Parler de religion catholique sur TikTok, c'est le pari d'une poignée de curés en France. Crédit : image générée par IA.
Il a un large sourire, les joues empourprées par l’air des montagnes qui entourent Ars-sur-Formans (Ain). Ici, dans ce petit village où il officie, le père Gaspard Craplet, 50 ans, est bien plus qu’un prêtre local : il est une star… sur TikTok. Pour séduire les jeunes en quête de sens, l’Église a compris qu’il fallait utiliser les réseaux sociaux afin d’établir un dialogue direct avec eux. Et elle compte sur des hommes comme le père Craplet, qui a fait le grand saut. Avec 86 300 abonnés sur TikTok et plus de 180 000 toutes plateformes confondues, il fait partie de ces figures atypiques qui redonnent à la foi une voix et un visage contemporains. Pour cet ancien ingénieur et officier de marine de réserve, fils et petit-fils de chasseurs alpins, tout a commencé au sommet, dans les Alpes, où il organisait des camps spirituels mêlant randonnées, bivouacs et prières. À 4 806 m d’altitude, il prêchait déjà une communion avec Dieu par la nature.
Mais c’est la pandémie de Covid-19 qui l’a poussé, comme d’autres, à franchir le pas numérique. Le 20 février 2022, il monte un autel de fortune sur une cime enneigée et prend la pose, avant de poster sa première vidéo intitulée Les objections au sacrement de la confession. Au fil des publications, l’enthousiasme s’accroît. Ses catéchèses hebdomadaires, abordant des sujets aussi variés que la chasteté, la pornographie ou encore la drague et le consentement, rencontrent un succès inattendu auprès des jeunes Tiktokeurs, mais aussi de leurs parents et grands-parents.
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Parmi les followers de Gaspard Craplet, des internautes d’autres confessions et même des athées en quête d’une spiritualité différente. Ce qui attire les foules ? “Je parle vrai et j’aborde des thématiques qu’il est difficile d’évoquer dans le cadre d’une homélie ou face à face”, explique-t-il, convaincu que la distance induite par les écrans libère la parole. Reste que capter un auditoire en trente secondes représente un sacré défi. Le père Craplet a choisi des formats courts, et comme il “n’aime pas le côté gourou”, un jeune lui pose une question et il répond face caméra. C’est prêt en dix minutes et sans montage.
“J’avais peur d’être à court de sujets, mais les questions des jeunes sont infinies”, confie-t-il. Le prêtre cultive une sobriété qui tranche avec les apparitions très travaillés de ses collègues. Par exemple, celles du frère Paul-Adrien (171 200 abonnés), qui allient effets spéciaux et mises en scène, et nécessitent dix heures de travail par jour ainsi que l’aide de toute une équipe. Ou encore le site Padreblog (514 700 abonnés sur TikTok), animé par trois prêtres en soutane, qui véhicule une image plus solennelle à travers des vidéos élaborées.
Gaspard Craplet, lui, s’approche plus du format choisi par sœur Albertine (148 100 abonnés) qui, face caméra elle aussi, embarque les jeunes dans son quotidien tout simplement, déconstruisant au passage les clichés autour de la religion et s’érigeant contre la hiérarchie des sexes. Ce qui plaît évidemment aux Tiktokeuses. Chacun son style, mais tous partagent une même mission : rendre l’Église plus accessible.
Cette aventure n’est pas sans heurts. Sur les réseaux sociaux, on est loin de la discrétion du confessionnal et le moindre mot peut provoquer une tempête. À cause de la question “Un chrétien peut-il manger halal ?”, le père Craplet a dû faire face aux posts virulents de Tiktokeurs musulmans qui s’étaient sentis insultés. On alla jusqu’à le surnommer “Père Bardella”. Même polémique, lorsqu’à la question “Puis-je forcer mon épouse à porter le voile ?”, il répondit : “La femme a sa propre dignité, ce n’est pas à l’homme de l’imposer”.
Ou encore lorsqu’il aborda la pédophilie, provoquant un flot d’accusations mensongères auxquelles il s’efforça de répondre. Gaspard Craplet s’attire autant de louanges que de critiques acerbes, mais il persiste, convaincu de l’impact positif de sa mission numérique. “Je sais que mes vidéos font du bien, alors ce n’est pas grave si on me lynche.” Un jour, un Tiktokeur lui a confié : “Vous sauvez ma vie !” “C’est ce qui me fait tenir”, conclut-il.
Mais l’Église veille au grain. Si elle encourage ses prêtres à se moderniser, elle leur impose des règles strictes : porter une parole universelle, éviter les polémiques, ne pas dire ce que l’Évangile ne dit pas, ne pas se comporter comme une personnalité publique et, surtout, ne pas devenir plus influenceur que prêtre. Une dérive qui, à l’ère des likes et de l’ego digital, guette plus d’un pasteur 2.0. Après avoir affirmé, en 2021, que l’homosexualité n’était pas un péché, le père Matthieu Jasseron s’était attiré les foudres de sa hiérarchie et a, depuis, quitté les réseaux et la prêtrise. À l’époque, la Conférence des évêques de France s’était fendue d’un communiqué, rappelant qu’elle désapprouvait “certaines vidéos qui dénaturent le message de l’Église”.
Et demain ? Avec l’essor de l’intelligence artificielle, la spiritualité en ligne pourrait franchir un nouveau cap. Deus in Machina, un Jésus virtuel, dialogue déjà avec des fidèles dans cent langues. Mais sera-t-il capable de concurrencer la proximité et la spontanéité d’un prêtre en chair et en os sur TikTok ? Dans ce nouvel écosystème numérique, les prêtres-Tiktokeurs incarnent à la fois l’avenir d’une Église connectée et les limites de la foi à l’ère digitale. Reste à voir jusqu’où les mènera cette voie, commencée à mi-chemin entre les cimes de la foi et l’arène des réseaux.
Pour aller plus loin : La Joie de la confession, de Gaspard Craplet, Yeshoua éditions, 64 pages, 8 €.
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