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En Martinique, des bactéries de la mangrove pour produire de l’électricité

À l’heure du changement climatique, la recherche sur de nouveaux types d’énergies renouvelables bat son plein. La diminution des ressources fossiles ainsi que l’augmentation des prix des carburants incitent à la diversification énergétique. Plusieurs équipes internationales et françaises travaillent au développement de nouveaux dispositifs. Parmi eux, une innovation peu connue : la « pile microbienne », ou « pile à bactérie », qui utilise des bactéries pour dégrader des composés organiques et récolter un courant électrique.

Ce dispositif présenterait l’avantage d’être peu onéreux et de pouvoir utiliser des eaux usées comme combustible. Il permettrait aussi, une fois optimisé, de limiter l’utilisation de piles chimiques contenant des produits toxiques pour l’environnement. Ces piles à bactérie fournissent de faibles puissances, et permettraient par exemple d’alimenter des LED ou des capteurs de température.

Une technologie étudiée depuis le début des années 2000

Cette technologie fait véritablement l’objet de recherche depuis le début des années 2000. Après la découverte de bactéries très spéciales capables de transférer des électrons à des surfaces solides conductrices. La production électrique pourrait être couplée à d’autres fonctions de cette pile. Le traitement d’eaux usées par exemple, en diminuant leur charge organique. Mais aussi la décontamination en polluants d’eaux riches en pesticides. Ou encore la synthèse de molécules d’intérêts comme le phosphate, intéressant pour l’agriculture.

Des bactéries Rhodopseudomonas palustris, en rouge, colonisent une électrode conductrice à base de graphène. Toby Call, Department of Engineering, University of Cambridge, Flickr, CC BY-NC-ND

Mais pour améliorer cette technologie, il est notamment nécessaire d’identifier des bactéries capables de vivre dans les conditions très particulières de la pile à bactérie. Elles doivenbt supporter absence d’oxygène, pH neutre, conductivité élevée… Un des enjeux est de trouver des bactéries qui sont adaptées à des milieux très salés. Et qui permettent aux ions, et donc au courant électrique, de bien circuler.

La mangrove martiniquaise, milieu source de bactéries électroactives

Les chercheurs du Laboratoire des matériaux et molécules en milieu agressif (L3MA) évaluent le potentiel pour la pile microbienne d’un environnement particulier : la mangrove.

La mangrove est un environnement humide tropical. C’est un écosystème très particulier présent en Martinique et dans les littoraux des régions tropicales en général. La forêt de mangrove joue un rôle très important pour les territoires comme la Martinique. En plus de leur fonction nourricière et d’habitat pour nombre d’espèces animales, elles constituent également une barrière naturelle protectrice de l’île. Elles limitent l’érosion des côtes par exemple et la protégeant des catastrophes naturelles.

La mangrove présente des conditions idéales pour la croissance de bactéries uniques… et contient des espèces bactériennes électroactives qui peuvent être utilisée dans les piles à bactéries. Les salinités y sont très importantes en raison de l’entrée de l’eau de mer. Et les communautés bactériennes qui y vivent sont adaptées à ces concentrations importantes.

Certaines bactéries peuvent transférer des électrons à des métaux

Une bactérie « électroactive » est capable d’extraire les électrons dont elle a besoin pour respirer. C’est-à-dire transformer du dioxygène dissous dans l’eau, lieu de vie des bactéries, en dioxyde de carbone. Elle trouve ces électrons à partir d’un matériau conducteur solide comme du fer ou du manganèse présent dans son environnement, grâce à ce que l’on appelle le « transfert électronique extracellulaire ».

Ainsi, la bactérie Geobacter metallireducens a été découverte en 1987 dans le lit sédimentaire de la rivière Potomac, aux États-Unis. Cette bactérie utilise des poils sur sa surface. Cela lui permet de « respirer » des oxydes de fer (hématites) présents dans son milieu de vie. Les bactéries électroactives peuvent aussi bien extraire des électrons de matériaux solides qu’en fournir à ces mêmes matériaux.

