« Les jeunes militants ne répètent pas bêtement ce que disent leurs parents »

Dans le monde entier, des dizaines de milliers d’enfants et adolescents ont participé aux grèves scolaires pour le climat. Greta Thunberg, 16 ans, est nominée pour le Prix Nobel de la Paix. Avant elle, en 2014, il avait été remis à Malala Yousafzai, alors âgée de 17 ans. Aux États-Unis, la plus grande manifestation anti-armes à feu du pays a été organisée par des lycéens suite à la tuerie de Parkland.

 

Les jeunes s’engagent pour les causes qui leur tiennent à cœur et font entendre leur voix. Mais si certains adultes voient en cette génération une relève militante, d’autres restent sourds à leurs discours et les jugent trop petits pour avoir un avis pertinent.

Génération Z, manifestations des enfants, droit de vote à 16 ans… Le pédopsychiatre Stéphane Clerget, auteur d’Adolescents, la crise nécessaire aux éditions Fayard, a répondu aux questions de We Demain sur cette jeunesse engagée.

À lire aussi : « Les jeunes comme Greta Thunberg sont très forts pour montrer nos incohérences »

  • We Demain : Les jeunes de la génération Z, nés à partir des années 2000, sont-ils plus engagés que les anciennes générations ?
Stéphane Clerget : Plus engagés, non, mais ils sont engagés différemment. Les jeunes ont toujours été mobilisés par des causes à défendre. Ce qui est nouveau ce sont les moyens de mobilisation. Je pense que s’il n’y avait pas les réseaux sociaux, les enfants de 10 ans auraient été préoccupés par le climat mais n’iraient pas manifester. Là, ils ont la possibilité de s’exprimer, de se regrouper plus facilement, de faire entendre une tranche d’âge qui, auparavant, n’était pas audible.
  • En 2019, des enfants et adolescents du monde entier se sont mobilisés massivement pour le climat. D’où vient cette préoccupation pour la planète?
Les enfants sont extrêmement sensibles à certains types de sujets comme la vie, la mort, la santé. Dès 5 ans, ils commencent à avoir conscience qu’on peut mourir et qu’il y a des choses qui favorisent la mort : le tabac, la pollution… Les enfants ont toujours été très concernés par le vivant. Avant cela s’exprimait par un fort intérêt pour les animaux, mais maintenant que les sujets sont mondialisés, ils se soucient de ce qu’il se passe sur toute la planète.
  • Beaucoup d’adultes reprochent à ces enfants de ne faire que répéter bêtement le discours de leurs parents ou d’être manipulés. Est-ce que les enfants peuvent avoir leur propre avis ?
Évidemment qu’ils répètent, mais pas bêtement ! Cela fait partie du développement humain, ils écoutent, s’identifient, répètent. Leurs sources d’information sont l’école, les médias, les réseaux sociaux mais aussi les sujets de conversation des adultes autour d’eux. Ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas leur propre avis, ils en ont un assez tôt, même à 5 ans. Mais ils sont plus influençables.

À mesure qu’ils grandissent, l’opinion est plus résistante aux influences extérieures. C’est une évolution progressive avec des étapes importantes : l’entrée dans l’âge de raison vers 7 ans, puis la puberté où le cerveau développe de nouvelles compétences. Mais on peut rester influençable à l’adolescence, et même à l’âge adulte.
 

  • Comment expliquez-vous une telle disparité de réactions face aux enfants qui militent pour le climat : certains les érigent en porte-parole, d’autres les disent trop jeunes pour comprendre les décisions des adultes…
La réalité c’est que ceux qui sont à l’écoute des enfants sont ceux qui sont d’accord avec leur discours. Les adultes qui ne le sont pas utilisent le prétexte que ce sont des enfants et adolescents pour ne pas les écouter. Se contenter de leur dire « tu es trop petit », c’est bébête. C’est intéressant de discuter avec eux, de leur donner des contre-arguments pour qu’ils affûtent les leurs.

Mais en tant que parent, c’est aussi important de ne pas se laisser entrainer par le militantisme de son enfant. Il faut les protéger pour éviter qu’ils soient trop exposés à la vindicte populaire ou au contraire à une starification qui peut être difficile à vivre. Greta Thunberg, par exemple, je ne sais pas si elle a été assez protégée par ses parents. L’exposition médiatique des enfants et des adolescents est toujours risquée, que ce soit pour le climat ou The Voice Kids.
 

  • On voit de plus en plus d’activistes de 10 ou 12 ans. Comment expliquez-vous ce militantisme précoce ?
La principale raison, c’est souvent qu’un des deux parents est lui-même militant. Dans la jeune enfance, on s’identifie au combat des parents. Si Papa est pour le Paris Saint-Germain, l’enfant adorera le Paris Saint-Germain. Mais ce militantisme peut aussi cacher une inquiétude. Nous, psychiatres, on doit chercher si derrière, il n’y a pas des angoisses de mort, de disparition, une anxiété particulière face au futur, au fait de grandir. Et puis la troisième raison, ça peut être simplement un type de personnalité qu’on appelle en psychiatrie des « idéalistes passionnés ». Ils se construisent sur le mode du combat, ça peut être le climat comme un autre.
  • Chez les adolescents, ce sont les mêmes raisons qui poussent au militantisme ?
Pour les adolescents, c’est encore autre chose. Déjà on est moins dans l’identification aux parents. Ce qui est spécifique de l’adolescence, c’est l’intensité émotionnelle. C’est un âge où on vit les choses avec passion, il y a une énergie affective extrêmement forte. La zone frontale du cerveau qui permet de contrôler ses émotions n’est pas encore bien en place avant 25 ans. À l’adolescence, le militantisme est aussi identitaire. Se mettre au service d’une cause permet de savoir qui on est, ce qui est rassurant.
  • Pour les élections européennes, la maire de Paris Anne Hidalgo a mis en place une expérience de vote dès 16 ans dans douze lycées parisiens. Qu’en pensez-vous ?
S’initier à l’exercice du vote est intéressant dès le plus jeune âge. D’ailleurs, dès le CP on organise des conseils de classe. Pour moi ce n’est pas tellement le vote à 16 ans le souci. Évidemment, ces jeunes ne vont pas voter avec la même réflexion qu’un adulte, ils vont voter davantage avec leur cœur, peut-être qu’ils voteraient autre chose la semaine d’après. Mais est ce que cela justifie qu’ils ne votent pas ? On fait bien voter les personnes de 90 ans..

Si je ne suis pas très favorable au vote des enfants, c’est pour une autre raison. Je crains qu’on en profite pour les considérer comme des adultes et que la prochaine étape soit qu’ils puissent aller en prison. Ça me semble absolument fondamental que les enfants et adolescents ne soient pas jugés et condamnés comme des adultes.

Retrouvez notre dossier « Les enfants à l’assaut du vieux monde » dans la revue We Demain n°26, disponible en kiosque le 23 mai et sur notre boutique en ligne.

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