Partager la publication "Guide anti-cadmium : comprendre, se protéger, agir"
Le cadmium, ce nom ne vous dit peut-être rien, mais il s’invite chaque jour dans vos assiettes. Ce métal lourd, invisible et sans saveur, s’accumule dans notre organisme, et inquiète de plus en plus les scientifiques. Les dernières études françaises dressent un constat préoccupant : les enfants, en particulier, sont surexposés. Début juin 2025, un rapport inédit a fait l’effet d’une onde de choc dans le monde médical et environnemental.
Les médecins libéraux, réunis au sein des Unions régionales de professionnels de santé, ont tiré la sonnette d’alarme dans une lettre ouverte adressée au gouvernement : la contamination des Français au cadmium atteint désormais un niveau record, avec une imprégnation moyenne qui a doublé en une décennie et des taux chez les enfants français quatre fois supérieurs à ceux observés chez leurs homologues américains ou allemands. Comment en sommes-nous arrivés là ? Peut-on vraiment s’en protéger ? WE DEMAIN vous propose un guide pratique, sourcé, pour comprendre, agir et rassurer.
1. Le cadmium, qu’est-ce que c’est ?
Un métal lourd omniprésent… et amplifié par l’homme

Le cadmium est un élément chimique (Cd), naturellement présent dans la croûte terrestre. Le hic, c’est que l’activité humaine a démultiplié sa présence ces dernières décennies. L’industrie métallurgique, l’incinération des déchets, mais surtout l’usage massif d’engrais phosphatés dans l’agriculture intensive : le cocktail est explosif. Et la France est particulièrement touchée.
Selon l’ANSES, 90 % du cadmium qui arrive dans nos sols français provient de ces engrais phosphatés, eux-mêmes souvent importés de pays comme le Maroc, où les gisements sont particulièrement chargés en cadmium. Les particules de ce métal lourd voyagent, contaminent les nappes phréatiques, les rivières, et se retrouvent dans les cultures… puis dans ce que nous mangeons.
Comment le cadmium arrive dans notre assiette et s’accumule dans notre corps
Les plantes absorbent le cadmium du sol via leurs racines. Certaines, comme le riz ou le blé dur, sont de véritables “éponges”. Les animaux, eux, peuvent l’accumuler dans leur chair ou leurs abats après avoir mangé des végétaux eux-mêmes contaminés. On est donc sur une contamination indirecte.

L’eau d’irrigation, les poussières atmosphériques, et même certains fertilisants organiques (fumiers, composts mal contrôlés) peuvent relayer la pollution à ce métal lourd.
Le problème est que le cadmium ne s’élimine que très lentement, principalement par les urines. Il s’accumule dans les reins, le foie, et les os. Selon l’OMS, sa demi-vie biologique peut dépasser 20 ans. Une exposition régulière, même à faible dose, finit donc par poser problème, indique l’OMS.
Des régions françaises plus touchées que d’autres
Les dernières cartes de Santé publique France et de l’INRAE montrent une présence accrue de cadmium dans les sols agricoles de l’Ouest (Pays de la Loire, Bretagne, Normandie), mais aussi dans le Nord et le Sud-Ouest, zones de grandes cultures céréalières et d’élevage intensif.

