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Cacao, riz, café… une étude révèle la face cachée de nos aliments importés

Acheter une tablette de chocolat, un paquet de riz ou une boîte de café semble un acte anodin. Pourtant, l’étude sur ces aliments, dévoilée ce jeudi 17 avril 2025, révèle une réalité bien plus amère. Elle a été réalisée par le bureau d’études environnemental Basic pour le compte de Greenpeace France, Max Havelaar France et l’Institut Veblen. Les résultats soulignent que, derrière ces produits du quotidien, importés pour l’essentiel de pays tropicaux, se cachent des chaînes d’approvisionnement marquées par des atteintes majeures aux droits humains, une exploitation des ressources naturelles et des modes de production intensifs.

Cacao, café, vanille, soja, riz, huile de palme… Treize filières d’importation majeures d’aliments de base ont été passées au crible. Toutes présentent des risques graves, sociaux comme environnementaux. “Ces produits sont les plus présents dans nos assiettes. Il était urgent de les analyser de manière systémique”, explique Tristan Dissaux, responsable de l’étude au Basic. L’objectif : rendre visible ce que l’économie mondialisée laisse dans l’ombre..

Classement des produits importés selon leur score d’impact socio-économique et écologique. Crédit : Basic.

Travail des enfants, revenus indécents et conditions dégradantes

L’enquête pointe notamment six filières dans lesquelles les travailleurs touchent moins de 60 % du revenu vital. Le record de précarité revient à la vanille malgache, pourtant vendue à prix d’or sur les marchés européens. Les producteurs n’y perçoivent que 40 % du revenu minimum décent. Même constat pour le sucre de canne, l’huile de palme ou encore le cacao d’Afrique de l’Ouest, où persistent le travail des enfants et des revenus en-dessous du seuil de pauvreté.

Certaines cultures, comme la noix de cajou, nécessitent un travail physique intense et dangereux. Décortiquées à la main, souvent par des femmes sans équipement de protection, les coques acides provoquent brûlures chimiques et atteintes respiratoires. D’autres, comme le thé ou la tomate importée, sont marquées par une sous-traitance opaque, des contrats instables et des cas de harcèlement.

“Ces filières sont construites sur un déséquilibre structurel : elles enrichissent en bout de chaîne mais appauvrissent à leur base”, dénonce Stéphanie Kpenou de l’Institut Veblen. Et ce ne sont pas des cas isolés. Ce sont les rouages d’un système de dépendance globalisée.

À lire aussi : ChoViva : le goût du chocolat, le fort impact carbone en moins

Un impact climatique et écologique massif des aliments importés

La face environnementale n’est guère plus reluisante. Premier poste d’émissions importées, la culture du cacao explose les compteurs de CO₂. Elle se hisse en tête des filières les plus émettrices de gaz à effet de serre, devant le soja et le café. En Afrique de l’Ouest, la déforestation liée à l’essor du cacao est massive : plus de 80 % des forêts de Côte d’Ivoire ont disparu depuis 1960. Ce changement d’usage des terres libère des quantités colossales de carbone stocké dans les sols et les végétaux.

Top 3 des filières selon leur impact négatif (selon les hectares déforestés chaque année. Crédit : Basic

À cela s’ajoutent les émissions liées à l’usage d’intrants chimiques, au transport maritime et à la transformation industrielle. Le cacao illustre ainsi de façon criante le lien entre déforestation importée, changement climatique et dépendance aux productions tropicales. Une réalité largement sous-estimée dans les bilans carbone nationaux, puisqu’elle est comptabilisée à l’étranger.

Le soja n’est pas en reste : cette culture, utilisée majoritairement pour nourrir les animaux d’élevage en Europe, est responsable à elle seule de près de la moitié de la déforestation importée liée aux importations françaises. Les zones de culture empiètent chaque année un peu plus sur le biome du Cerrado, savane brésilienne d’une immense richesse écologique.

Le cacao est la filière d’importation la plus émettrice de gaz à effet de serre.

