Le ricin, ici des graines et leurs coques au creux d'une main, pousse sur des terres semi-arides et sans nécessiter beaucoup de pesticides. Crédit : Dinesh / stock.adobe.com.
Partager la publication "Rilsan d’Arkema : un plastique français biosourcé aux racines indiennes"
Le Rilsan ne date pas d’hier. Ce polyamide 11, autrement dit un type de nylon, a été mis au point en 1947 dans une usine de Normandie, dans l’urgence de l’après-guerre. À l’époque, il fallait remplacer les importations de nylon américain. Les chercheurs de l’époque découvrent alors une propriété remarquable : l’huile de ricin, extraite d’une plante robuste poussant un peu partout sur la planète, permet de produire un polymère de haute qualité. Ce fut le début d’une histoire de 78 ans entre Arkema, cette plante aux allures d’arbuste, et l’innovation durable.
“Ce matériau s’appelle Rilsan en référence à la rivière Risle, située à proximité de l’usine normande où il a été inventé”, explique Mélanie Lafarge, responsable communication pour la division HPP d’Arkema (High Performance Polymers). Si le cœur du savoir-faire reste français, l’huile de ricin provient de l’Etat de Gujarat, qui concentre 80 % de la production mondiale de cette plante. Arkema s’est aussi doté d’usines de production à l’international (États-Unis, Chine, Singapour…).
Mais pourquoi ce matériau séduit-il autant aujourd’hui ? Principalement pour ses performances. En particulier lorsqu’il est utilisé sous forme de mousse dans les semelles intermédiaires de chaussures de sport. Dans sa version assemblée — le Pebax — il devient un allié incontournable des marques de running ou de ski. Et les résultats sont là : “Aux Jeux Olympiques de Tokyo, 80 % des médaillés en athlétisme portaient des chaussures intégrant notre mousse Pebax”, affirme Sophie Kolmayer, responsable communication sports et textiles chez Arkema. Le Pebax est un copolymère : d’un côté, le Rilsan, rigide, biosourcé à 100 % et qui représente 30 à 50 % du total, de l’autre, un matériau plus souple qui permet de moduler l’élasticité. L’ensemble est léger, doté d’un excellent retour d’énergie et extrêmement durable. Autrement dit : exactement ce que recherchent les marques de sport à la pointe.
Contrairement à d’autres fournisseurs de matériaux techniques, Arkema bénéficie d’une visibilité rare dans le monde du sport, un peu à l’instar de Gore-Tex et sa membrane imperméable. “La mousse Pebax est devenue un vrai argument commercial, au point que certaines marques affichent le logo Pebax sur leurs chaussures, comme Decathlon sur sa KD900X”, raconte Sophie Kolmayer. Arkema a même mis en place un programme d’accompagnement des marques baptisé “Pebax Powered”, pour valoriser cette technologie auprès des clients. Mais toutes ne jouent pas la carte de la transparence : “Les grandes marques préfèrent souvent garder le secret pour communiquer sur leur propre innovation. Pourtant, le matériau est bien là, dans la semelle intermédiaire.”
Si le matériau séduit, c’est aussi parce qu’il coche (presque) toutes les cases du développement durable. Le ricin pousse dans des zones semi-arides de l’Inde, principalement dans le Gujarat (1,2 million de tonnes de graines de ricin produites chaque année). À l’instar du chanvre, il ne nécessite ni irrigation excessive ni fertilisants lourds. “C’est une plante adaptée aux sols pauvres, qui peut être cultivée en troisième culture par les petits exploitants”, précise Mélanie Lafarge. En clair : après avoir nourri leur famille et leurs bêtes, les agriculteurs peuvent tirer un revenu de cette culture sans empiéter sur des ressources alimentaires ou naturelles.
Et surtout, sans déforestation. “Le ricin pousse là où rien d’autre ne pousse vraiment. Il n’y a pas de compétition avec l’alimentation, ni pour les hommes, ni pour les animaux.” Résultat : 700 000 petites fermes indiennes familiales sont aujourd’hui engagées dans la production de ricin, dont un peu plus de 8 000 agriculteurs certifiés par le programme Pragati.
