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En Inde, on a visité l’université qui forme les « va-nu-pieds » aux métiers de demain

RÉCIT. Par Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.

Le 02/12/2015 par WeDemain
RÉCIT. Par Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.
RÉCIT. Par Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.

Le 1er septembre, Ahmed, Karine et leur cinq enfants se sont envolés de Paris pour un tour du monde d’un an, à la découverte de villages qui ont fait le choix de l’autonomie et du développement durable. Ce mois-ci, ils se sont rendus dans le petit village indien de Tilonia, à deux heures de voiture de Jaipur, la capitale du Rajasthan, où ils ont découvert une université « un peu spéciale », une « autre manière » d’envisager l’éducation.  
                 
Tilonia, début décembre.

Et si vous pouviez devenir ingénieur sans avoir, en amont, fait de grande école ? Ou guérir quelqu’un d’une maladie sans avoir passé de longues années sur les bancs d’une fac de médecine ? C’est ce que rend possible le Barefoot College (« l’université des va-nu-pieds », littéralement), créé en 1972 par Sanjit Bunker Roy, un activiste et entrepreneur social indien. Son objectif d’alors : offrir une éducation avancée à des personnes analphabètes ou semi analphabètes.

Le génie des créateurs du Barefoot College est d’avoir compris que l’on pouvait « démystifier » les métiers techniques et qu’il n’était pas indispensable d’avoir fait de longues études pour fabriquer, installer et réparer des pompes à main ou des équipements solaires, pas plus qu’il n’est nécessaire de suivre un long cursus pour traiter la plupart des problèmes de santé dans une communauté rurale.

Autonomie énergétique de plus d’un millier de villages dans le monde

Depuis 1972, le Barefoot College a formé des centaines de « Solar Mamas » et a participé ainsi à l’autonomie énergétique de plus d’un millier de villages dans le monde. 260 Barefoot doctors, capables de soigner la plupart des affections communes avec des traitements allopathiques, homéopathiques et même biochimiques, sont sortis de cette université unique en son genre.

L’université forme aussi des techniciens capables d’installer des systèmes de récupération et de traitement de l’eau, de fabriquer et de maintenir des fours et chauffe-eau solaire, des pompes à main pour les puits, et étend même ses activités éducatives à la mise en place de crèches et d’écoles de nuit pour les enfants.

Sobriété, économie et vie collective

Les résultats obtenus sont impressionnants mais c’est pourtant la visite du campus qui nous a le plus marqué. Pour qui a connu le gigantisme et les fastes technologiques des grandes universités américaines, le campus du Barefoot College présente un visage déroutant.

Certes, tout y est, depuis les salles de classe, la bibliothèque, la cantine, le centre médical, jusqu’à la crèche pour le personnel, la radio FM interne et le gift-shop. Là où le Barefoot se distingue résolument de ses consœurs plus fortunées, c’est dans sa mise en œuvre : « sobriété » et « économie » sont les principes qui guident ici les réalisations. Tout est fait pour que les personnes venant d’environnements pauvres se sentent à l’aise. Ainsi, les repas sont pris collectivement, assis sur une natte ou à une grande table commune et chacun, qu’il soit stagiaire, staff ou visiteur fait sa propre vaisselle.

Les restes sont bien entendu récupérés pour le compost, qui viendra amender le jardin potager de l’université, lequel fournit en légumes la cantine. De même, dans les chambres, les visiteurs comme les stagiaires se douchent avec un seau, apprenant ainsi à ne pas gaspiller l’eau.

Énergie solaire et récupération des eaux de pluie

L’université s’applique à elle-même les principes qu’elle professe : l’autonomie énergétique. Tout le campus est électrifié à l’énergie solaire; les ressources hydriques sont gérés de façon économe; tous les bâtiments ont été conçus afin de maximiser la récupération des eaux de pluie ; la gouvernance est décentralisée et autogérée, rendue possible par la promotion des valeurs d’égalité et de confiance en soi ; et enfin, les compétences techniques ont été démystifiées. La plupart des professionnels travaillant sur le campus (médecins, dentistes, ingénieurs, architectes, …) sont d’ailleurs élèves du Barefoot College.

Le point d’orgue de notre visite à Tilonia reste la visite de la salle de formation des Solar Mamas. Lorsque nous y sommes passés, trente femmes de huit nationalités différentes sur trois continents apprenaient ensemble le métier d’ingénieur solaire, soudant des composants sur des circuits imprimés, assemblant des appareils ou testant des équipements.

La moitié de ces femmes ne parle pas anglais, la plupart ne savent ni lire ni écrire et toutes ont accepté de quitter pour six mois leur village et leur famille pour venir apprendre un métier complexe et généralement masculin. Dans cette grande salle, autour de la table centrale envahie d’équipements électroniques, d’outils et de divers composants, l’atmosphère est studieuse. Chacune des Solar Mamas semble pleinement consciente de la responsabilité qui lui incombera une fois revenue dans sa communauté d’origine.

Gandhi l’avait pensé et initié, le Barefoot College en apporte la preuve année après année depuis quarante ans : la solution aux problèmes de sous-développement et de pauvreté est à chercher chez les pauvres eux-mêmes. Ce modèle éducatif est duplicable pour peu qu’on l’enracine dans son environnement immédiat : un Barefoot College existe ainsi en Sierra Leone. Nous espérons qu’il y en aura beaucoup d’autres.

Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages. 

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Et pour (re)lire les précédents épisodes du tour du monde de la famille Benabadji, c’est par ici -> Épisode 1   / Épisode 2   / Épisode 3  
/ Épisode 4

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