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La Chine sous ultra-haute tension… pour sa plus grande satisfaction

La Chine fait face à un défi énergétique majeur : concilier une demande électrique en constante augmentation avec ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si le pays a toujours recours à beaucoup trop de charbon pour soutenir sa consommation et demeure encore le premier émetteur mondial de CO2, il installe aussi deux fois plus de capacités renouvelables que tous les autres pays de la planète réunis. Et les énergies renouvelables (qui incluent aussi la production hydroélectrique) représentent désormais plus de 37 % de la capacité électrique totale du pays, selon les chiffres de mi-2024 de Global Energy Monitor.

Mais dans cette course à la transition énergétique, la Chine doit également surmonter un obstacle géographique de taille : sa production d’énergie est principalement située dans le nord et l’ouest, bien loin des centres de consommation à l’est et au sud. C’est dans ce contexte que le développement du réseau UHV (Ultra HIGH Voltage ou Ultra-Haute Tension) prend tout son sens. Une ligne de ce type est conçue pour transporter de grandes quantités d’électricité sur de longues distances avec des pertes minimales, généralement à des tensions supérieures à 800 kV. Elle est essentielle pour intégrer les énergies renouvelables, souvent situées loin des villes, au mix énergétique.

Le 5 octobre 2024, dans les montagnes de la province du Sichuan, des ouvriers ont achevé l’assemblage d’un pylône de 123 mètres de haut et de 277 tonnes, équipement d’une nouvelle ligne UHV. Crédit : nc.sgcc.com.cn

Un réseau Ultra-Haute Tension imaginé dès… 2004

Depuis 2006, la Chine a construit un impressionnant réseau de lignes UHV. Moins de vingt ans après le lancement de ce projet pharaonique, le pays compte déjà 38 projets UHV achevés, couvrant plus de 50 000 kilomètres, selon China Power Equipment Management Net. Ce déploiement massif témoigne de l’engagement du pays dans cette technologie révolutionnaire. Et une planification très en amont qui prend tout son sens aujourd’hui. C’est fin 2004 que le projet a commencé, lorsque Liu Zhenya, alors président de la State Grid Corporation of China, et Ma Kai, directeur de la Commission nationale du développement et de la réforme, échangent, lors d’un trajet en voiture, sur la pénurie de ressources électriques en Chine.

Fragile et fragmenté, le réseau de l’époque n’allait pas tenir face à la demande croissante du pays. Les nombreuses et fréquentes coupures d’électricité partout dans le pays en étaient la preuve. Ma Kai évoque alors les dernières avancées en matière de technologie ultra-haute tension et propose de se lancer dans ce chantier colossal. Un an plus tard, Liu Zhenya a imaginé un plan et gagné le surnom de “père des lignes électriques ultra-haute tension” en Chine.

Aujourd’hui, grâce à des investissements massifs, le déploiement de nouvelles lignes est plus que jamais d’actualité. La State Grid Corporation of China (SGCC), principal acteur de ce développement, a rapporté des investissements colossaux pour l’année 2024. Avec un budget de 500 milliards de yuans (environ 70 milliards de dollars), la société d’État est en train de compléter six lignes UHV à courant alternatif et de lancer plusieurs nouveaux projets UHV. Ces investissements visent non seulement à renforcer la stabilité de l’approvisionnement électrique, mais aussi à accroître la consommation d’énergies propres.

Des lignes Ultra-Haute Tension qui sont de véritables prouesses technologiques

La Chine a établi plusieurs records mondiaux dans le domaine de l’UHV. En 2018, le pays a mis en service une ligne UHV en courant continu de 1 100 kV, capable de transmettre 12 GW sur plus de 3 000 kilomètres entre le nord-ouest et l’est du pays. Cette ligne peut satisfaire les besoins en électricité de 50 millions de foyers chinois, avec une capacité de transmission de 66 TWh par an. Plus récemment, en février 2022, la construction de la ligne Jinchang-Hubei a débuté. Ce projet de 800 kV s’étend sur 1 901 kilomètres et traverse quatre régions provinciales, faisant de lui le projet UHV en courant continu le plus élevé en altitude au monde.

Pour réussir à transporter de tels voltages sur autant de kilomètres, le réseau UHV chinois repose sur une innovation constante. Par exemple, les ingénieurs chinois ont conçu des transformateurs UHV capables de supporter des tensions extrêmes, ainsi que des systèmes de contrôle avancés pour gérer les flux d’énergie complexes. En témoigne le centre de répartition de l’électricité pour toute la Chine, installé dans la capitale :

Le centre national de contrôle du réseau électrique, basé à Beijing, contrôle notamment les lignes ultra-haute tension du pays et surveille l’utilisation des énergies renouvelables. Crédit : State Grid Corp. of China.

Innover pour consommer l’électricité loin de son lieu de production

La recherche et développement en matière de lignes UHV ne cesse de progresser. Des instituts spécialisés, comme le China Electric Power Research Institute, travaillent sur des technologies de nouvelle génération pour améliorer encore l’efficacité et la fiabilité des systèmes UHV. Il faut dire que le déploiement de ce nouveau réseau joue un rôle crucial dans la transition énergétique de la Chine. Par exemple, le projet photovoltaïque Tengger Desert 3.3 GW, une fois achevé, permettra d’économiser 1,92 million de tonnes de charbon standard chaque année. Mais il est situé à quelque 1 200 km de Beijing, à 2 000 km de Shanghai ou encore à 2 300 km de Guangzhou ou Shenzhen. Sans un réseau UHV, la consommation électrique ne pourrait se faire que dans un rayon restreint. Le réseau UHV change donc la donne.

