Cyril Dion : « Pour redonner envie en 2017, il faut une coalition entre acteurs politiques et société civile »

Qui aurait parié qu’un documentaire comme Demain rassemblerait plus d’un million de spectateurs dans les salles de cinéma françaises ? Pas Cyril Dion en tout cas, l’auteur et coréalisateur de ce succès avec l’actrice Mélanie Laurent. Ce tour du monde des initiatives positives qui, selon eux, commencent à porter ses fruits, n’en finit pas d’inspirer les citoyens, mais aussi les entreprises et les responsables politiques.

À la veille de l’inauguration de la sixième édition du festival de cinéma engagé Atmosphères, dont il est le parrain avec la chanteuse Camille, We Demain s’est entretenu avec ce réalisateur et père de famille écolo qui, en un an, s’est soudainement vu propulsé sur le devant de la scène médiatique française. 

Alors qu’il est déjà en train d’écrire le script d’un nouveau film, de fiction cette fois-ci, nous avons voulu comprendre comment, selon lui, la mobilisation citoyenne pouvait changer la société et impulser une véritable politique environnementale pour les années à venir.

We Demain : D’où vous vient votre engagement écolo ?
 
Cyril Dion : Je ne sais pas trop comment l’expliquer. C’est une addition de plusieurs éléments. J’imagine qu’une part de cet engagement vient de mon éducation. Quand j’étais petit, ma mère m’emmenait dans des magasins diététiques – ça s’appelait encore comme ça, à l’époque – où elle achetait des galettes de céréales très saines un peu… dégueulasses (rires). Plus tard, après avoir été brièvement comédien, ma compagne est tombée malade, et nous ne trouvions pas de solution avec la médecine classique. C’est la médecine naturelle qui l’a finalement guérie. Cela m’a passionné et je me suis lancé dans une formation de réflexologie plantaire avec Mireille Meunier, une « Heilpraktiker » (sorte de naturopathe, en français). C’est à ce moment-là que j’ai découvert les notions d’écosystème et d’interdépendance, le fait que tout est lié.

Vous avez alors rencontré Pierre Rabhi, lancé le mouvement Colibri, le magazine Kaizen…Puis écrit et coréalisé le documentaire Demain.
 
J’ai d’abord travaillé comme coordinateur de projet et directeur éditorial de la Fondation Homme de Paroles pendant quatre ans. Puis on m’a proposé de créer un mouvement autour des idées de Pierre Rabhi. À partir de ce moment, je me suis plongé dans les thématiques écologiques des deux mains et des deux pieds ! Et cela s’est poursuivi, jusqu’à l’écriture, le tournage et la production du film Demain, effectivement. 

En quoi le film a-t-il modifié votre propre façon de consommer ?

Je faisais déjà beaucoup de choses avant. J’ai connu ma révolution écologique en 2006, au début de Colibris ! Mais depuis le tournage du film, j’ai amorcé des changements supplémentaires, je suis devenu plus attentif à certaines choses. Je suis devenu végétarien. J’essaie de porter des vêtements à 60 % en coton bio, ou au moins fabriqués en France ou en Europe. Je n’avais pas autant conscience de l’impact de l’industrie textile sur notre environnement auparavant. Et je pense avoir fait des progrès en matière de gestion des déchets : Déjà avant, je compostais et recyclais. Maintenant, je réduis aussi en amont.

Comme vous, de nombreux spectateurs du film ont modifié leurs habitudes. Quels sont les retours les plus récurrents ?