Le fonctionnement de la pile microbienne

La « pile à combustible microbienne » est un dispositif capable de convertir directement l’énergie chimique contenue dans des composés organiques en énergie électrique. Cela est rendu possible grâce au travail des bactéries électroactives.

Schéma d’une pile microbienne à double compartiment doté chacun d’une bioélectrode (électrode + biofilm bactérien). En jaune et vert sont représentés les agrégats (biofilms) de bactéries électroactives à la surface des électrodes solides en gris. Un biofilm récupère les électrons du milieu pour les transférer au circuit électrique via l’anode, l’autre biofilm récupère les électrons provenant du circuit électrique pour les transférer au milieu. Paule Salvin, Fourni par l’auteur

Son schéma le plus classique prévoit deux compartiments séparés par une membrane, qui permet d’échanger les ions entre les compartiments. Dans le compartiment anodique de la pile, les composés organiques sont dégradés par les bactéries pour récolter les électrons qui sont ensuite transférés à l’anode solide. Un flux d’électrons est alors possible dans le circuit électrique reliant l’anode à la cathode. C’est le courant électrique que l’on pourra utiliser. Pour équilibrer le flux de charge électrique, les protons migrent de la borne « moins » à la borne « plus » en traversant la membrane échangeuse de protons.

Des électrodes « biologiques »

Dans l’exemple présenté ici, les deux électrodes de la pile sont dites « biologiques ». Car elles sont couvertes par des biofilms bactériens. Ce sont des agrégats de bactéries électroactives adhérées à la surface des électrodes et engluées dans une substance à base de polymères qu’elles ont sécrétée. Les biofilms des deux électrodes peuvent être composés des mêmes bactéries ou de communautés distinctes. En effet, certaines bactéries sont préférentiellement actives sur une anode alors que d’autres préféreront le fonctionnement cathodique.

Photographie par microscopie électronique à balayage d’un biofilm électroactif à la surface d’une anode en graphite. On peut observer les bactéries à la surface d’une anode en graphite immergée dans un milieu sédimentaire : les bactéries sont les petits bâtonnets lumineux et la matrice est floutée au-dessus de ces bâtonnets. L3MA, Fourni par l’auteur

Des bactéries qui contrôlent les réactions chimiques de la pile

L’atout majeur de cette pile électrochimique réside dans le contrôle des réactions chimiques par les bactéries. Mais ce n’est pas son seul atout. En effet, on peut aussi grâce à cette pile éviter l’utilisation de produits chimiques toxiques ou agressifs pour l’environnement. Comme c’est le cas dans les piles chimiques classiques.

De fait, il existe de nombreuses sources contenant tous les éléments nécessaires au fonctionnement des piles microbiennes. Et on retrouve des bactéries électroactives dans les eaux de mer, les sédiments marins ou de rivière. Mais aussi dans les eaux usées domestiques ou industrielles, le système digestif humain ou de souris, les plaques dentaires… On peut alimenter les bactéries de la pile – et donc la pile – grâce à des substrats organiques simples comme de l’acétate ou encore du glucose. Ou plus d’autres plus complexes comme des effluents domestiques ou industriels, par exemple. Tout ceci permettrait de concevoir ces dispositifs à moindre coût.

La recherche n’a pas encore révélé tout le potentiel des bactéries électroactives

La pile à combustible microbienne n’a pas encore montré tout son potentiel. En effet, pour optimiser les échanges électroniques des bactéries et ainsi booster les performances des piles, il sera nécessaire de mieux comprendre ces mécanismes.

De plus, les bactéries électroactives découvertes peuvent être impliquées dans d’autres processus. Et aider à produire des molécules d’intérêt, comme le phosphate, le méthane ou encore l’hydrogène. Ainsi, dans l’avenir, pourraient être proposées des solutions d’alimentation en énergie utilisant les déchets – eaux usées domestiques ou industrielles – qui permettraient un cercle plus vertueux de consommation.

À propos de l’autrice : Paule Salvin. Maîtresse de Conférences, spécialiste des biofilms électro-actifs issus des zones humides, Université des Antilles

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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