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Mode en seconde main : ils n’achètent plus de vêtements neufs

« Ça fait plus d’un an que je n’achète plus du tout de vêtements neufs. » Tout en faisant défiler les trenchs sur les portants d’une friperie solidaire du XXe arrondissement de Paris, Isa revendique sa nouvelle façon de fournir sa garde-robe en seconde main. Pourtant, il lui a fallu un peu de temps pour changer ses habitudes. « C’est dur de s’en détacher. On a été dressés pour acheter du neuf. Mais je ne veux plus enrichir cette industrie », lance le militant de 55 ans.

Après visionnage de plusieurs documentaires, Isa a pris conscience des dommages causés par l’industrie de la mode qui émet aujourd’hui entre 5 et 8 % des émissions globales de gaz à effet de serre, 26 % en 2050 si les tendances actuelles de consommation se poursuivent. En cause, la fast fashion, une pratique de certaines marques qui produisent et vendent des vêtements très vite, très souvent, et à bas prix, incitant ainsi à la surconsommation

L’industrie de la mode sera responsable de 26 % des émissions globales de gaz à effet de serre en 2050 si les tendances de consommation actuelles persistent. Crédit : Anaïs Meynier et Florence Creach.

En 2022, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Onze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour du thème de la sobriété. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.

Friperies, dépôt-ventes, brocantes…

Comme Isa, un nombre grandissant de consommateurs se tournent vers la seconde main, si bien qu’au cours de l’année 2021, la moitié des Français ont acheté au moins un bien d’occasion. Les lieux de revente sont désormais nombreux et variés. Aux friperies, s’ajoutent les braderies, vide-greniers, dépôt-ventes… et même des initiatives privées.

“Avant, j’habitais dans une grande colocation et on organisait souvent de grands trocs de vêtements. Je trouve que c’est une démarche qui crée du lien social”, évoque Anaïs, 30 ans, naturopathe, qui aime prendre son temps afin de “dénicher la bonne affaire”. “On a de la chance, quand on s’éloigne de Paris, on peut trouver des vêtements pas très chers dans des vide-greniers, des brocantes”, ajoute Rose, étudiante en journalisme de 18 ans qui vit à Fontainebleau (77).

Mika, tout comme Rose, était habitué à aller dans les brocantes quand il vivait en Belgique. Mais depuis son arrivée en France, les prix lui paraissent trop chers. Crédit : Anaïs Meynier et Florence Creach.

À lire aussi : Vinted, Leboncoin… la seconde main est-elle vraiment plus « écolo » que la fast fashion ?

En ligne aussi, la seconde main est un succès

Pour les personnes que les piles de fringues des friperies traditionnelles rebutent, les sites de vente en ligne sont devenus la principale alternative. La plateforme leader Vinted compte notamment 19 millions d’usagers en France. “Ce site est intéressant pour mieux cibler nos achats”, considère Anaïs, qui compare le shopping d’occasion à un jeu de négoce qu’elle maîtrise depuis toute petite. Malgré son œil aiguisé, la jeune femme reçoit parfois des vêtements qui ne lui vont pas et qu’il est difficile de retourner à l’envoyeur. Dans un souci de sobriété, elle ne s’en encombre pas et les donne à des amis ou à des associations.

Prix très attractifs, vêtements de toutes marques, en grandes quantités … Finalement on pourrait s’interroger sur la sobriété du modèle de Vinted qui peut inciter à davantage consommer.  “Quand il s’agit de mes trois enfants, j’ai tendance à acheter plus de vêtements d’occasion sur Vinted que si je devais les acheter neufs, car ils sont moins chers”, confesse Emma, maman de trois garçons en bas-âge. Entre 2019 et 2021, les achats des Français sur ces sites de seconde main ont augmenté de 140%.

Un nouveau public pour la seconde main

Le dépôt-vente de Sissi accueille de plus en plus de jeunes actifs en quête de belles pièces, souvent de marques, à des prix réduits. Crédit : Anaïs Meynier et Florence Creach.

Sissi, gérante d’un dépôt-vente dans le Marais à Paris, oppose quant à elle le modèle de ces plateformes à l’idée de “bon sens” qui caractérise selon elle l’achat d’un vêtement de seconde main. “J’ai grandi dans une famille nombreuse où je récupérais les vêtements de mes sœurs. On usait nos habits jusqu’à la corde”, se souvient-elle.

Récemment, cette Parisienne excentrique de 60 ans a observé un changement de clientèle dans son magasin : nouveaux convertis de la seconde main, les jeunes redécouvrent ces lieux de revente qui existaient bien avant eux. A l’image de Baptiste, étudiant en école d’art, qui “scrute la pièce unique et achète moins”. Pour ses vêtements, cet étudiant en école d’art “dépense seulement 100 euros par an !”, annonce-t-il fièrement en enfourchant son Vélib.

Peu d’occasion pour les chaussures et les sous-vêtements

Elles ne manquent pas dans les friperies. Pourtant, trouver la bonne paire de chaussures, à sa taille et en bon état peut prendre du temps et dissuader certains acheteurs de seconde main. Crédit : Anaïs Meynier et Florence Creach.

L’achat de chaussures neuves demeure d’ailleurs une des exceptions dans les nouvelles habitudes de shopping de l’étudiant : « En friperie, le choix de pointures est plus restreint. Quand je veux trouver un modèle spécifique, ça met beaucoup trop de temps. J’ai aussi peur d’avoir mal au pied parce que la semelle a été déformée ». Autre écueil, les sous-vêtements. “Quelquefois on peut en trouver des neufs (non portés par les précédents acheteurs ou provenant de stocks d’invendus, NDLR) mais c’est rare. Et puis surtout, c’est quelque chose de très intime”, indique Isa.

Les soutien-gorge, c’est aussi quelque chose de cher. D’ailleurs, l’enseigne Etam propose depuis le 2 mars 2021 un service de collecte de soutiens gorge. Triés, lavés et repassés, ils sont ensuite distribués à des associations d’aides aux femmes en situation de précarité, dans des centres d’hébergement ou à des structures de soutien aux réfugiés. Et les culottes, les caleçons et les chaussettes dans tout ça ? Ici, même pour les plus fervents adeptes de la seconde main, l’hygiène résiste encore à la sobriété.

Autrices : Anaïs Meynier et Florence Creach.

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