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Louis Derrien : “Chaque étape de mon tour de France en courant sera une invitation à lever le tabou autour de la santé mentale”

Le 15 juin prochain, Louis Derrien s’élancera pour un tour de France en courant de près de 6 000 kilomètres. Une aventure hors norme, née d’un drame intime. Ce trentenaire a eu à faire face l’an dernier à la perte brutale de son frère Simon, qui s’est suicidé, victime d’une dépression sévère. Louis a décidé de faire de son deuil un combat. Ce tour de France est une promesse qu’il avait faite à son frère, alors que ce dernier était à l’hôpital, plongé dans le coma. Une promesse qui n’est pas resté en l’air. Depuis quelques mois, il a démissionné de son travail pour se consacrer pleinement à cette aventure et s’entraîne avec acharnement.

Pendant 150 jours, il courra l’équivalent d’un marathon tous les jours, à travers montagnes, forêts, campagnes et littoraux. Louis Derrien dormira dans un van, conduit par sa soeur qui sera à ses côté pendant ce tour de France. À eux deux, ils documenteront chaque étape afin de récolter des dons pour l’association La Maison Perchée, qui accompagne les jeunes adultes vivants avec un trouble psychique ainsi que leurs proches. Objectif : faire parler de santé mentale, là où règne souvent le silence. À quelques semaines du départ, Louis nous raconte les coulisses de ce projet singulier.

Comment est née l’idée de ce tour de France en courant ?

Louis Derrien : C’est venu comme une évidence, dans une situation qui ne l’était pas du tout. Mon frère Simon est tombé dans une dépression sévère qui a duré deux ans. Suite à une tentative de suicide, il a été hospitalisé à Dijon en avril 2024, puis plongé dans le coma. J’ai passé 27 jours à son chevet. Et puis un matin, on a su que c’était terminé. Il avait 25 ans. C’était mon petit frère. j’ai ressenti une nécessité immédiate de faire quelque chose. Il fallait que je transforme cette épreuve en un projet, une manière de faire passer un message, de partager ce qu’on avait vécu.

Le sport a toujours été important dans notre famille, c’était un lien fort entre Simon et moi. Alors j’ai imaginé ce projet de course, un tour de France en courant, comme un moyen de symboliser ce que j’avais traversé, ce qu’on avait traversé tous les deux. C’est aussi une façon de parler de la maladie mentale autrement, de sortir du silence.

Simon Derrien, lors d’un voyage à vélo en Italie avec son frère Louis. Crédit : Margot Canton-Lamousse.

Concrètement, à quoi va ressembler cette aventure ?

Je vais faire 5 800 kilomètres, à raison d’un marathon par jour environ, pendant cinq mois. Le départ aura lieu le 15 juin à Francheville, dans la métropole de Lyon, où habitent mes parents. Je pars d’un côté du chemin et je reviendrai par l’autre. D’abord, j’irai jusqu’au Mont-Blanc, puis plein sud jusqu’aux Pyrénées, en longeant le GR10. Je remonterai la façade atlantique jusqu’en Bretagne, puis le Nord, les Vosges, et enfin la Bourgogne, là où Simon est enterré. Je terminerai là-bas. Ce n’est pas un simple tracé sportif, c’est un parcours symbolique. Chaque étape aura son sens.

Ce tour de France est pour Simon mais aussi pour tous les autres…

Ce tour de France, c’est en effet une manière d’honorer Simon, de faire vivre sa mémoire dans chaque foulée. Mais c’est aussi un moyen de créer du lien avec les gens, d’ouvrir le dialogue. Au cours des étapes, je veux aller à la rencontre de celles et ceux qui vivent ou ont vécu des situations similaires. je veux aussi sensibiliser aux problématiques de la santé mentale, ouvrir le dialogue.

Vous parlez aussi d’un message d’espoir. Que voulez-vous transmettre exactement ?

La dépression, c’est une maladie. Elle est encore trop mal comprise, trop peu reconnue. Mon projet s’adresse aux familles, aux amis, aux proches de personnes touchées par des troubles psychiques. À ceux qui n’ont jamais osé en parler. À ceux qui pensent que ça n’arrive qu’aux autres. Simon était brillant, ingénieur, bien entouré. Et pourtant. J’ai compris que la maladie mentale ne se voit pas toujours. Et qu’on manque cruellement d’espaces pour en parler.

Je veux que chaque étape de ce tour soit une invitation à lever le tabou. Que mon parcours serve à montrer qu’on peut en parler, qu’on doit en parler. Et qu’il est possible, même après une épreuve immense, de continuer, de se relever. Je ne veux pas que ce soit un projet triste. C’est un projet d’amour, un projet pour la vie.

Comment vous êtes-vous préparé à cette épreuve qui sera aussi bien physique que mentale ?

Je m’entraîne depuis plusieurs mois, depuis l’été 2024, avec l’aide d’un préparateur physique, d’une nutritionniste et d’une préparatrice mentale. Je m’entraîne presque tous les jours. Je fais des trails, du renfo, du vélo… En février, j’ai fait Paris-Londres à pied pour me tester. Début avril, j’ai fait le marathon de Paris. Je me prépare autant à l’endurance qu’aux imprévus. Et j’apprends à écouter mon corps.

Louis Derrien lors d’une sortie trail. Crédit : JB Delorme.

Car je sais que le plus dur ne sera pas forcément le physique. Ce sera de rester connecté à la raison pour laquelle je cours. Ce n’est pas une performance que je recherche, c’est une cohérence. Je veux être prêt pour tenir sur la durée, pour garder du sens à chaque étape.

Comment va se passer la logistique au quotidien ?

Ma sœur Pauline m’accompagnera en van tout au long du parcours. Je dormirai dans le véhicule, je courrai le matin, et l’après-midi je rencontrerai les gens, j’échangerai. Une équipe vidéo va aussi me suivre pour réaliser un documentaire. Je veux que cette aventure soit partagée, vivante, et surtout accessible à tous.

Vous avez lancé une collecte. Dans quel but ?

L’argent récolté sera reversé à l’association La Maison Perchée, qui accompagne les jeunes vivant avec des troubles psychiques. Mon objectif est de lever 100 000 euros. C’est une manière concrète de prolonger le message, d’aider ceux qui, aujourd’hui, n’ont pas accès aux soins ou au soutien dont ils ont besoin.

Qu’espérez-vous au terme de ces 150 jours ?

Créer des souvenirs positifs. Raconter une histoire qui fait du bien, même si elle part d’un drame. Et surtout, ouvrir des discussions. Si une seule personne ose parler de sa souffrance après m’avoir entendu, alors ce tour aura eu un sens. Simon me manque chaque jour. Mais grâce à ce projet, il m’accompagne. Et j’ai l’intuition que d’autres le sentiront aussi.

Et après ? Que ferez-vous une fois la ligne d’arrivée franchie ?

Je n’en sais rien encore. Ce que je sais, c’est que j’aurai fait ma part. J’aurai essayé de transformer un drame en quelque chose d’utile. J’espère que ça ouvrira des portes, des discussions, des projets. Et que ça donnera un peu de courage à celles et ceux qui en manquent.

Pour suivre l’aventure de Louis Derrien sur Instagram : https://www.instagram.com/courir_pour_toi/

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