2. Quels sont les risques pour la santé ?
Effets à long terme : le cadmium, un poison insidieux
Ce métal lourd est classé cancérogène certain pour l’homme (groupe 1 du CIRC). Santé Publique France alertait dès 2021 : “le cadmium est suspecté de jouer un rôle dans l’accroissement majeur et extrêmement préoccupant de l’incidence du cancer du pancréas.” Mais ses dégâts ne se limitent pas à ce risque :
- Atteintes rénales : Le cadmium s’accumule dans les reins, où il peut provoquer des insuffisances rénales chroniques, même à des doses faibles mais régulières.
- Fragilité osseuse : Il perturbe le métabolisme du calcium et du phosphore, favorisant l’ostéoporose et les fractures.
- Cancers : Les études épidémiologiques pointent un risque accru de cancers du rein, du poumon, et peut-être de la prostate et du sein.
- Troubles cardiovasculaires : Le cadmium favorise l’hypertension et les maladies cardiaques, selon plusieurs études de cohorte (comme celle-ci réalisée en Suède).
Selon l’association Santé Environnement France (2023), “chez les adultes français, l’imprégnation moyenne au cadmium mesurée entre l’étude ENNS (2006-2007) et l’étude ESTEBAN (2014-2016) a augmenté de 75 %. Cette surimprégnation qui touche 47 % des adultes est également particulièrement inquiétante pour les enfants dont 18 % dépassent déjà la concentration critique de cadmium urinaire définie par l’ANSES ; notamment chez ceux qui mangent des céréales au petit déjeuner. À titre d’exemple, une étude aux Etats-Unis montrait un taux moyen d’imprégnation des moins de 18 ans plus de 4 fois inférieur à la France.”
Pour les enfants : une vulnérabilité extrême à ce perturbateur silencieux
Les enfants absorbent plus facilement le cadmium que les adultes, car leur système digestif est plus perméable. Leur organisme, en pleine croissance, est aussi plus sensible à ses effets toxiques. Cela porte sur leur développement cognitif et peut créer des risques accrus de troubles rénaux.
Plusieurs études suggèrent un impact négatif sur le QI, la mémoire, l’attention et même le comportement des enfants exposés, même si les données sont encore trop éparses pour établir des conclusions définitives. Les plus jeunes sont aussi plus exposés au niveau des reins. Ces derniers, immatures, filtrent moins bien le cadmium que chez un adulte.

Risques accrus pour certaines populations
- Fumeurs : Le tabac est une source directe de cadmium. Un fumeur régulier absorbe deux à trois fois plus de cadmium qu’un non-fumeur, selon l’ANSES.
- Personnes végétariennes ou véganes : Si leur alimentation repose beaucoup sur des céréales, des légumineuses et des légumes racines issus de zones polluées, le risque d’accumulation existe, surtout en cas de carence en fer (le corps absorbe alors plus de cadmium).
- Riverains de zones agricoles ou industrielles : Les populations proches des zones d’épandage d’engrais ou d’anciennes industries métallurgiques sont davantage exposées.
3. Où se cache le cadmium dans notre alimentation ?
Les 5 aliments les plus contaminés, selon les dernières enquêtes de l’ANSES et de l’EFSA :
- Céréales : blé dur (pâtes), riz, pain, biscuits, céréales du petit-déjeuner. Les produits à base de blé dur (pâtes, semoules) sont particulièrement concernés car cette variété accumule plus de cadmium que le blé tendre.
- Légumes racines : pommes de terre, carottes, betteraves, navets. Le cadmium se concentre dans la peau et la partie superficielle.
- Fruits de mer : moules, huîtres, coquillages, crustacés. Certains coquillages filtrent et accumulent le cadmium présent dans l’eau.
- Chocolat et cacao : notamment ceux d’origine Afrique de l’Ouest, où les sols sont naturellement riches en cadmium.
- Champignons : certains champignons sauvages (cèpes, bolets) concentrent particulièrement le cadmium du sol.

