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Neutralité carbone : un décret pour limiter le greenwashing mais…

La neutralité carbone est le graal à atteindre de manière globale d’ici 2050. Cet objectif commun est au coeur des préoccupations des marques. Mais certaines vont un peu vite en besogne et utilisent ce terme de manière inappropriée dans leur communication. Afin de lutter contre le greenwashing, le gouvernement a publié au Journal officiel jeudi 14 avril 2022 un décret d’application de l’article 12 de la loi « climat et résilience« . Il vise à encadrer la communication autour de « la compensation carbone et les allégations de neutralité carbone dans la publicité ».

Le Premier ministre Jean Castex et la ministre de la transition écologique Barbara Pompii ont ratifié ce décret. Il prévoit que, à compter du 1er janvier 2023, il ne sera plus possible de parler de neutralité carbone sans produire « un bilan des émissions de gaz à effet de serre du produit ou service concerné couvrant l’ensemble de son cycle de vie« . Soit depuis la phase en amont de la production jusqu’au recyclage éventuel. Ce décret concerne aussi bien la publicité dans la presse écrite et audiovisuelle que l’affichage et la publicité en ligne.

Transparence obligatoire sur la neutralité carbone

A partir du 1er janvier 2023, les annonceurs publicitaires devront donc appuyer leurs affirmations d’arguments chiffrés et documentés. Concrètement, cela passera soit par un lien hypertexte, soit par un QR code qui renverra vers un espace sur le site de l’annonceur. On y retrouvera « la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet de serre sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. » Et ce, dans le but « d’assurer la transparence vis-à-vis du public et de prévenir tout risque de ‘greenwashing' », selon le gouvernement.

Dans le viseur du décret, les termes « neutre en carbone », « zéro carbone », « avec une empreinte carbone nulle », « climatiquement neutre », « intégralement compensé » ou encore « 100% compensé ». S’agissant de la compensation carbone des gaz à effet de serre, les pouvoirs publics demandent un classement des projets selon leur coût par tonne de CO2 (tCO2) compensée. A savoir : en-dessous de 10 €/tCO2, entre 10 et 40 €/tCO2 ou au-dessus de 40 €/tCO2. Enfin, le décret précise que les projets « ne doivent pas être défavorables à la préservation et la restauration des écosystèmes naturels et de leurs fonctionnalités« .

En cas de non respect de cette législation anti-greenwashing, les annonceurs contrevenants auront une sanction financière. Après mise en demeure, ils devront s’acquitter d’une amende de 100 000 € (20 000 € pour les personnes physiques). Des montants qui pourront atteindre « jusqu’à la totalité du montant des dépenses consacrées à l’opération illégale »

Une obligation qui manque d’ambition

Lutter contre les entreprises qui veulent verdir leur image, voilà une noble cause. Mais ce décret et cette obligation sont bien trop light aux yeux de multiples ONG. La CLCV, association nationale de consommateurs et usagers, dénonce des mesures qui ne vont pas assez loin contre le greenwashing. Une de ses porte-paroles, Lisa Faulet, explique : « Mettre un QR code pour renvoyer vers le site, ça ne suffit pas. Il faut expliciter les mesures (de compensation) sur le même support et compléter la mention en expliquant que tout produit génère des gaz à effet de serre. Sinon, ça peut être mal interprété par le public qui peut penser qu’un produit n’a pas d’impact sur le climat. »

Surtout, on se retrouve loin du projet de loi initial proposé par la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Celui-ci prévoyait carrément d’« interdire sur tous les supports publicitaires les produits ayant un fort impact sur l’environnement. » D’ailleurs, lors d’un vote sur la traduction de ses propositions par le gouvernement, les membres de la CCC avaient attribué la note de 2,6 sur 10 pour cette mesure.

TotalEnergies déjà dans le viseur

Si le décret sur la communication autour de la neutralité carbone n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2022, des ONG sont déjà passées à l’action. Début mars, Greenpeace France, les Amis de la Terre France et Notre Affaire à Tous ont assigné TotalEnergies en justice. L’accusant de « pratiques commerciales trompeuses ». Elles estiment que « les communications de Total omettent l’impact environnemental du gaz fossile sur l’ensemble de son cycle de vie. »

Les trois ONG, soutenues par l’association ClientEarth, dénoncent l’ambition affichée de TotalEnergies d’atteindre une soit-disant neutralité carbone d’ici à 2050 tout en présentant le gaz comme l’énergie fossile « la plus propre ». Et sans jamais rentrer dans les détails de son plan pour atteindre cet objectif carbone zéro en 2050. « TotalEnergies ne prévoit pas de baisse réelle et absolue de l’ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre », a affirmé Lorette Philippot, des Amis de la Terre. Le jugement est en suspend.

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