L’eau, autre victime invisible de notre alimentation

L’étude s’attarde également sur les usages de l’eau, souvent invisibilisés dans les bilans environnementaux. Le riz, le soja ou le jus d’orange figurent parmi les plus gourmands en “eau bleue”, celle prélevée directement dans les nappes et les rivières pour irriguer les cultures. À l’autre bout du spectre, certaines filières génèrent une pollution intense des eaux : le café, la vanille ou encore le cacao rejettent de grandes quantités de nitrates et de produits phytosanitaires, dégradant les rivières et nappes phréatiques.

Au Pérou, au Kenya ou en Indonésie, ces pressions aggravent les tensions sociales et accentuent les conflits d’usage. “Quand on achète un avocat à bas prix ou du riz en sachet, on ne mesure pas l’impact que cela a sur l’accès à l’eau potable à des milliers de kilomètres”, souligne Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France.

Des règles européennes encore trop fragiles

Face à ces constats, les auteurs de l’étude sur les aliments importés appellent à la mise en œuvre rapide et ambitieuse de trois régulations européennes votées récemment : la directive sur la déforestation importée (RDUE), celle sur le devoir de vigilance (CS3D) et le règlement sur le travail forcé. En combinant ces outils, il serait possible de couvrir l’ensemble des enjeux soulevés par l’étude.

Mais leur mise en application reste incertaine. La directive sur le devoir de vigilance, attendue pour 2027, fait déjà l’objet de tentatives de révision à la baisse. Quant au règlement sur la déforestation, son entrée en vigueur a été repoussée à la fin 2025. “Le projet de directive omnibus en discussion risque de détricoter ces avancées, en réduisant leur champ d’application et en allégeant les obligations des entreprises”, alerte Greenpeace.

L’analyse du Basic montre pourtant que ces textes, s’ils sont correctement appliqués, ont un potentiel de transformation majeur : ils permettent d’identifier les pratiques à risque, de renforcer la transparence des chaînes d’approvisionnement, et de responsabiliser les donneurs d’ordre. Encore faut-il qu’ils ne soient pas vidés de leur substance avant même leur mise en œuvre.

Le piège de l’accord Mercosur

Autre menace systémique : l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Celui-ci pourrait annuler les effets des régulations en facilitant les importations de produits issus de pratiques non durables. “Ce traité, en l’état, accroîtrait les flux commerciaux au détriment de l’environnement et des droits humains”, dénonce Stéphanie Kpenou.

Le traité ne contient aucune garantie contraignante sur la réduction de la déforestation. Pire : il pourrait permettre aux pays concernés de réclamer des allègements réglementaires en échange d’un accès privilégié au marché européen. En somme, une porte ouverte à l’aggravation des impacts environnementaux, au nom de la compétitivité.

Aliments importés : repenser la consommation pour repenser le modèle

L’étude sur les aliments importés ne se limite pas à pointer les dérives, elle propose aussi des leviers d’action. Côté politique, les auteurs appellent à refuser l’accord Mercosur, à appliquer sans délai les textes existants et à promouvoir activement les labels équitables, sociaux et environnementaux. Côté consommateur, des gestes simples peuvent déjà faire la différence : réduire sa consommation de viande issue d’élevages industriels, privilégier les produits certifiés, s’informer sur l’origine réelle des aliments.

“Il ne s’agit pas de culpabiliser, mais de rendre visible ce qui ne l’est pas : la part d’injustice sociale et de destruction écologique qui se cache dans nos chariots”, insiste Clément Helary de Greenpeace. Car, conclut l’étude, nous avons le pouvoir de refuser la déforestation, la pauvreté et l’exploitation dans nos assiettes. Mais il importe de changer un peu nos habitudes alimentaires.

Le message est clair : une consommation responsable ne peut plus se limiter au contenu de l’assiette. Elle doit interroger les conditions de production, la répartition de la valeur et l’impact écologique global. Derrière chaque gousse de vanille ou chaque grain de café, il y a un monde à remettre d’aplomb.

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