La permaculture est ce qui passionne le plus les gens. De nombreuses personnes ont été impressionnées par les projets de la ferme du Bec Hellouin et nous ont écrit pour nous raconter les potagers qu’ils avaient créé ou même parfois leur reconversion professionnelle. L’éducation vient ensuite. Les spectateurs se sentent assez démunis vis-à-vis des solutions concrètes à mettre en place dans un système très centralisé. Ils ont tout de même lancé une pétition sur Change.org  pour que le film soit diffusé dans tous les collèges et lycées de France, qui a recueilli plus de 94 000 signatures à ce jour. Enfin, de nombreuses personnes sont devenues clientes d’Enercoop, le fournisseur d’électricité 100 % renouvelable. D’autres encore ont reconsidéré leur façon de placer leur argent, en ouvrant des comptes à la Nef ou au Crédit coopératif.

Qu’allez-vous faire de tous ces récits de changements de vie ?
 
​Nous allons publier une édition augmentée du livre du film le deux novembre chez Actes Sud (avec le DVD) où nous en racontons une partie. Nous avons aussi ouvert un onglet sur le site du film, « après Demain », dans laquelle nous avons recueilli et compilé plus de 600 témoignages et histoires de personnes qui ont décidé d’agir après avoir vu le film. Dans le lot, il y a aussi des changements d’orientation professionnelle, des engagements locaux, des inflexions politiques sur certains territoires ou dans certaines communes…

Dans quelle commune, par exemple ?

À Dreux, où je vis ! La femme du directeur de Gedia, le fournisseur d’énergie locale, est allée voir le film et a convaincu son mari de faire de même. Cela a abouti à une projection avec tous les élus de l’agglomération. C’est ainsi qu’une ville de droite, pas forcément écolo, s’est donnée l’objectif de fournir 100 % d’électricité renouvelable d’ici dix ans aux 110 000 habitants, d’instaurer 25 % d’alimentation locale dans les cantines, de réduire de 40 % la consommation d’électricité de l’éclairage public…

Est-ce à dire que le cinéma est aujourd’hui un levier pour susciter de l’engagement ?

Je le crois. L’art en général, et le cinéma en particulier, est un puissant levier pour toucher largement. Le docu comptabilise aujourd’hui un million cent mille entrées en France, 600 000 entrées à l’étranger, 100 000 DVD vendus… Jamais nous n’avions réussi à toucher autant de personne avec Colibris… Nous vivons dans une société de l’image et le cinéma est un média capable de nous toucher de façon intégrale. Les films nous permettent d’apprendre, de comprendre, d’être ému, de s’identifier… Le désir qui naît de l’imaginaire est très puissant, c’est grâce à lui qu’on se met à bouger. En cela, le cinéma est un art complet pour moi, bien plus apte à nous embarquer dans des histoires concrètes qu’un discours aride. 

Comment faire pour que ces « histoires concrètes » soient suivies d’actes à échelle plus globale ?

Entre autres en allant à la rencontre de tous les acteurs qui forment notre société. Depuis la sortie du film, nous avons été invités à rencontrer des tonnes de gens qui nous ont d’abord semblé incongrus. Des banquiers, des chefs d’entreprise, des personnes que je n’avais pas l’habitude de côtoyer tant que ça auparavant ont soudainement voulu que nous présentions le documentaire à leurs salariés et que nous en discutions avec eux. Au départ, j’étais un peu paniqué, puis j’ai trouvé cela intéressant, de voir comment ceux qui, selon nous, font partie du problème peuvent être pris par cette énergie et devenir partie prenante du changement.

Mais est-ce dans l’intérêt des représentants de l’économie libérale que de provoquer ce changement ?

D’une certaine façon, oui. Une partie d’entre eux agit par crainte de disparaître, ou par opportunisme. D’autres pensent vraiment qu’ils feront partie de la solution. Je suis allée manger avec des dirigeants d’entreprises dans des tours transparentes très hautes pour discuter avec eux de toutes ces possibilités, j’ai entendu leurs problématiques de rentabilité et de croissance. Je ne rêve d’ailleurs pas qu’ils vont épouser un nouveau système monétaire tout de suite, je me rends bien compte que la plupart d’entre eux ne sont pas forcément d’accord ou pensent avoir les mains liées. Mais je vois aussi que de plus en plus de personnes comprennent par exemple la nécessité de réorienter des fonds spéculatifs vers une économie réelle, de ne plus soutenir les énergies fossiles… Et voient comme moi que nos mécanismes de création monétaire, créés par la dette, sont toxiques pour la société.

