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Planification écologique : 5 questions majeures en suspens

Le concept de « planification écologique », pivot du programme de Jean-Luc Mélenchon, a été repris par Emmanuel Macron au cours de l’entre-deux-tours pour son second quinquennat. Comme il l’avait annoncé lors d’un discours à Marseille, le 16 avril 2022, le président réélu a confié cette planification à son actuelle Première ministre, Élisabeth Borne. Concernant le climat, la mise en œuvre d’un tel projet pose cinq questions incontournables.

La Stratégie nationale bas carbone (SNBC), feuille de route climatique héritée du précédent quinquennat, retient la cible de neutralité climat en 2050. Cet objectif de long terme est conforme à celui de l’Union européenne.

Le préalable : s’accorder sur le bon objectif

Pour viser la neutralité en 2050, l’UE a rehaussé en décembre 2020 son objectif intermédiaire En effet, elle vise une réduction de minimum 55 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, contre 40 % antérieurement. Cette décision a conduit à un renchérissement spectaculaire du quota de CO2 sur le marché européen. Et à un ambitieux paquet législatif en discussion au Parlement européen : le « Fit for 55 ».

Depuis 2005, les émissions de gaz à effet de serre suivent une tendance linéaire qui conduit vers des émissions de l’ordre de 325 Mt de CO 2eq, bien supérieures à l’objectif européen de -55 %. Données du Citepa

La SNBC héritée du précédent quinquennat reste calée sur l’objectif intermédiaire de -40 % en 2030. Les décisions de la justice française donnant raison à des ONG environnementales dans le cadre de « l’affaire du siècle » portaient sur le retard pris au début du quinquennat sur cet objectif. Un retard rattrapé depuis, avec l’aide des confinements imposés par le Covid. En revanche, aucune accélération du rythme de décarbonation de l’économie n’a eu lieu. Après le reflux de 2020, les émissions ont rejoint en 2021 la tendance détectable depuis 2005 qui ne conduit pas à une baisse de 55 % en 2030.

Le premier acte de la planification écologique sera de réévaluer l’objectif intermédiaire qui doit être en conformité avec nos engagements européens. Peut-on aller plus loin ? Le programme de la Nupes affiche un -65 % qui questionne sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

Énergie : le triptyque demande, renouvelables, nucléaire

L’utilisation d’énergie fossile étant à l’origine des trois quarts de nos émissions, l’accélération de la transition énergétique conditionne l’atteinte d’une réduction de 55 % des émissions en 2030.

Côté demande, cela implique plus d’actions promouvant l’efficacité et la sobriété énergétiques. Les évaluations détaillées issues des scénarios de l’organisme Négawat donnent la mesure des objectifs à atteindre sans totalement arbitrer sur les moyens à engager.

Côté offre, il convient d’accélérer la substitution de moyens de production décarbonés aux sources d’origine fossile. En premier lieu, cela requiert d’accélérer le déploiement des renouvelables pour lesquels notre pays fait office de lanterne rouge au sein de l’UE.

Cela implique de clarifier le rôle du nucléaire dont la quasi-totalité du parc va atteindre 40 ans dans les prochaines années. Prolonger la durée d’utilisation de ce parc exige un investissement estimé à 50 milliards d’euros par EDF. Renoncer à cet investissement en déclassant les réacteurs à mesure qu’ils atteignent 40 ans priverait le pays de la plus grande partie de ses moyens décarbonés, difficilement substituables par du renouvelable dans les délais impartis.

À terme, par quoi faudra-t-il remplacer le parc nucléaire existant ? Le déploiement de nouveaux réacteurs de type EPR ne pourrait pas fournir de l’énergie décarbonée avant 2035. Compte tenu de la dynamique de baisse des coûts des renouvelables et du stockage de l’électricité, il est douteux que cette voie se justifie au plan économique. Une question à débattre de toute urgence pour introduire de la rationalité économique dans la planification écologique.

Amorcer le virage de l’agroécologie

En 2021, l’agriculture a été à l’origine d’un cinquième des émissions du pays, principalement du méthane et du protoxyde d’azote résultant des pratiques de culture et d’élevage. On ne les réduit pas en agissant sur l’énergie mais en changeant les méthodes de production agricole.

Un verger de pommes en France. Photo : Alexander Sorokopud / Shutterstock.

