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L’Élysée, passoire thermique ?

Cet article a été initialement publié en novembre 2021.

En 2017, le candidat Macron promettait de supprimer les passoires thermiques. Notamment en rénovant des bâtiments publics. Le président Macron habite et travaille aujourd’hui dans le plus prestigieux d’entre eux : le palais de l’Élysée. Est-il exemplaire en matière énergétique ? Après avoir enquêté, WE DEMAIN publie les chiffres précis des dépenses énergétiques des trois sites de la présidence de la République. Il s’agit de l’hôtel d’Évreux, communément appelé « palais de l’Élysée », du 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Auquel il faut ajouter l’hôtel de Marigny situé juste en face, les bureaux des 2, 4, et 14, rue de l’Élysée. Et enfin, le palais de l’Alma (situé au 11, quai Branly, dans le 7e arrondissement), qui abrite lui aussi des services de la présidence.

Au total, en 2020, pour 800 personnes travaillant dans 32460 m2, des factures de chauffage s’élèvent à 345159 euros, et à 412881 euros pour l’électricité. Cela correspond à 2246602 kWh et 278463 litres de fioul (cf. les tableaux complets ci-dessous).

Poste chauffage du palais de l’Élysée

La performance énergétique pour le chauffage est faible. Elle est supérieure à 254 kWh/m2 pour le palais de l’Élysée et à 300 kWh/ m2 en 2019 pour le palais de l’Alma. Elle correspond à une étiquette DPE (Diagnostic de performance énergétique) énergie au niveau E (sur une échelle de A à G). Ce niveau est cohérent avec les caractéristiques architecturales et techniques des sites de faible performance classés monuments historiques (simple vitrage, ventilation naturelle par infiltration, faible niveau d’isolation thermique…).

À cela s’ajoute une mauvaise régulation et répartition de la chaleur dans le bâtiment. Une situation imposant des radiateurs électriques d’appoint dans certains volumes occupés en bout de réseau. Sans parler du trop de chaleur en début de réseau dans ce type de cas. La régulation est une piste à privilégier pour réaliser des économies d’énergie ; action qui, de plus, présente une rentabilité importante – a priori, elle débutera avec l’installation de têtes thermostatiques d’ici à la fin de l’année. Néanmoins, pour garantir un optimum de performance sur la régulation, cette action seule ne peut suffire. Elle doit être accompagnée de la vérification de l’état du réseau, la pompe à débit variable, l’adaptation des lois d’eau…

Globalement, une augmentation des consommations est constatée entre 2018 et 2020. Et ceci malgré les travaux entrepris pour améliorer la performance énergétique. Autre observation : une consommation anormale pour le palais de l’Alma en 2019. Pour éviter ce type de surconsommation, un monitoring des consommations d’énergie devrait être envisagé. Objectif : anticiper et réagir rapidement, et pour qualifier et prioriser les cycles de travaux et la rénovation.

Poste carbone de l’Élysée

Les émissions carbone liées à la consommation d’énergie de l’Élysée sont importantes, de l’ordre de 70 kg/m2/an. Selon le DPE (tertiaire), les émissions correspondraient à une étiquette climat au niveau F (sur une échelle de A à G). Pour situer la performance carbone, nos analyses sur des patrimoines immobiliers présentent un ordre de grandeur moyen de l’ordre de 30 kg/m2/an. Les émissions carbone sont en augmentation entre 2018 et 2020. Là encore, et probablement pour les mêmes raisons que pour le chauffage, l’année 2019 présente une forte hausse au palais de l’Alma.

Consommation chauffage et électricité : les chiffres

Que penser de ce bilan énergétique du palais de l’Élysée ?

