Partager la publication "Prothèses sportives : l’heure de la démocratisation a-t-elle enfin sonné ?"
Les Jeux Paralympiques se sont clôturés en beauté ce dimanche 8 septembre avec une note d’espoir : que cette visibilité change la donne au quotidien, notamment pour les personnes amputées. Une mission qu’a aussi faite sienne la marque française outdoor Salomon en créant son Adaptive Team, une équipe de sept sportifs ambassadeurs amputés, des athlètes mais aussi des amoureux du grand air qui pratiquent la course à pied, la randonnée, le snowboard, le vélo ou même la danse. Afin de les accompagner dans leur pratique, Salomon s’est lancé dans le développement de prothèses sportives innovantes.
« On ne va pas se mentir, Salomon n’a pas été exemplaire en la matière pendant très longtemps. Depuis le Covid, nous avons lancé ce projet et avançons avec humilité dans cette voie », explique Guillaume Meyzenq, responsable de l’équipe produits chez Salomon. Durant la pandémie, Jérôme Bernard, amputé de trois membres, contacte la firme basée à Annecy pour demander si elle peut l’aider à finaliser son prototype de prothèse, co-développée avec Airbus. Il manque une semelle avec une bonne accroche pour pouvoir courir sur les sentiers et Salomon est spécialiste en la matière avec sa technologie Contagrip. Guillaume Meyzenq décide de mobiliser ses équipes pour répondre à la demande… et finit par se prendre au jeu.
Développer des prothèses accessibles à tous et écoresponsables
La difficulté à l’heure actuelle est qu’il existe des prothèses sportives en carbone mais à des prix très onéreux – 5 à 6 000 euros en moyenne et jusqu’à 20 000 euros pour les personnes amputées au-dessus du genou. Des tarifs si exorbitants que les personnes handicapées font bien souvent une croix sur la pratique sportive. D’autant plus que ces prothèses sportives ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. La start-up Hopper, fondée en 2021 par des étudiants de l’IMT Mines d’Albi, travaille justement à créer une lame de course à haute performance dont le prix serait divisé par deux.
Comment ? Grâce notamment à la récupération de chutes industrielles issues de Airbus. Le constructeur d’avion revend à Hopper le carbone non utilisé lors de la fabrication des avions A350. Une opération d’économie circulaire qui permet de réemployer de la fibre carbone inutilisée tout en permettant à Hopper de s’approvisionner à moindre coût. Résultat : Hopper peut créer des prothèses éco-responsables et accessibles. Avec l’aide de Salomon, la start-up travaille même au développement de ces prothèses pour les enfants, qui doivent bien souvent se contenter de modèles très limités et peu maniables, pas du tout adaptés à la pratique sportive à un âge où cela est pourtant crucial pour le développement personnel et pour la santé…
Une lame sportive en bois à un prix qui défie toute concurrence en préparation
En intégrant Salomon dans ce cercle vertueux, une nouvelle idée a germé des équipes R&D de la marque outdoor : créer aussi une lame sportive conçue avec du bois pour un coût encore plus réduit. Le prix final pourrait se situer sous la barre des 1 000 euros. Encore à l’état de prototype, elle a déjà démontré de belles possibilités. Si elle est un peu moins performante qu’une lame carbone, elle est largement suffisante pour 80 à 90 % des sportifs avec son bois d’érable du Canada, suffisamment flexible pour stocker et renvoyer l’énergie lors de randonnées ou de courses.
« Ce projet a le potentiel de changer la vie de nombreuses personnes amputées qui n’ont pas les moyens de s’offrir des équipements sportifs de haute performance », souligne Boris Ghirardi, l’un des athlètes impliqués dans le développement des prototypes et spécialisé dans la course à pied et le trail running. Le prototype a été validé, la commercialisation devrait commencer sous peu via Hopper. À noter que les lames et autres prothèses sont toujours vendues via les prothésistes qui se chargent de les adapter à chaque cas particulier d’amputation.
Un sommet de 3 000 mètres en prothèses, chiche ?!
