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À Saint-Pierre-les-Étieux, un parquet révolutionnaire pour réinventer toute une filière

Saint-Pierre-les-Étieux (Cher, 18), Centre-Val de Loire – Tout commence par une nuit d’insomnie. “Une nuit de février 2022, j’ai eu l’idée du brevet, du système, et même des machines pour le produire”, se souvient Samuel Deschaumes. À la tête d’une entreprise familiale de 70 personnes installée à Saint-Pierre-les-Étieux depuis plusieurs générations, il imagine un parquet qui ne serait plus collé ni cloué, mais emboîté. Un parquet capable de durer aussi longtemps que le matériau dont il est fait : du chêne français. Qui plus est, il nécessite trois fois moins d’arbres coupés pour la même surface de parquet utile grâce à un gros travail d’éco-conception.

Trois ans plus tard, Naofloor est devenu réalité. Premier parquet en bois massif démontable, réemployable et réutilisable, il est aussi, selon son créateur, le premier revêtement de sol neutre en carbone. “C’est un parquet massif qui, pour la première fois, va avoir la durée de vie du matériau et pas la durée de vie du parquet massif. Et ça, c’est un changement de paradigme.” En moyenne, un parquet massif classique a une durée de vie de 48 ans. “En réalité, sa durée de vie théorique est de neuf siècles. Dans notre analyse du cycle de vie, nous partons sur une durée de vie de 180 ans. Pourquoi ? Parce que c’est le temps qu’il faut à un chêne pour atteindre sa maturité”, explique Samuel Deschaumes.

Naofloor château d'Ainay-le-Vieil
Le tout premier chantier de Naofloor a été réalisé au château d’Ainay-le-Vieil, également dans le Cher. Crédit : Naofloor.

Une “petite” entreprise, un grand saut industriel

Pour y parvenir, l’entreprise Deschaumes a dû tout repenser. “J’ai calculé que cela représentait 120 % de notre chiffre d’affaires en investissements”, se souvient le dirigeant. Impensable sans soutien. Grâce à un appel à projets lancé par l’ADEME, dans le cadre de France 2030, le projet décolle. Mais pas sans rigueur : “J’ai passé trois heures face à un comité de 19 experts pour défendre le projet, son impact carbone, son éco-conception.”

Le résultat : une ligne de production unique, des machines sur mesure, une innovation technique brevetée (Blockmoove), et une usine repensée pour être décarbonée. Aujourd’hui, Deschaumes produit quatre fois plus de parquet qu’il y a trois ans, tout en ayant réduit de 30 % ses émissions de gaz à effet de serre. Grâce à cet effort de structuration, l’entreprise est aujourd’hui entreprise à mission, engagée dans la trajectoire SBTi (Science Based Targets Initiative) pour 2030 et 2050. “Et nous serons au rendez-vous dès 2030”, promet le dirigeant.

L’enjeu dépasse largement la seule prouesse technique. Car la filière bois en France souffre : on exporte du bois brut, on réimporte du bois transformé. Et dans les feuillus, les outils de transformation manquent cruellement. Résultat : des territoires forestiers riches, mais des emplois qui s’échappent. Naofloor propose une autre voie. “En stabilisant la demande sur du chêne français, transformé localement, on crée une dynamique économique complète autour de nous”, explique Samuel Deschaumes. Du forestier au scieur, du transporteur à l’artisan poseur, toute une chaîne de valeur peut se (re)structurer à l’échelle régionale. “Il n’y a pas un centime qui est rentable au départ, mais moi, je vous l’assure, c’est l’avenir du Groupe Deschaumes”, insiste le président, quatrième génération de la famille à exploiter le bois.

Naofloor, un produit pensé pour durer et circuler

Naofloor, c’est un parquet qu’on pose aussi facilement qu’un stratifié, mais sans colle ni clips. “Le système est invisible, il ne casse pas. Il permet de démonter et de remonter plusieurs milliers de fois. Nous avons mis au point un emboîtement avec un arc-boutant très travaillé. L’usinage se fait au centième de millimètre”, s’enorgueillit Samuel Deschaumes. Testé par le Centre technique du bois, le système permet même le réusinage des lames.

Un système qui a même su convaincre des grands noms du luxe. L’horloger Vacheron Constantin a adopté Naofloor pour ses événements temporaires, démontant et remontant les mêmes lames à chaque fois. Un exemple parmi d’autres de la souplesse de ce matériau biosourcé, conçu pour la modularité.

Naofloor
Exemple d’emboîtement de deux lames de parquet en bois massif Naofloor. Crédit : DR.

Un ancrage local, des ambitions globales

Naofloor est fabriqué exclusivement en chêne massif issu de forêts françaises gérées durablement. L’entreprise, labellisée Origine France Garantie, revendique un modèle fondé sur la proximité. “On ne vendra jamais ce parquet plus cher qu’un parquet classique. On veut que Naofloor devienne un standard, pas un produit pour une élite. Ce doit être un produit utile, réutilisable, raisonnable”, précise Samuel Deschaumes. Pour aller plus loin, il défend une stratégie territoriale d’approvisionnement : contractualiser directement avec les propriétaires forestiers, les coopératives, les scieurs.

Et à l’étranger ? Ce sera sous forme de licences locales. “Naofloor sera produit avec du bois local. Exporter des grumes, c’est une ineptie. Si on fabrique notre parquet au Canada, ce sera avec du bois canadien.”

Ce parquet démontable est un catalyseur : autour de lui, c’est tout un écosystème qui se forme. Des artisans formés à la pose sans colle, des architectes séduits par la démarche, des collectivités intéressées par un produit circulaire pour leurs bâtiments publics et leurs événements. Voilà un exemple concret de ce que peut produire une innovation de territoire, quand elle est pensée avec et pour ceux qui y vivent.

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