Elan France, société de conseil en immobilier responsable spécialisée en conseil environnemental, sollicitée par WE DEMAIN, a réalisé, sur la base des chiffres précédents fournis par la présidence de la République, un bilan énergétique de l’Élysée. Selon Elan, le poste chauffage révèle une faible performance. En effet, l’évaluation correspond à l’avant-dernier niveau (6e sur 7 niveaux) du Diagnostic de performance énergétique (DPE) du ministère de la Transition énergétique. Sur le poste carbone, la société note « des émissions de carbone importantes. De l’ordre de 70 kg/m2/an ». Soit une étiquette climat de l’avant-dernier niveau d’une échelle qui en compte sept.

Selon le bureau d’études Maya Construction durable, les chiffres concernant la consommation électrique sont élevés. Ceux qui concernent le chauffage, cependant, sont assez proches de la norme pour les bâtiments anciens (XVIIIe et XIXe siècles). Et les bâtiments classés monuments historiques ne peuvent pas bénéficier d’un certain nombre de travaux d’isolation. Il faut effectivement respecter les boiseries. Et le double vitrage est, par son poids, incompatible avec les menuiseries d’époque. À l’inverse, l’ancienneté des bâtiments assure, grâce à l’épaisseur des murs et à la dimension des portes et fenêtres, une inertie thermique et une ventilation naturelle. Cela permet d’éviter l’usage de climatiseurs.

Pas de tarif préférentiel pour le Président

Les experts auxquels nous avons fourni ces chiffres saluent la transparence dont fait preuve la présidence de la République. Mais observent que l’Assemblée nationale, chargée de contrôler les dépenses élyséennes, ne dispose pas de toutes les informations. En effet, elle a « omis » le quart de la facture de chauffage correspondant au fioul. Ils relèvent que l’Élysée ne bénéficie pas de tarif préférentiel pour l’électricité. Mais certaines données manquent encore, notamment sur les travaux d’isolation de la toiture au niveau des matériaux et des coefficients. Beaucoup plus problématique, l’absence d’une stratégie énergétique claire. « Il n’y a, à ce jour, ni stratégie ni trajectoire de neutralité carbone », s’inquiète Géraud Guibert du think tank La Fabrique écologique.

« Il manque à l’Élysée un bon énergéticien et un audit complet qui agglomère les données de consommation et de déperdition d’énergie. C’est obligatoire pour les bureaux et copropriétés, et ça permet de construire un scénario pluriannuel », relève Max Maurel, du bureau d’études Maya Construction durable. Même en tenant compte des impératifs de sécurité-défense, l’Élysée prend ses aises avec les recommandations de l’Europe. Ainsi qu’avec les réglementations gouvernementales qui incitent au bilan thermique et à la rénovation. Selon la directive européenne 2012/27/UE, « les organismes publics, aux niveaux national, régional et local devraient faire figure d’exemple en ce qui concerne l’efficacité énergétique ».

Un rapport du ministère de l’Écologie de 2013 insiste sur « le rôle exemplaire des bâtiments appartenant à des organismes publics »… Les services de la présidence admettent que les conversions en tonnes équivalent CO2, largement utilisées dans l’immobilier, ne sont disponibles pour l’Élysée que depuis 2021.

Les travaux énergétiques peuvent attendre…

Le retard dans la mise en œuvre d’une stratégie énergétique s’expliquerait notamment par la priorité qu’ont donnée, depuis quinze ans, les locataires du palais présidentiel aux travaux de restauration jugés plus urgents. Quand les conseillers de Nicolas Sarkozy débarquent à l’Élysée, en 2007, ils assurent trouver un palais au bord du délabrement, plein de lézardes, de peintures écaillées, de garde-corps des balcons prêts à s’effondrer… Sans parler des souris qui ont élu domicile sous les dorures présidentielles !

À l’heure du Grenelle de l’environnement, et bien que les principaux candidats à la présidentielle de 2007 aient signé le Pacte écologique de Nicolas Hulot, le nouveau président de la République privilégie la rénovation du Salon vert, du Salon des ambassadeurs, l’escalier d’honneur, ainsi que la restauration de la façade en pierre de taille. Les économies d’énergie attendront ! François Hollande, qui lui succède, engage des travaux d’étanchéité et de réfection de la toiture de la Salle des fêtes.

