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À Paris, Fludis met la Seine au centre de la logistique urbaine décarbonée
Paris (75), Île-de-France – À l’aube, pendant que Paris somnole encore, un bateau glisse discrètement sous le pont de l’Alma. À son bord, pas de croisiéristes mais une flotte de vélos cargos prêts à s’élancer. C’est Fludis. Depuis 2019, cette entreprise pilotée par Gilles Manuelle transforme la Seine en artère logistique décarbonée, loin du tumulte des bouchons et des camions.
“Le transport fluvial est évidemment une solution d’avenir. Pourtant, cette solution est décroissante depuis 150 ans. Aujourd’hui, pour décarboner et désengorger les voies terrestres, il faut revenir à des organisations plus organiques, plus naturelles. L’axe de la Seine en fait partie”, plaide le président-fondateur. Son idée ? Transformer un bateau – électrique – en entrepôt flottant, qui alimente directement des livreurs à vélo-cargo au plus près des destinataires. Cette barge sert donc à la fois de lieu de stockage, de moyen de transport et de base arrière pour la livraison en dernier kilomètre.

La Seine, dernier axe non saturé de la capitale et alentour
Dans les faits, cette approche hybride adoptée par Fludis combine efficacité et gain de temps. “Le réseau ferroviaire et le réseau routier sont saturés. Par le fleuve, nous avons une garantie de pouvoir livrer en temps et en heure. Il y a beaucoup moins d’aléas”, explique-t-il. Mieux encore, les équipes profitent de la navigation pour préparer les livraisons, rendant chaque mètre carré utile. “On fait la préparation pendant la navigation. Il n’y a pas de perte de temps.”
Le système évite également les ruptures de charge multiples qui compliquent les livraisons urbaines traditionnelles. “On a une seule rupture de charge. L’idée, c’est que la marchandise aille du site de production au bateau, puis du bateau au client final.” Résultat : moins de camions dans Paris, moins de pollution, et des horaires de livraison tenus.

Au-delà de la performance logistique, la solution Fludis transforme aussi le quotidien des équipes. “C’est un cadre de vie agréable, plus confortable que dans une entreprise classique.” En redonnant une fonction économique au fleuve, Fludis ravive un patrimoine endormi et propose une autre façon de vivre la ville. Mais la voie n’est pas totalement libre. Entre croisières, loisirs aquatiques et future baignade dans la Seine, les usages se multiplient. “Il va y avoir trois piscines dans la Seine en 2025 dans Paris. Ça va prendre 180 mètres de linéaire. Il va falloir discuter pour un partage équitable des usages et garder de la place pour les activités logistiques.”
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Fludis : des vélos pour le dernier kilomètre
Chaque vélo cargo embarque environ 200 kilos, avec une moyenne de 700 kilos livrés par unité et par jour. Les livreurs enchaînent les tournées avec un rythme bien rôdé : une heure et demie de livraison, retour au quai, recharge, et c’est reparti. Une mécanique fluide qui repose sur une organisation millimétrée. “Matin et après-midi, les vélos font des rotations, à raison de quatre tours par jour”, précise Gilles Manuelle.
En supprimant les trajets depuis les entrepôts de banlieue, Fludis gagne un temps homme considérable. “Ce temps perdu, nous, on ne l’a pas. Nos livreurs font du tri et sont déjà en opération de livraison, là où nos confrères sont encore sur la route.”

La nécessité de s’inscrire sur le temps long pour Fludis
Mais ce modèle, aussi séduisant soit-il, a un coût. Les barges logistiques, propulsées à l’électrique, nécessitent des investissements lourds. Et les clients doivent s’engager sur la durée. “On ne peut pas financer des bateaux de quelques millions avec un contrat de transport de deux ans. Il faut considérer ces investissements comme de l’immobilier. C’est poruquoi nous demandons à nos clients de signer des contrats de 6 ou 9 ans.”
La culture du transport urbain, encore très routière, reste à faire évoluer. “C’est une innovation de rupture. Le monde du colis n’avait jamais mis les pieds sur l’eau. Il faut du temps.” Gilles Manuelle en sait quelque chose : en 2001, il fondait La Petite Reine, pionnière de la livraison à vélo en France. À l’époque, personne n’y croyait. Aujourd’hui, c’est une évidence.

Bordeaux, Lyon… une idée complètement “barge” qui essaime
En quatre ans, Fludis a multiplié les projets. Une nouvelle unité logistique, une barge de 76 mètres de long, est en construction. La société opère déjà sur le Canal Saint-Denis pour transporter les colis de La Poste. “On va éviter 250 000 kilomètres par an de trajet entre Gennevilliers et Boulogne-Billancourt”, affirme-t-il. Trente camionnettes qui polluent en moins, chaque jour. Fludis prépare aussi une expansion à Lyon et Bordeaux. Pour la cité des gones, cela passera par l’acquisition d’un autre expert en logistique fluviale.
Mais d’autres territoires nécessitent encore un accompagnement public. “À Bordeaux, il n’y a plus d’infrastructures fluviales. La métropole doit investir sur la partie infrastructure afin que nous puissions accéder aux berges”, pointe Gilles Manuelle. À Paris ou Lyon, les quais existent déjà. Il suffit d’y accoster.

Le pari d’un futur fluide
Pour Gilles Manuelle, le frein n’est pas technologique, mais culturel. “Charger un bateau, décharger un bateau, ça s’est fait depuis des milliers d’années. Le défi, c’est de faire bouger les lignes mentales.” Et c’est sans doute là que Fludis excelle le mieux : conjuguer bon sens, logistique et audace entrepreneuriale pour redonner du sens aux gestes les plus quotidiens.
Le fleuve redevient une solution parmi d’autres, une pièce du puzzle urbain. “Il y a une dynamique qui est lancée. Ce qui n’était pas le cas il y a 5-6 ans. On sent qu’il va y avoir de nouvelles unités, de nouvelles solutions.” Pour livrer propre, au fil de l’eau.

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