La voie y conduisant est celle de l’agroécologie qui mise sur trois piliers. Le premier est la diversité du vivant. Le deuxième, ce sont les complémentarités entre le végétal et l’animal. Enfin, le troisième concerne la protection des sols pour stocker la matière organique, l’eau et le carbone. Les retombées de la guerre en Ukraine nous le rappellent avec force. L’objectif n’est pas de produire moins, mais mieux et de façon plus pérenne. Comment ? En accroissant la résilience des systèmes agricoles face au réchauffement du climat.

La France peine à engager le virage agroécologique. La Commission européenne a récemment retoqué le « plan stratégique national » visant à mettre en œuvre les orientations environnementales de la nouvelle PAC. Les émissions d’origine agricole ne reculent pas. Et la capacité du milieu naturel à absorber le CO2 de l’atmosphère décline depuis la moitié des années 2000. La forêt et les sols absorbant une proportion décroissante des émissions agricoles, la perspective de neutralité climatique s’éloigne.

Contrarier ces contre-performances doit être une priorité de la future planification écologique. Cela implique d’agir simultanément sur l’offre et la demande, avec une déclinaison par territoire. C’est une stratégie incontournable pour faire évoluer des modèles agricoles et alimentaires qui ne sont pas compatibles avec nos objectifs climatiques.

Le plan comme « réducteur d’incertitude »

La planification écologique ne va pas nous placer sur des trajectoires linéaires d’émission, comme préprogrammées par un planificateur omniscient. Elle est un chemin d’apprentissages constants, avec des ratés qu’il faut corriger et d’incessantes contradictions traversant le corps social. Trois principes permettront de faire du plan écologique un « réducteur d’incertitudes » suivant la formule de Pierre Massé.

Il convient d’abord de mettre en synergie les différentes échelles territoriales. Une grande partie des actions de réduction d’émissions ou de renforcement de la résilience face au réchauffement ne peuvent se conduire qu’à l’échelle locale. Les outils existants de planification dans les régions et les municipalités ne jouent encore qu’un rôle secondaire. Ils doivent être solidifiés.

Les fumées de la centrale au charbon de Pocerady, République tchèque. Photo : kamilpetran / Shutterstock.

Le second principe concerne la bonne utilisation de l’argent public qui devrait être réservé aux fonctions régaliennes. Cela concerne la recherche et développement, les infrastructures bas carbone et la valorisation des services écosystémiques. Mais aussi la réduction des inégalités ou encore l’accompagnement des reconversions. Pour combattre l’insuffisance criante de ces investissements, il convient d’économiser sur nombre de subventions. Y compris celles favorisant les « produits verts », qui génèrent des effets d’aubaine et contribuent souvent à accroître les inégalités sociales.

Appliquant le principe du pollueur payeur, la tarification carbone constitue, avec les normes, un instrument indispensable pour inciter tous les acteurs économiques à se détourner des énergies fossiles. La dynamique est ici européenne avec le renforcement du système des quotas de CO2. Un volet crucial est son extension à l’ensemble des émissions du transport et des bâtiments. S’il prend au sérieux la planification écologique, le gouvernement français doit défendre ce volet de la réforme.

La justice climatique, condition de l’adhésion citoyenne

Une planification écologique doit enfin reposer sur l’adhésion des citoyens. Des citoyens à qui il ne suffit pas de raconter de beaux récits sur les bienfaits de la transition bas carbone. Une telle adhésion s’obtient en appliquant des règles de justice fondées sur le triptyque pouvoir d’achat, emploi, résilience.

Les impacts des politiques climatiques pèsent plus lourd sur le budget des ménages pauvres ou éloignés des centres-ville. La mise en place de la planification écologique, notamment via la tarification carbone, exige en conséquence des mesures redistributives pour corriger les risques de baisse de pouvoir d’achat des populations les plus vulnérables.

La taxe carbone a montré la nécessité d’une transition juste. Photo : joserpizarro / Shutterstock.

La transition bas carbone va provoquer une accélération des reconversions industrielles et agricoles. Leur financement est le parent pauvre des dépenses publiques fléchées vers cette transition. Anticiper et financer les reconversions professionnelles doit devenir un levier majeur de la planification écologique.

Le réchauffement climatique affecte plus sévèrement les populations qui ont généralement le moins contribué à l’augmentation de l’effet de serre. Et il engendre de nouvelles inégalités. Comme le rappelle le 6ᵉ rapport du GIEC, ces impacts se durciront au fil des prochaines décennies. Et ce quel que soit le scénario global d’émissions.

La planification écologique doit donc comporter un volet sur l’adaptation aux conséquences du réchauffement. Car c’est un autre parent pauvre des politiques climatiques héritées du passé.

A propos de l’auteur : Christian de Perthuis. Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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