Oui au revenu universel, mais en monnaies complémentaires

Invité dans le débat politique depuis plusieurs mois, le revenu universel est devenu l’un des sujets macroéconomiques à la mode autour duquel s’agitent certains candidats aux prochaines élections présidentielles.

Moins médiatisées, les monnaies complémentaires ont, pour leur part, réussi à développer des écosystèmes décentralisés et citoyens (souvent à l’échelle locale mais pas seulement), avec pour principal objectif une plus grande égalité sociale sur le plan microéconomique.

À première vue, on pourrait croire les deux concepts relativement distincts l’un de l’autre. Et pourtant, il est fort probable qu’ils aient un avenir commun.

Pour certains théoriciens, le revenu universel apparaît comme la solution ultime aux problèmes socio-économiques liés notamment à la supposée disparition prochaine de l’emploi humain au profit de l’automatisation.

Pour d’autres, en revanche, un éventuel recours à une allocation inconditionnelle, qui serait offerte à chaque individu, traduirait finalement l’incapacité chronique des politiques économiques de ces dernières années à comprendre les bouleversements technologiques actuels et futurs, à en anticiper les bénéfices et surtout à s’y adapter.

Signalons au passage qu’il serait vain, et particulièrement erroné, de croire que ces deux positions reflètent le clivage politique traditionnel entre socialistes et libéraux. Il s’agit davantage d’un débat fondamental de société, ni de droite ni de gauche. Même Elon Musk (très à droite) envisage la solution du revenu universel face aux progrès de la robotique.

Si le progrès a toujours constitué une forme de « destruction créatrice » du travail (les métiers à tisser remplaçant les tisserands, les porteurs d’eau supplantés par l’eau courante…), cela s’est généralement fait sur des périodes assez longues.  

Les effets du revenu de base sur le monde du travail

À l’échelle d’une génération par exemple, permettant aux anciens secteurs d’activité d’être progressivement et naturellement remplacés par les nouveaux. Cette fois, la révolution numérique se déroule à un rythme bien trop rapide pour laisser aux agents économiques le temps de s’y adapter. Et d’imaginer alors un système qui accorderait à chaque citoyen, enfants compris, une somme forfaitaire mensuelle susceptible de couvrir les dépenses de base (jusqu’à 800 euros par mois pour les propositions les plus jusqu’au-boutistes).

L’ennui, c’est que distribuer de l’argent tous les mois aux citoyens ne constitue pas forcément la meilleure façon de continuer à faire tourner l’économie. La plupart des sociétés occidentales étant endettées au-delà de leurs capacités de remboursement (et c’est valable pour la France). Aussi, le financement d’un revenu universel semble particulièrement compliqué, à moins d’entrer dans une spirale mortelle d’hyperinflation.

Du reste, le revenu universel pourrait contribuer à dégrader encore davantage l’économie du pays, en favorisant par exemple la consommation de produits d’importation, sachant qu’ils constituent désormais la majorité des biens vendus sur le territoire français, lequel n’abrite quasiment plus aucune industrie majeure.

D’un point de vue sociétal, le revenu universel pose d’autres problèmes, à commencer par celui de rendre secondaire la rémunération même du travail. Sans parler des personnes qui choisiront de vivre de la seule rente de l’État (qui, dans ses variantes les plus généreuses, serait susceptible de représenter l’équivalent d’un salaire moyen pour un couple avec enfants).

On peut supposer que les demandeurs d’emploi seront plus regardants sur les offres auxquels ils postuleront. Les candidats risquent notamment de se faire plus rares pour des emplois à faible valeur ajoutée ou peu qualifiés, habituellement payés au salaire minimum.

Conséquence directe, faute de pouvoir offrir des salaires plus importants à des gens qui ne seront plus obligés de travailler, de nombreuses entreprises ne pourront plus assurer leur développement, et beaucoup cesseront leur activité (réduisant encore au passage l’offre de produits nationaux, au profit des biens d’importation).

Quant au financement du revenu universel, qu’on prévoit d’asseoir sur les prélèvements sociaux, il pourrait lui aussi être remis en question, et surtout devoir être compensé par une plus forte charge fiscale sur les individus et les entreprises. 

Finalement, une population moins active, des secteurs d’activité entiers sinistrés par la disparition progressive des PME, une pression sociale et fiscale accrue incitant certains contribuables à délocaliser leurs revenus et leur patrimoine, sans oublier les risque de fraude, la baisse de pouvoir d’achat de ceux qui se contenteront du minimum.  

