l’Apocalypse libertarienne, de réaliser leurs plans pour l’Humanité jusqu’à ce que les Élus, hybrides humains-machines, entrent dans l’éternité transhumaniste. La Silicon Valley ne vendra plus d’utopies. Elle nous fera acheter la version de l’Apocalypse selon Musk.

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