Cette capacité à transporter l’énergie propre est essentielle pour la Chine, qui s’est engagée à atteindre le pic de ses émissions de carbone avant 2030 et la neutralité carbone avant 2060.

Des composants XXL sont nécessaires pour permettre à la technologie ultra-haute tension de faire passer jusqu’à 1 100 volts sur les câbles. Ici, un transformateur de 800 tonnes créé par l’entreprise suisse ABB et déployé en Chine par l’entremise d’une coentreprise. Crédit : ABB

Une modernisation du réseau électrique qui est aussi un bienfait économique et social

En lançant ce projet au début des années 2000, Ma Kai et Liu Zhenya avaient aussi en tête le dynamisme économique du pays. Dès le départ, il a été décidé que 90 % des équipements UHV seraient produits par des fournisseurs chinois nationaux, créant ainsi un nouveau secteur d’exportation de haute technologie pour la pays. Effectivement, aujourd’hui, la filière stimule l’industrie manufacturière chinoise, créant des emplois dans la production d’équipements de haute technologie. De plus, en améliorant l’accès à l’électricité dans les régions reculées, il contribue au développement économique de ces zones.

L’expansion du réseau UHV favorise également l’émergence de parcs éoliens et solaires de grande envergure construits dans des régions éloignées, sachant que l’électricité produite pourra être efficacement acheminée vers les centres de consommation.

Un réseau ultra-haute tension qui se doit d’être résilient

Mais le déploiement du réseau UHV en Chine n’est pas sans défis. La gestion de la stabilité électrique dans un système mixte de courant alternatif et continu reste très complexe. Les ingénieurs doivent constamment développer de nouvelles solutions pour maintenir l’équilibre du réseau face aux fluctuations de production et de demande. Autre difficulté, et non des moindres : faire face aux phénomènes naturels extrêmes. Les lignes UHV, qui traversent souvent des terrains difficiles, doivent résister à des conditions météorologiques sévères, des tremblements de terre et d’autres risques naturels (inondations, fortes tempêtes…).

Des technologies de surveillance avancées et des matériaux innovants sont constamment développés pour améliorer la résilience du réseau. De plus, la régulation d’un réseau électrique aussi vaste et complexe nécessite une coordination étroite entre différentes entités gouvernementales et entreprises d’État. Ce qui n’est pas sans heurts. Certaines régions riches préfèrent ainsi développer leurs propres réseaux, à proximité des principales zones de production.

Les réseaux UHV : une manne pour la Chine à l’export ?

Si la dynamique reste intense en Chine, son plan énergétique 2021-2025 prévoit la construction de 38 projets UHV supplémentaires, cette expansion ne se limite pas aux frontières chinoises : le pays cherche également à exporter son expertise, avec des projets en cours en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine, notamment au Brésil. L’un des projets les plus ambitieux est la création d’un “super réseau” asiatique, qui relierait la Chine à ses voisins, permettant un partage d’énergie à l’échelle continentale. Ce projet pourrait révolutionner le paysage énergétique de la région, en optimisant l’utilisation des ressources renouvelables et en renforçant la sécurité énergétique.

La station de conversion électrique de la phase II du projet de transmission UHV depuis le barrage de Belo Monte jusqu’à Rio de Janeiro, au Brésil. Le projet est mené par l’entreprise d’État China State Grid. Crédit : China State Grid.

Au-delà, le pays envisage la création d’un giga-réseau électrique mondial, une initiative portée en Chine par la Global Energy Interconnection Development and Cooperation Organization (GEIDCO). L’idée, dévoilée par le président Xi Jinping lors d’un sommet des Nations Unies en 2015, est de relier les réseaux nationaux au cours des trois prochaines décennies.

Un jour, un réseau UHV interconnecté mondial ?

Ce projet visionnaire, mais qui n’existe pour l’heure que sur le papier, propose de connecter les continents par des lignes UHV pour optimiser l’exploitation des ressources renouvelables à l’échelle planétaire. Un concept de réseau mondial qui soulève des questions fascinantes sur l’avenir de l’énergie… mais interroge aussi car il faudrait pour cela une réelle stabilité géopolitique, difficilement imaginable dans le contexte actuel. Pourtant, cette interconnexion mondiale pourrait permettre d’exploiter les ressources renouvelables là où elles sont les plus abondantes et de les distribuer efficacement à l’échelle mondiale.

L’expérience chinoise en matière de lignes ultra-haute tension, très en avance sur le reste du monde, offre des leçons précieuses. Elle démontre qu’avec une vision à long terme, des investissements soutenus et une innovation technologique continue, il est possible de transformer radicalement l’infrastructure énergétique d’un pays. Alors que d’autres nations cherchent à décarboner leurs économies et à intégrer davantage d’énergies renouvelables, le modèle chinois de réseau UHV pourrait bien inspirer des projets similaires à travers le globe. À condition d’une planification sérieuse et d’investissements massifs.

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