L’économie circulaire domine aujourd’hui le discours industriel sur le développement durable et serait caractérisée par un triple objectif au regard des déchets : réduction, réemploi et recyclage. Les annonces des entreprises quant au respect de ces objectifs au sein de leurs procédés s’enchaînent. Des marques telles qu’Ikea, Carrefour, ou encore L’Oréal s’engagent de manière plus ou moins ambitieuse, et suivent les avancées juridiques. Depuis le 1er janvier 2022, de nouvelles mesures de la « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire » (loi Agec) sont entrées en vigueur, interdisant notamment la destruction des invendus non alimentaires.
Sur le site du ministère de la transition écologique, cette loi est présentée comme visant « à transformer notre économie linéaire, produire, consommer, jeter, en une économie circulaire » et « accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat ». L’économie circulaire est ainsi présentée comme « la » solution aux problèmes écologiques, renouvelant les perspectives de soutenabilité et proposant de transformer le lien entre nos activités économiques et les systèmes écologiques.
Si ce concept est présent partout, mobilisé par des acteurs divers, c’est surtout que son caractère flexible et flou lui permet d’être adapté et de proposer des solutions « gagnantes-gagnantes », combinant économie et écologie. L’économie circulaire prend ainsi une part importante du discours plus large sur la soutenabilité. Néanmoins, les réponses apportées aux problèmes écologiques sont liées à la façon dont ceux-ci sont interprétés mettant en jeu notre rapport à la « nature ».
Un ensemble de recherches en sciences sociales ont en effet montré que la « nature », et la relation qui nous lie à elle est contingente et construite socialement. La « nature » existe certes matériellement, mais notre rapport à elle est culturel, influençant alors les discours.
Par exemple, répondre à la perte de biodiversité sous le prisme de concepts tels que celui de « services écosystémiques » témoignerait d’une volonté de mise sur marché du vivant, et par là, d’une conception néolibérale de la nature. Dans cette perspective, le terme d’économie circulaire est lui aussi à considérer comme un concept historiquement situé.
Bien qu’issue en premier lieu de travaux académiques, tels que celui de Kenneth E. Boulding qui, en 1966, opposait « l’économie de cow-boys » à celle du « vaisseau spatial Terre », soucieuse de la rareté des ressources, l’économie circulaire serait désormais principalement construite par ses praticiens (entreprises, institutions, ONG).
Les acceptions en sont certes très diverses, mais les chercheurs considèrent néanmoins qu’il en existe une définition « hégémonique », dans le sens où cette dernière viendrait à dominer et décrédibiliser les potentielles autres visions.
Dans cette acception relativement consensuelle, l’objectif serait de « découpler » l’usage des ressources naturelles et les impacts environnementaux de la croissance économique, créant la possibilité d’une croissance infinie dans un monde fini. Le déchet devient une ressource supplémentaire dans les procédés de production, nécessaire à la réduction des coûts et à la création de valeur.
L’économie circulaire serait alors devenue un moyen de protéger et normaliser les modes de production et de consommation actuels, qui ne peuvent répondre aux enjeux écologiques, l’idée de découplage entre croissance et impacts environnementaux ayant été critiquée par de nombreuses études, qui montrent son impossibilité.
Néanmoins, de nombreuses interrogations ont émergé face à cette conceptualisation, et à la capacité très limitée d’une telle économie circulaire à répondre aux enjeux écologiques et sociaux. Par exemple, l’effet rebond ou la consommation énergétique de la filière recyclage sont mises en avant comme des obstacles à une véritable circularité.
De nombreux chercheurs ont en effet mis en avant la nécessité de développer une approche systémique concernant la croissance et l’idée de découplage. Pour beaucoup, la croissance du PIB est incompatible avec une réponse à nos enjeux écologiques. Par l’incapacité d’un système comme le nôtre à échapper à la création de déchets, ces derniers ont cherché à développer de nouvelles compréhensions de l’économie circulaire, afin d’y intégrer notamment des questions de justice sociale.
Par exemple, des chercheurs ont montré qu’il existerait aujourd’hui quatre approches de la circularité. Parmi celles-ci, une considérerait l’économie fossile incompatible avec la soutenabilité, et les réponses technologiques insuffisantes à un découplage absolu. Une telle approche favoriserait notamment de nouvelles formes de gouvernance.
Une telle vision pourrait déjà être portée par certaines organisations dites « alternatives ». En France, elles feraient notamment partie du champ de l’économie sociale et solidaire. En promouvant la solidarité et la responsabilité, de telles initiatives pourraient, par leurs objectifs, construire de nouvelles représentations de l’économie circulaire.
Parce qu’elles auraient plus de capacités à innover, et à le faire de manière à questionner le paradigme existant, elles auraient plus de marge de manœuvre et arriveraient à préfigurer un nouvel imaginaire de soutenabilité, répondant notamment à des enjeux de justice sociale et environnementale. Par exemple, en promouvant une gouvernance démocratique et une non-lucrativité ou lucrativité limitée, l’ESS fournirait un cadre d’action pour une transition socio-écologique locale.
C’est dans un tel contexte que le vaste projet européen de recherche « BLUEPRINT pour une économie circulaire » vient s’inscrire. L’un de ses objectifs sera de comprendre le lien entre entreprises sociales et solidaires, et le développement d’une économie circulaire, afin de fournir des outils et modèles adaptés à la transition.
À propos des auteurs :
Lucie Wiart. Docteure en sciences de gestion, Neoma Business School.
Nicolas Béfort. Économie de la transition écologique, Neoma Business School.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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