Pourquoi avoir opté pour un chauffage au gaz ?

Emmanuel Macron proclame, dans son discours de novembre 2018 sur la transition écologique, vouloir « nous désintoxiquer des énergies fossiles, donc avant tout consommer moins d’énergie ». Mais il attend finalement 2020 pour engager les travaux d’économie d’énergie à l’Élysée. Ce sera le calorifugeage des réseaux d’eau et d’électricité – pour lequel le « château » bénéficie de la prime gouvernementale Éco-Énergie de 48 160 euros –. Mais aussi la rénovation en voie d’achèvement de la toiture des bureaux du 2, rue de l’Élysée. Et surtout remplacement, au cours de l’été 2021 et en 2022, des deux vieilles chaudières au fioul du palais de l’Élysée par une chaufferie au gaz. Mieux vaut tard que jamais !

Les spécialistes s’étonnent tout de même que la présidence ait attendu aussi longtemps pour se débarrasser d’une énergie très polluante, encore utilisée dans 1500 copropriétés parisiennes, soit moins de 5 % des logements. Une énergie qui est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre et de 10 % des émissions d’oxyde d’azote. Ces mêmes experts s’interrogent également sur le choix fait du chauffage au gaz, dont les prix s’envolent. Et qui émet lui aussi du CO2, donc que le règlement énergétique RE2020 proscrit pour toute nouvelle construction.

N’aurait-il pas été préférable de se convertir au chauffage de la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) ? Celle-ci est présente dans l’arrondissement du palais, et utilise plus de 50 % d’énergies renouvelables. La direction des services de la présidence réplique que la solution CPCU était plus onéreuse. Et nécessitait des travaux de voirie trop importants. Quant à l’électrique, il serait plus cher que le gaz et contraire à la politique de mix énergétique du gouvernement. Des arguments qui laissent certains spécialistes dubitatifs.

Nouveau système de production d’eau chaud, têtes termostatiques, éclairage LED…

La présidence de la République préfère insister sur les autres mesures engagées pour réduire la facture énergétique. On évoque le remplacement du système de production d’eau chaude sanitaire pour pouvoir en obtenir plus rapidement. L’installation de 200 têtes thermostatiques sur les chauffages du palais pour plafonner la température et réduire l’utilisation de radiateurs d’appoint. L’installation systématique de capteurs de présence dans les couloirs. Et le remplacement des ampoules des lampadaires par des leds. Un grand projet d’investissement dans la géothermie est à l’étude.

Enfin, l’Élysée doit restituer en 2022 à l’État propriétaire les bureaux qu’elle occupe au 14, rue de l’Élysée. Ce sont les plus énergivores. Les services qui y sont hébergés actuellement rejoindront l’hôtel Marigny ou le palais de l’Alma. Celle-ci disposera même d’une crèche HQE (Haute qualité environnementale) à structure en bois.

« Cherche locaux présidentiels plus verts »

Certains suggèrent d’aller beaucoup plus loin. Ne serait-il pas plus simple de déménager la présidence de la République dans un bâtiment plus moderne et plus fonctionnel ? L’idée n’est pas nouvelle. Construit en 1720, le palais où vécut Madame de Pompadour n’est en rien adapté à ses fonctions actuelles. Avec ses 350 pièces souvent exiguës, en sous-sol ou sous les combles. Le général de Gaulle voulait s’installer au château de Vincennes. François Mitterrand pensait aux Invalides. Et Nicolas Sarkozy à l’École militaire, avant, chacun, d’y renoncer.

D’autres candidats à la magistrature suprême, comme François Fillon ou Bruno Le Maire en 2017, ont évoqué un bâtiment contemporain et moins déconnecté de la réalité : « Il pourrait y avoir la guerre dehors, on ne s’en rendrait pas compte », plaisantait François Hollande.

Un déménagement et un bâtiment moderne comme en Allemagne ?