Comment faire en sorte qu’ils deviennent plus nombreux ?

Bonne question. Je n’envisage plus ce changement sans une coopération à large échelle de plusieurs parties de la société. Donc une mobilisation qui permettrait de passer d’une pluralité d’initiatives à quelque chose de plus institutionnalisé. Je suis absolument convaincu que pour parvenir à un changement de grande ampleur, nous devrons passer par un type de révolution démocratique encore à construire, sans chaos ou violence. Il faut arriver à un point de rupture, à une conjoncture qui fasse en sorte que le mouvement social trouve un moyen de s’exprimer de façon nouvelle, et que ce mouvement rencontre des leaders susceptibles de porter leurs idées dans les champs économiques et politiques.

À l’aube de la campagne présidentielle de 2017, voyez-vous des candidats susceptibles de porter de telles idées ?

Je ne crois pas. Il y a bien Jean-Luc Mélenchon, qui intègre de plus en plus de mesures écologiques et sociales dans son programme. Il dispose d’un électorat enthousiaste, mais j’ai peur de son côté autoritaire. C’est un tribun, il sait enflammer l’émotionnel des gens, la question est : au profit de qui et de quoi ? Chez les Verts à proprement parler, il y a effectivement Cécile Duflot, Karima Delli, Yannick Jadot et Michèle Rivasi. Mais en France, ils souffrent tous d’un déficit d’image terrible ! Pourtant Cécile Duflot par exemple est assez loin de l’image qu’on a généralement d’elle, j’ai été surpris de cette distorsion en la rencontrant. Et puis elle a un profil intéressant : c’est une femme jeune, passée par tous les mandats politique, qui a travaillé des années dans le privé, capable d’animer une équipe et de se mettre au service d’un projet…

Est-ce à dire que vous allez soutenir le projet de Cécile Duflot ?

Je soutiendrai le projet, le ou la candidate qui me paraitront le plus en phase avec mes convictions… Mais ma préférence irait vers une alliance de personnalités qui, ensemble, défendraient un nouveau projet de société. Ce qui pourrait marcher en 2017, c’est une coalition d’acteurs comme Corinne Lepage, Cécile Duflot (ou tout autre candidat EELV), Jean-Luc Mélenchon, Pierre Larrouturou de Nouvelle Donne… qui s’allieraient avec des acteurs de gauche, comme Benoît Hamon, des économistes, des membres de la société civile, des artistes et raconteraient une autre histoire de la politique. Moins axée sur l’égo et le « votez pour moi ». Quelque chose qui donne à nouveau envie. C’est cette idée que j’essaie de leur souffler quand je les rencontre. 

Quels sont les freins à lever pour y parvenir ?

La peur, qui est le moteur aujourd’hui. Ce sont les idées portées par une majorité de politiciens, et plus particulièrement par le FN. La peur des terroristes, des migrants, du chômage… Mais il y a une parade à la trouille : l’enthousiasme. Quand on est capable de raconter une histoire intéressante et tangible, ça donne envie. Ensuite, il suffit de coopérer : tout changement passe par cela. Ce qui résout la trouille, c’est d’être nombreux à faire quelque chose. ​On a moins peur de changer lorsqu’on est nombreux à le faire, on a moins peur de l’adversité lorsque nous sommes unis, que nous nous sentons soutenus. Aujourd’hui, de nombreuses personnes se sentent proches des idées de Nicolas Hulot, aiment regarder les émissions de Yann Arthus Bertrand, vont voir Demain, mais au moment d’aller voter, ils sont pris de panique et élisent des candidats conventionnels, supposément plus rassurants. Il faut que le récit autour de l’écologie change.

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