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En 2016, Arkema lance avec l’allemand BASF, l’indien Jayant Agro et l’ONG Solidaridad le programme baptisé Pragati (qui signifie “progrès” en hindi). Objectif : améliorer les conditions de culture, la gestion de l’eau, des sols, des intrants, et la sécurité des agriculteurs. “Chaque année, nous auditons de nouveaux villages. Le programme monte en puissance : aujourd’hui, 8 000 fermes sont certifiées Pragati”, précise Mélanie Lafarge.
Le succès tient à l’effet boule de neige : “Les rendements augmentent, les pratiques s’améliorent, et personne ne quitte le programme une fois engagé.” Les résultats sont publiés chaque année en toute transparence, zone par zone. Plus de 9 000 hectares de terres semi-arides sont à présent régulièrement exploités selon le code de culture durable du ricin SuCCESS. Cette technique permet un rendement de 57 % supérieur aux techniques classiques tout en diminuant en moyenne de 33 % la consommation d’eau.
En plus d’être biosourcé, le Rilsan est recyclable à 100 %. “C’est un thermoplastique, donc il suffit de le broyer puis de l’extruder à nouveau pour obtenir exactement les mêmes propriétés, sauf la couleur”, explique Sophie Kolmayer. L’entreprise a racheté en 2021 la société italienne Agiplast, spécialiste du recyclage des polymères, pour gérer en interne cette boucle vertueuse. Le défi ? Organiser la collecte. Car si les matériaux sont recyclables, encore faut-il les récupérer. Pour y répondre, Arkema a co-développé avec la marque suisse On une chaussure monomatériau, la Cloudneo, pensée dès la conception pour être recyclée et vendue par abonnement. “La marque a mis en place un système de collecte pour boucler la boucle”, détaille la responsable communication sports et textiles chez Arkema.
Côté bilan environnemental, le Rilsan affiche des performances notables. “Comparé à un polyamide issu du pétrole, on observe jusqu’à 46 % de réduction des émissions carbone grâce à la partie biosourcée seule. Et jusqu’à 80 % si on inclut l’énergie renouvelable et le biogaz utilisé dans nos usines”, avance Mélanie Lafarge. L’entreprise a atteint en 2025 une empreinte carbone de 1,3 kg CO₂e/kg pour la production de son polyamide 11 biosourcé.
Pour y parvenir, elle a notamment signé un contrat avec ENGIE sur l’approvisionnement en biométhane et bascule progressivement toutes ses usines vers des sources d’électricité renouvelables. Reste que la production du Rilsan nécessite encore le recours à des produits chimiques tels que le chlore, l’ammoniac et le brome ou encore des gaz de craquage. C’est la raison pour laquelle l’usine de fabrication de l’acide amino undécanoïque, matière première du Rilsan11, située à Marseille (quartier Saint-Menet), est classée Seveso seuil haut.
Le Rilsan et le Pebax couvrent un très large éventail de produits, et pas uniquement dans le sport. On les retrouve dans des montures de lunettes (souples, résistantes, durables), dans des casques de vélo, voire dans l’automobile. “Nos matériaux sont très résistants à l’abrasion, aux UV, au vieillissement. Ils peuvent être teintés, décorés, ou rendus transparents”, liste Sophie Kolmayer. Et c’est cette modularité qui fait leur force. Le Rilsan Clear, utilisé notamment par la marque française Izipizi pour ses lunettes enfants, peut être tordu sans casser — parfait pour les petites mains… et celle des parents qui doivent parfois les contorsionner pour les chausser sur le nez de leurs bambins.
Avec plus de 21 150 collaborateurs dans le monde (dont 7 300 en France), 150 usines répartis sur 55 pays et un siège flambant neuf à La Défense, Arkema reste un acteur industriel français, même si sa présence est globale. “Nous maîtrisons entièrement notre production, avec un savoir-faire unique selon un procédé que nous sommes les seuls à avoir”, insiste Mélanie Lafarge. L’ouverture récente d’une usine à Singapour illustre cette croissance : “La demande mondiale en matériaux biosourcés de haute performance ne cesse d’augmenter.”
Derrière la réussite industrielle, des questions demeurent. Si le plastique d’Arkema est recyclable, les filières pour le faire réellement en fin de vie restent à structurer. L’entreprise française a acheté en 2021 l’usine italienne Agiplast, spécialisée dans le recyclage des polymères haute performance. Elle s’occupe de la collecte et de la régénération des polymères comme le Rilsan et le Pebax. Un des grands défis d’Arkema est là : faire non seulement du biosourcé une norme de performance, mais sans renoncer aux exigences de circularité.
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