Et la grogne des classes moyennes de plus en plus lourdement ponctionnées pour financer ce qu’elles considéreront comme l’oisiveté des autres, tous les ingrédients seront réunis pour engendrer de graves troubles.

Un revenu de base affecté à des usages précis

Face à ces défis, pour ne pas dire ces risques, l’une des pistes les plus prometteuses se trouve sans doute dans la mise en place d’un revenu affecté à des usages bien précis, un complément de pouvoir d’achat destiné à une consommation orientée. On pense alors bien évidemment aux monnaies complémentaires, car la notion même d’affectation est généralement inscrite dans leur ADN.

Une monnaie de ce type constituerait un moyen idéal de distribuer un revenu additionnel dédié à des utilisations spécifiques. Bien sûr, il faudrait avant tout l’extraire du champ minimaliste de l’expérimentation socio-humanitaire, et se mettre à y réfléchir comme à une véritable alternative économique de grande ampleur.

Les monnaies locales sont des expériences intéressantes, mais comme le montre l’exemple du WIR en Suisse (ou dans une moindre mesure, le bon vieux « ticket restau » français), la monnaie complémentaire est un concept bien plus large, susceptible de faire tourner une partie de la machine économique au niveau d’un pays tout entier. 

À ce stade, écartons les euros (c’est valable pour toutes les devises, d’ailleurs), communs à trop d’économies différentes et surtout trop massivement investis sur les marchés financiers pour être suffisamment stables.

Choisissons plutôt une monnaie qui viendrait suppléer la devise officielle sans craindre les turbulences internationales. Une monnaie qui permettrait d’accroître le pouvoir d’achat des citoyens tout en soutenant l’économie intérieure.

Une monnaie qui retrouverait un rôle à la fois social (dans le sens de propre à la société) et pacificateur (la signification étymologique du verbe « payer » correspond à « faire la paix »), qui remettrait l’individu au sein de la collectivité.

Car il faudrait bien entendu que cette monnaie complémentaire, distribuée sous forme de revenu universel de base, ne puisse pas être dévoyée par l’acquisition de produits financiers, de produits d’importation ou de biens sujets à spéculation. Là encore, aucune visée anti-capitaliste ou d’idéologie politicienne, mais au contraire une vision pragmatique de ce que devrait être un revenu complémentaire pour mieux servir l’intérêt premier des citoyens.

Ce mécanisme existe déjà en France avec des centaines de monnaies complémentaires permettant des usages locaux clairement identifiés (transports en commun, commerces de proximité, entraide…).

On connaît également le chèque déjeuner qui fait office de monnaie complémentaire utilisable dans la plupart des restaurants de France et de Navarre, et aussi chez certains commerçants (même si la réglementation s’est récemment durcie). Et n’oublions pas toutes ces monnaies électroniques, dont l’emblématique bitcoin, qui transitent entre des millions d’usagers sans jamais faire apparaître le moindre euro, yen ou dollar. 

Il ne faudrait pas grand chose pour généraliser ce principe à l’ensemble du territoire en l’associant par exemple à une politique de redistribution sous forme de revenu universel.

Avec en outre de formidables conséquences sur les trois principaux enjeux que sont la relance économique (les entreprises sont relancées par la demande intérieure), la réduction du chômage (de nouveaux besoins apparaissent en plus du renforcement des entreprises locales) et le développement durable (moins d’importations, donc moins d’impact sur l’environnement par une réduction de l’empreinte carbone liée aux transports).

Quant au financement, il pourrait être assuré par une fiscalité dédiée en monnaie complémentaire basée sur les usages, la circulation, la consommation plutôt que sur le revenu. Un revenu qui, par ailleurs, ne correspondrait plus à un travail mais à une activité au sein de la collectivité. Et les monnaies complémentaires seront la solution pour que ce revenu universel ne devienne pas la version moderne « du pain et des jeux » des Romains.

Jean-François Faure.

Entrepreneur, Jean-François Faure, a fondé VeraCash, première monnaie complémentaire basée sur des métaux précieux. En octobre 2016, il lance le think tank Monnaies en transition, qui regroupe des chefs d’entreprises, des économistes, des banquiers et des représentants de la société civile au sens large, afin d’envisager de nouvelles pistes concrètes d’amélioration des problématiques monétaires qui pèsent de plus en plus sur nos économies et de replacer l’humain au cœur même des échanges.
 

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