Partager la publication "Champagne Drappier : la vigne en héritage, la planète en ligne de mire"
“Une famille, un vin, un terroir.” Chez les Drappier, la devise n’est pas un slogan marketing. C’est une ligne de vie. Implantée à Urville, dans l’Aube, la maison familiale revendique un ancrage fort dans ce coin du sud de la Champagne, où les vignes plongent leurs racines dans un sol jurassique vieux de 155 millions d’années. Depuis des générations, on y cultive l’art de faire du vin comme on tisse un lien invisible entre les hommes, la terre et le temps.
C’est ici que Michel Drappier a pris le relais, en respectant une mémoire tout en engageant une transformation silencieuse. “Le climat, le sol et la tradition humaine ne sont pas reproductibles”, affirme le dirigeant. Mais comment continuer à faire du bon vin quand le climat, lui, dérègle tous les repères ? Bien avant tout le monde, avant que les aides publiques n’existent, en acceptant une perte de marges, dans la solitude de sa vision et de ses convictions, la maison Drappier a entamé la transition écologique de ses 15 hectares de vignes et de tout son processus de production.

Le déclic : laisser la nature respirer… et les papillons revenir
C’est la naissance de sa fille, Charline, en 1989, qui fait basculer Michel Drappier. Cette année-là, il décide de changer de cap, pour elle, pour les générations à venir, et pour l’air qu’on respire à Urville. “J’ai voulu qu’elle grandisse dans un village où l’on respire un air sain. Aujourd’hui, je vois les papillons revenir, et je me dis qu’on a bien fait”, confie-t-il. À une époque où le bio faisait figure d’utopie, il renonce aux intrants chimiques, commence à composter, équipe les bâtiments de panneaux photovoltaïques…
“Ce n’est pas tant ce qu’on a ajouté qui a tout changé, c’est ce qu’on a retiré“, explique-t-il. Moins de chimie, plus de respect du rythme des saisons, une réhabilitation des ‘ravageurs’ devenus ‘auxiliaires’. Le vocabulaire change, les pratiques aussi. Le père de Michel Drappier n’est pas totalement en accord avec ces nouvelles pratiques mais accepte de laisser son fils faire à sa manière. Aujourd’hui, le propre fils de Michel Drappier a même remis des chevaux dans les vignes pour travailler le sol au plus près de la plante. La vigne, longtemps réduite à un simple support de production, a retrouvé son intelligence propre, capable de se défendre, pour peu qu’on lui laisse de l’espace.
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Avec le réchauffement climatique, des vendanges précoces, des vins qui évoluent
Dans les vignes, le réchauffement climatique est bien réel. Il se mesure en degrés, mais aussi en sensations : “Trois semaines d’avance sur les vendanges, des raisins plus sucrés, une acidité en baisse”, résume Michel Drappier. Pourtant, il ne sombre pas dans la nostalgie. Il s’adapte. Il observe. Et il agit. “Travailler le sol en bio, cela redonne de la fraîcheur aux vins. L’acidité naturelle revient, et compense le sucre.”
Cette approche agronomique redonne des armes à la plante. Elle n’est plus livrée à la merci des aléas, elle retrouve un équilibre, une autonomie. “Le bio, c’est une forme de résilience. C’est laisser la nature se protéger. Mais attention, la plante ne peut pas se débrouiller totalement seule. L’homme doit accompagner. Pas diriger, accompagner.” En lui laissant davantage de liberté, en intervenant un peu moins, elle gagne en résilience. “Le biotope avec lequel on cohabite est notre bien le plus cher. Quand on n’y pense, nous ne sommes qu’une poussière dans l’univers. Nous ne sommes rien et, en même temps, avec cette chaîne familiale, avec cet héritage, nous sommes éternels.”

Chez Drappier, vers une viticulture carbone neutre
La conversion écologique ne s’est pas arrêtée aux ceps. Dès les années 2000, la Maison Drappier entame sa mue énergétique. Quatre toitures photovoltaïques, du biocarburant, des tracteurs électriques, du papier recyclé, des encres naturelles, des coiffes en amidon de maïs… la famille et les équipes entament une transformation complète des méthodes.
Dans la balance carbone d’une bouteille, le verre pèse lourd. Très lourd. Jusqu’à 50 % de l’empreinte. Pour limiter l’impact, la Maison travaille avec une verrerie française qui monte à 84 % de verre recyclé. Le verre foncé est préféré au verre blanc, pourtant plus vendeur, notamment pour le rosé. “C’est un choix à contre-courant, mais il protège mieux le vin et coûte moins à la planète.” Là encore, cohérence avant apparence.
Sur le domaine, chaque détail compte. Même les vieilles machines sont gardées : “Pas la peine de faire tourner des usines pour fabriquer six tracteurs neufs, si les anciens fonctionnent avec du bio-carburant”, souligne Michel Drappier. Un pragmatisme écologique qui s’inscrit dans une forme de sobriété heureuse.

Une maison en conversation avec la nature
Ce qui frappe chez Michel Drappier, c’est cette forme de sagesse sereine, à mille lieues des discours anxiogènes. “La nature est plus forte que nous. Elle décide. Nous, on doit apprendre à dialoguer avec elle.” Ce dialogue, il se construit au quotidien, dans la patience, dans l’acceptation des années maigres et la gratitude des récoltes abondantes. “Si la grêle détruit tout, on attendra l’an prochain.” Produire moins, mais mieux. Cette équation, aujourd’hui très en vogue, Michel Drappier l’a expérimentée bien avant l’heure.
“On a perdu 25 à 30 % des volumes en 30 ans, en partie à cause du bio, en partie à cause du climat. Mais on a retrouvé de la valeur.” Face à cette tension sur les rendements, la Maison a réinventé son organisation. Davantage de stock, comme autrefois, pour faire tampon les mauvaises années. Moins de gaspillage. Des investissements pensés dans le temps long. “On travaille comme les anciens, avec un peu plus de technologie et beaucoup plus de patience.” Cette manière de faire, c’est aussi celle d’une famille qui pense à long terme. Trois enfants, six petits-enfants : une chaîne humaine qui relie le passé à l’avenir. “Notre terroir n’est pas reproductible. Il faut le préserver.”

Une exigence qui est poussée jusqu’à la clientèle. La Maison Drappier, champagne préféré du général de Gaulle, ne cherche pas à séduire tout le monde. Elle séduit ceux qui comprennent. Ceux qui aiment les champagnes peu dosés, digestes, sincères. “On fait des vins qu’on aime boire, même si ce n’est pas ce que tout le monde attend.” Le luxe, ici, ce n’est pas l’apparat, c’est la cohérence. C’est boire un peu d’Urville, un peu de cette gelée de coing chère à la famille Drappier et qui colore l’étiquette de son champagne phare. À chaque gorgée, c’est un peu de l’histoire familiale, enracinée dans la terre et les gestes, qui se transmet.

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