Le cas du bio : une meilleure protection, mais sans garantie absolue
On pourrait se dire que les produits bio, qui ont donc poussé sans engrais phosphaté (interdit par la réglementation bio) et sur des terres préservées, sont sans danger. Il est vrai qu’il est conseillé de consommer du bio pour limiter les apports de cet élément chimique dans son alimentation. Néanmoins, il faut garder en tête que certains produits bio importés (cacao, riz, légumineuses…) peuvent venir de régions naturellement riches en cadmium (Chine, Maroc…). Qui plus est, un sol pollué reste pollué, bio ou pas. La traçabilité et la rotation des cultures sont donc essentielles.
4. Les enfants en première ligne face au cadmium
Des taux d’exposition alarmants pour les plus jeunes
Les dernières données de Santé publique France sont sans appel : 36 % des enfants de moins de 3 ans dépassent la dose hebdomadaire tolérable fixée par l’EFSA (2,5 µg/kg de poids corporel), contre 0,6 % des adultes. Les principales sources ? Pain, pommes de terre, pâtes, chocolat, et certains jus de fruits (surtout à base de carottes ou de betteraves, des légumes racines). On va retrouver aussi du cadmium dans les goûters industriels. Biscuits, céréales du petit-déjeuner, barres chocolatées : autant de produits ultra transformés qui cumulent céréales et cacao, deux sources majeures de ce métal lourd classé cancérigène.
La cantine aussi peut être pointée du doigt si elle n’est pas bio. Malgré des efforts de sourcing, la majorité des produits servis en restauration collective (pain, pommes de terre, pâtes) proviennent de filières conventionnelles, donc potentiellement riches en cadmium. Et les appels d’offres publics n’intègrent pas encore systématiquement ce critère…
5. Que faire concrètement pour limiter l’exposition ?
Dans l’assiette
- Varier les sources de céréales : Alterner blé, riz, quinoa, millet, sarrasin, épeautre… Moins on mange toujours la même chose, moins on risque d’accumuler.
- Privilégier les légumes feuilles : Salades, épinards, blettes, choux, qui absorbent moins de cadmium que les légumes racines.
- Bien laver, éplucher, cuire les légumes : Le cadmium se concentre dans la peau et la partie externe. Laver soigneusement, éplucher (notamment pommes de terre, carottes) et cuire à l’eau réduit la charge.
- Choisir bio et local : Privilégier les produits issus de filières bio locales, où l’on peut interroger le producteur sur l’origine des sols et la rotation des cultures.
- Éviter le surdosage de compléments alimentaires : Algues, levures, suppléments minéraux peuvent contenir du cadmium. Toujours vérifier la provenance et la composition.
- Limiter le cacao chez les enfants : L’ANSES recommande moins de 10 g/jour de chocolat ou cacao pur chez les moins de 6 ans.

À la maison
- Aérer régulièrement : Les poussières domestiques peuvent contenir du cadmium, notamment si l’on vit près d’une zone agricole ou industrielle.
- Éviter certains types de vaisselle : Certaines céramiques ou verres colorés non conformes peuvent relarguer du cadmium et du plomb.
- Vérifier la qualité de l’eau : Si vous habitez près d’une zone agricole ou industrielle, faites analyser votre eau de robinet. Les filtres à charbon actif peuvent limiter la présence de métaux lourds.
Les labels à suivre
- Labels bio (AB, Demeter, Nature & Progrès) : Réduction drastique des engrais phosphatés, mais il convient de garder une certaine vigilance sur la provenance.
- Labels de qualité (IGP, AOP) : Certains cahiers des charges imposent une traçabilité accrue et des contrôles sur les sols.
- Filières courtes et certifications locales : AMAP, circuits courts… partout où le dialogue avec le producteur est possible, c’est toujours mieux !
6. À quoi rester attentif à l’avenir ?
Par rapport à la France, l’Europe a pris les devants. L’Union européenne a abaissé en 2021 la dose hebdomadaire tolérable, mais la France tarde à imposer des limites strictes sur la teneur en cadmium des engrais phosphatés. En outre, la réglementation européenne REACH vise à restreindre l’usage de ce métal lourd dans l’industrie, et des plafonds sont désormais imposés dans certains aliments (céréales, cacao, fruits de mer).
En outre, de plus en plus de voix s’élèvent pour renforcer les contrôles sur les filières céréalières et les importations de cacao/riz afin d’identifier les lots qui ne respectent pas la législation. Mais, pour l’heure, on est encore loin d’une publication au Journal officiel…
7. En résumé : les 5 bons réflexes à adopter
- Diversifier son alimentation : plus on varie, moins on accumule.
- S’informer sur l’origine des produits : demander la provenance, lire les étiquettes, privilégier les circuits courts.
- Manger bio, local et varié : le bio réduit l’exposition, mais la diversité reste la clé.
- Limiter les produits transformés chez les enfants : moins de biscuits, céréales industrielles, barres chocolatées.
- Aérer, nettoyer, rester vigilant sur les sources cachées : poussières, vaisselle, eau…
Le cadmium n’est pas une fatalité. Il est le reflet de nos choix agricoles, industriels et alimentaires. S’informer, diversifier son alimentation, privilégier le bio et le local, c’est déjà agir. Mais la vraie solution sera collective : exiger des filières “propres”, des contrôles renforcés, et une transparence totale sur ce qui finit dans nos assiettes. En cela, un score environnemental alimentaire généralisé pourrait changer la donne.
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