Pourquoi ne pas déménager au-delà du boulevard périphérique ? Par exemple en Seine-Saint-Denis, comme le préconisait l’architecte Roland Castro, le concepteur du projet Banlieues 89 ? L’idée vient d’être reprise par l’économiste Nicolas Bouzou. C’est le choix qu’ont fait les Allemands avec la Chancellerie fédérale de Berlin, inaugurée en 2001 par Gerhard Schröder. C’est un building ultramoderne de huit étages, avec unité de cogénération au sous-sol et panneaux photovoltaïques sur le toit.

La façade, avec une immense fenêtre en demi-lune, vaut à la Chancellerie le surnom de « Machine à laver fédérale ». C’est une allusion à la fenêtre panoramique en forme de hublot qui se trouve dans le bureau de la chancelière. Elle abrite 300 bureaux, de multiples salles de conférences et 13 jardins d’hiver. Mais pour de nombreux Français et pour la grande majorité des responsables politiques, le palais de l’Élysée incarne la France. C’est une marque connue dans le monde entier. Et selon les mots de François Hollande, « la République doit être majestueuse si elle veut être respectée ».

Vélos électriques et collecteurs de déchets

Emmanuel Macron, qui se revendique un président moderne et réformateur, a renoncé à tout projet de déménagement. Pourtant, face à l’urgence climatique et à l’approche de l’élection présidentielle, il met en œuvre, avec l’ardeur du néophyte, un « plan d’action global environnement » piloté par un « responsable sociétal des organisations ». Trois chantiers de verdissement sont engagés. Le premier met les mobilités douces à l’ordre du jour. Les 800 collaborateurs sont incités à pratiquer le vélo avec le remboursement des pass Vélib’ et Véligo. Des places de stationnement deux-roues ont été créées. 20 vélos électriques ont été achetés, qui ont effectué 3 000 km et permis d’économiser 1 tonne de CO2 en huit mois.

Pour les accros à la voiture, 22 véhicules verts et hybrides ont été achetés. Ce qui ne représente que 1/5e de la flotte élyséenne. Le président de la République se déplacera prochainement dans une voiture blindée hybride. Alors que les règles de sécurité ne l’autorisent pas à utiliser les 2 scooters électriques mis à la disposition des agents. Des efforts sont attendus sur le transport aérien, qui avait atteint, en 2019, avant la crise du Covid, plus de 800 heures de vols pour le président et ses collaborateurs…

Réduire, réutiliser, recycler… vive la consommation responsable

Deuxième chantier : favoriser une « consommation responsable ». Avec 100 % de papier recyclé, zéro pesticide pour les espaces verts, des produits bio et des circuits courts pour les cuisines, un repas végétarien préparé le lundi, la livraison hebdomadaire de paniers de fruits et légumes pour les collaborateurs qui le souhaitent. Enfin, « réduire, réutiliser, recycler » : les gobelets en plastique sont proscrits. Et les 220 000 bouteilles d’eau consommées chaque année sont remplacées par des fontaines raccordées au réseau. Des gourdes siglées présidence ont été distribuées à tous les agents. Des collecteurs de tris se trouvent dans les couloirs.

Les déchets alimentaires – pain, huile – sont récupérés et recyclés par des associations solidaires pour faire de la bière ou des biocarburants. Même les bébés sont mis à contribution : la crèche de la présidence a remplacé en début d’année ses 19 000 couches jetables par des lavables. Révolution verte au sommet de l’État ou simple greenwashing pour masquer des performances énergétiques et environnementales peu glorieuses ? À six mois du scrutin présidentiel, l’Élysée vaut bien une conversion à l’écologie.

Détails de la consommation d’énergie de l’Élysée, diagnostic énergétique, empreinte carbone, décryptage de ce bilan… Cette enquête a été publiée dans WE DEMAIN n°36, sorti en novembre 2021. Un numéro toujours disponible en version papier et en édition numérique sur notre boutique en ligne !

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