Pour montrer l’efficacité des différentes prothèses, Salomon a initié le défi « On my own two feets », sur mes deux pieds. L’idée ? Accompagner en binôme six amputés âgés de 19 à 64 ans – Luca, Sarah, Christophe, Boris, Jérôme et Michel – à la Pointe de l’Observatoire. C’est un sommet de 3016 mètres du massif des Écrins, en Savoie. Une belle randonnée et un vrai sommet, bien pointu, à l’arrivée. « Ce projet a été un véritable accélérateur, explique Guillaume Meyzenq, car il nous a permis de tester nos prototypes dans des conditions extrêmes. »
Pour Sarah Legrand, cela a été le déclic. « Cette randonnée a été un tournant pour moi, nous confie-t-elle. Elle m’a permis de retrouver la sensation d’être capable de choses incroyables. Ce projet m’a redonné confiance en mon corps. » Amputée d’une partie de sa jambe droite suite à un grave accident de voiture en 2020, la jeune femme – alors 25 ans – s’est reconstruit notamment grâce au sport.
Si elle ne vise absolument pas la performance, Sarah Legrand entend cependant pratiquer différents sports, dont le snowboard, qu’elle aimait déjà avant son accident. La lame en carbone, encore en phase de prototype à l’époque, a permis aux participants de gravir le sommet en surmontant des difficultés que peu pensaient surmontables. « On a tous été surpris par l’efficacité de la lame, qui, bien que conçue pour la piste, a prouvé sa polyvalence en montagne », précise Guillaume Meyzenq.
Les plaisirs des sports d’hiver sans se prendre la tête
Jusqu’à présent, pratiquer le ski, ou le snowboard, nécessitait une bonne dose de motivation pour les personnes amputées. « Jusqu’à présent, la seule prothèse de ski disponible est un pied avec un vérin sur lequel il faut régler la pression puis qu’il faut enfiler dans une chaussure de ski – ou de snowboard – classique. C’est une vraie tannée car les réglages varient selon ton poids, ton expérience, le terrain, la neige… C’est une galère pas possible de faire les réglages et il faut bien un quart d’heure avant d’arriver à rentrer le pied dans la chaussure. Puis, au bout de deux-trois descentes, ou tu as peut-être galéré comme pas permis, tu as enfin les bonnes infos pour faire les réglages correctement. Et il faut tout recommencer… », explique Sarah Legrand. Sachant que la prothèse, trop chère, est souvent prêtée le temps d’une journée – 4 heures de pratique environ – par le prothésiste attitré.
Le pied prothétique de Salomon est, pour la première fois, réellement adapté à la pratique du snowboard. Il change la donne. « L’idée est que ces prothèses soient accessibles financièrement, mais aussi stylées pour que les gens se sentent bien quand ils les portent », pointe Sarah Legrand. Concrètement, il s’agit d’une lame en carbone intégrée dans une sorte de boot évidée imprimée en 3D au design très réussi. « Cette prothèse se met directement sur les fixations du snowboard et il n’y a pas besoin de régler la pression. Ce qui fait la transmission, c’est la lame et ça change tout. J’ai retrouvé les mêmes sensations qu’avant mon accident. »
« Une étape vers plus d’inclusivité »
Randonnée, sports d’hiver, course à pied, triathlon… peu à peu Salomon explore toute la gamme des sports que la marque couvre de manière classique. L’objectif à long terme ? Créer des modèles les plus polyvalents possibles et que chacun, peu importe son niveau ou son handicap, puisse pratiquer les sports qu’il aime sans se soucier du coût exorbitant des équipements.
« C’est une nouvelle façon d’aborder le sport, et une étape vers plus d’inclusivité », conclut Sarah Legrand. Reste aussi à faire bouger les lignes du côté de la sécurité sociale. L’absence de remboursement des prothèses sportives, à l’exception d’un seul modèle, constitue un frein majeur pour les personnes amputées souhaitant pratiquer une activité physique. C’est pourtant un excellent moyen de se sentir vivant et libre de se reconstruire.
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