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Les cellules solaires organiques vont-elles révolutionner la production photovoltaïque ?

Inventées par le physicien et chimiste sino-américain Ching Wang Tang au milieu des années 1980, les cellules solaires organiques sont des dispositifs photovoltaïques dont la couche active, qui est composée d’une matière moléculaire, le plus souvent des polymères, est imprimée sur une fine bande de film, à la fois souple, transparente, et résistante, en y ajoutant des électrodes.

Alors que l’efficacité initiale de cette technologie était très faible, des avancées récentes la rende presque aussi performante que les panneaux photovoltaïques traditionnels, ce qui ouvre la voix à un grand nombre de nouvelles applications, et laisse présager une diversification à grande échelle de la production d’électricité solaire. Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle étape de la transition énergétique ?

Produire de l’électricité depuis n’importe quelle surface

Comme les cellules organiques sont extrêmement souples, elles bénéficient d’ une grande polyvalence d’utilisation, contrairement aux panneaux traditionnels rigides, lourds et encombrants. Parfaitement adaptées à des usages où l’élasticité et la légèreté sont des critères déterminants, elles peuvent recouvrir l’enveloppe d’un bâtiment, la carrosserie d’un véhicule, la coque d’un smartphone, épouser le revêtement d’une toiture ou être insérées dans le tissu d’un vêtement…

Ces cellules photovoltaïques organiques peuvent prendre différentes formes : carré, rectangulaire, rond… Crédit : Frédéric Sauvage / CNRS.

“C’est une technologie qui s’imprime et qui est donc compatible avec des substrats flexibles, ce qui conduit à des intégrations sur des surfaces courbes, non planes ou qui peuvent se tordre. Tout le contraire du silicium. Les applications sont donc très variées et peuvent compléter l’usage que l’on fait des panneaux traditionnels“, explique Frédéric Sauvage, chercheur au CNRS et coordinateur de la thématique “Photo-électrochimie et dispositifs photovoltaïques” au LRCS (Laboratoire de Réactivité et de Chimie des Solides).

Cette capacité d’adaptation à une gamme presque infinie de supports permet de transformer n’importe quel objet en producteur d’électricité, ce qui promet d’accroître considérablement la quantité d’énergie solaire pouvant être générée, mais les gains que cette technologie apporte avec elle ne s’arrêtent pas là. Elle ouvre aussi la voie à un nouveau rapport à la lumière elle-même.

À lire aussi : Des panneaux solaires révolutionnaires 1 000 fois plus puissants

Exploiter tout type de lumière

De par leur nature organique, ces nouvelles cellules sont en mesure d’opérer un traitement plus fin et plus différencié de la lumière, ce qui ouvre un champ d’applications inédit pour les dispositifs solaires. Basée à Amiens, la société G-Lyte développe des cellules organiques qui peuvent convertir la lumière artificielle de faible intensité à l’intérieur des bâtiments, ce qui permet d’alimenter différents objets électroniques de petite taille, comme des périphériques d’ordinateurs ou des montres connectées…

De son côté , la start-up Optipus-PV a mis au point Energy Skin, un film photovoltaïque adhésif qui peut fournir de l’électricité à des enceintes, des casques audio, des batteries externes, et même des lampes.

Autre exemple de cette révolution du traitement photonique avec les nouveaux vitrages photovoltaïques, complètement transparents et incolores, qui exploitent la lumière invisible du soleil, et plus précisément les rayons proches infrarouges et les ultraviolets (UV), grâce à une technologie moléculaire à base de pigments synthétiques développée par la start-up Crystal Energy.  “Avec cette solution, il devient possible de remplacer tous les écrans et tous les verres plats pour les rendre producteurs d’électricité”, commente Frédéric Sauvage.

Avec les nouveaux vitrages photovoltaïques, complètement transparents et incolores, on peut imaginer intégrer ces cellules dans des fenêtres et baies vitrées. Crédit : Frédéric Sauvage / CNRS.

À lire aussi : Des cellules solaires plus fines qu’un cheveu humain

Cellules solaires organiques : une technologie plus écologique que le silicium

Autre avantage, les cellules solaires organiques sont moins polluantes que les panneaux traditionnels car elles sont majoritairement constituées de composants naturels. “Contrairement au silicium qui est un matériau critique nécessitant différents traitements de purification et de cristallisation à hautes températures pour former de larges monocristaux, les cellules organiques et hybrides n’emploient pas de matériaux critiques, pas ou peu de métaux et sont déposées sous forme de couches minces par des voies liquides, réduisant ainsi leur impact environnemental”, précise Frédéric Sauvage.

Par ailleurs, le procédé de fabrication de ces cellules révolutionnaires, qui repose sur l’impression, consomme moins d’énergie tout en étant plus simple à mettre en œuvre, et de ce fait moins coûteux.

Accélérer la transition énergétique

En France, le développement de cette technologie est soutenu par un écosystème de plus en plus structuré, composé de start-ups innovantes qui ont un rayonnement international,  comme Asca, considérée comme le leader mondial dans ce domaine, Dracula Technologies, qui a inauguré à Valence la “Green Micro Power Factory”, plus grande usine au monde dédiée à la production de cellules solaires organiques, ou encore Héole, qui conçoit des voiles photovoltaïques pour les bateaux, les ballons dirigeables, mais aussi les serres ou les hôpitaux de campagne. Ici comme ailleurs, la dynamique est de plus en plus forte. D’ailleurs, selon les chiffres du cabinet Data Bridge Market Research, le marché, encore émergent, des cellules solaires organiques pourrait atteindre 600 millions de dollars dans le monde à la fin de la décennie, en bénéficiant d’un taux de croissance de 10 % par an.

Mais d’autres facteurs positionnent cette technologie comme un futur élément moteur de la transition énergétique…. L’intégration croissante des énergies renouvelables dans la consommation finale d’électricité va nécessiter le déploiement de solutions complémentaires, car le silicium n’est performant que dans des conditions particulières, essentiellement lorsqu’il est face au soleil ou exposé à un rayonnement  direct. Mais leur atout majeur pourrait bien être ailleurs : dans leur sobriété en matériaux critiques.

Cette innovation pourrait permettre d’alimenter des dizaines de milliards d’objets électroniques de par le monde. Crédit : Frédéric Sauvage / CNRS.

Vers un solaire moins gourmand en métaux critiques

La question de l’épuisement, ou en tout cas de la raréfaction à des niveaux problématiques, de certains minerais critiques, est dores et déjà sur la table. “La directive européenne RED III prévoit une pénétration de 42,5 % des énergies renouvelables à horizon 2030, tandis que les plans de la COP 28 et de l’IEA (International Energy Agency) fixent un cap à 90 % d’ici 2050. Dans ces deux cas de figure, l’argent disponible pour fabriquer les contacts électriques des panneaux à base de silicium ne sera pas suffisant pour répondre à des niveaux de production aussi élevés”, détaille Frédéric Sauvage.

Tout indique que les cellules solaires organiques font partie des technologies qui vont faire la différence, non seulement parce qu’elles sont en mesure d’accroître considérablement la production d’électricité photovoltaïque, mais aussi parce qu’elles vont permettre de contourner certains écueils inhérents au processus global de décarbonation.

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