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Deep Climate : 20 Français face aux limites de l’adaptation humaine

100 % d’humidité dans la forêt en Guyane française, des températures bien en-deçà de 0 en Laponie, au nord du Cercle polaire arctique en Finlande et des chaleurs intenses et sèches dans les déserts d’Arabie saoudite… tel est le programme des « vacances » de vingt Français « lambda ». Des personnes (scientifiques ou non) – qui n’ont rien de légionnaires sur-entraînés – se sont portées volontaires pour aller expérimenter des conditions météorologiques extrêmes aux quatre coins du globe. C’est le programme « Deep Climate ».

Pendant une trentaine de jours à chaque fois, ils vont progresser dans un environnement hostile par rapport à ce qu’ils ont l’habitude de vivre. « Si vous mettez un Français au beau milieu de la banquise, il va ressentir des conditions extrêmes. Si vous mettez un Inuit dans le métro parisien, c’est la même chose. Tout est affaire de perception et d’adaptation. Une condition extrême se définit comme toutes situations face auxquelles un humain se sent désorienté, déstabilisé voir en douleur, sans posséder de stratégie d’adaptation initiale connue », explique Christian Clot, chargé de l’expédition de recherche Deep Climate. Le but ici est justement de voir comment l’être humain s’adapte.

10 femmes et 10 hommes pour un test de résistance humaine grandeur nature

Son équipe de 10 femmes et 10 hommes revient tout juste du premier volet de cette expérience. Ils ont vécu pendant un mois au beau milieu de la forêt équatoriale en Guyane. Taux d’humidité compris en permanence entre 98 et 100 %, présence de scorpions, araignées et serpents, une nature pour le moins difficile à appréhender… malgré la bonne ambiance dans le groupe, ce ne fut pas tous les jours une partie de plaisir.

Descente en raft sur les rivières en forêt équatoriale guyanaise. Crédit : Lucas Santucci / Human Adaptation Institute.

« Chaque jour, on défaisait le camp et on partait en raft, raconte Marion Rouquier, psychologue. On naviguait de 8 heures du matin à 13-15 heures. On cherchait ensuite un lieu pour monter le camp. Une zone avec assez d’arbres pour accrocher nos hamacs et relativement sécurisé pour ne pas être blessé par la chute d’une branche morte ou autre. Le soir, on lisait ou on répondait à des questionnaires pour connaître notre état (émotion, sommeil, santé, etc.) afin d’évaluer notre adaptation ou non. »

Deep Climate : explorer les limites de l’adaptation

On estime qu’il faut au moins 26 jours pour savoir si on s’adapte ou non à certaines conditions. C’est pourquoi chaque volet de Deep Climate se déroule sur 30 à 40 jours. « Le plus dur de l’expédition en Guyane est qu’on était trempés tout le temps, se rappelle Diane Durand, responsable de programmes humanitaires. Quand on se glissait dans notre hamac le soir venu, c’était le seul moment de la journée où on était à peu près secs. Le plus difficile de l’expédition est qu’il fallait une vigilance constante pour le matériel et vis-à-vis du milieu en raison des animaux ou de la nature qui pouvait être hostile. Moi, je considère que je suis une invitée dans la forêt et donc qu’il faut faire attention à la faune et à la flore pour la préserver au maximum. Mais c’est une vraie charge mentale qui s’accumule car on réfléchit en permanence là où on pose son pied, par exemple. »

Heureusement, après quelques jours de formation au CEFE, le Centre d’entraînement en forêt équatoriale de l’Armée de Terre française en Guyane, l’équipe possédait les bases pour se débrouiller en forêt équatoriale. Et l’expédition n’a eu que des problèmes mineurs. Une morsure due à un scorpion qui s’était glissé dans un pantalon, des cas de mycoses des pieds en raison de l’humidité et quelques mouches qui avaient pondu sous la peau. « Rien de très dangereux mais ça rajoute à la charge mentale », reconnaît Jérôme Normand, médecin anesthésiste réanimateur.

La découverte d’un environnement méconnu

Ce qu’ils retiendront de cette expédition en forêt équatoriale ? Marie-Caroline Lagache, joaillière : « Il y a certains jours où nous ne naviguions pas, souvent pour des raisons de santé, pour laisser des membres de l’expédition reposer leurs pieds abîmés. Nous en avons proposé pour explorer la jungle alentour. Mais ça ne va pas vite : quand on progresse 2 km en 6 heures, on est contents ! »

Autre chose à savoir : « La jungle n’est absolument pas plate. Nous avons passé notre temps à monter et descendre. Et cela a été l’occasion de découvrir les savanes-roches. Ce sont des roches volcaniques très noires, un peu en hauteur et avec très peu de végétation, ce qui est rare en Amazonie. En haut, à 100-150 mètres de haut, on avait parfois une vue à 360 degrés ou presque sur la forêt alentour, c’est assez magique. Ça donnait une belle perspective. »

Au-delà, Deep Climate se pose la question de l’adaptation au futur

« Ce programme Deep Climate a pour but de se poser la question de la capacité humaine à s’adapter à notre futur, explique Christian Clot. Nous sommes à la confluence d’événements majeurs qui ont lieu, pour la toute première fois, de manière concomitante. Il y a le dérèglement climatique, la révolution technologique qui apporte de nouvelles formes de charge mentale et des bouleversements géopolitiques avec la guerre en Ukraine et les tensions entre la Chine et Taiwan. »

Face aux changements climatiques qui vont aller en s’accentuant dans les années à venir, nous manquons de connaissance et d’études des comportements pour comprendre les aptitudes adaptatives in situ de l’être humain. Les expéditions de Deep Climate, et leurs nombreux protocoles scientifiques, doivent permettre de mieux comprendre comment l’humain réagit face à une soudaine situation de crises et sur la façon dont on peut gérer l’anticipation adaptative. Premier bilan tiré de l’expérience en forêt équatoriale guyanaise : « Pour s’adapter et survivre, il est nécessaire avant toute chose d’accepter ces conditions extrêmes. Ensuite, il faut trouver une raison d’être positive, d’émerveillement. Ce n’est qu’alors qu’on peut s’adapter et survivre », conclut Marie-Caroline Lagache.

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