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Mundiya Kepanga : « On doit respecter la nature si on veut qu’elle nous respecte en retour »

Il est arrivé avec un peu de retard car il devait trouver des plumes pour la coiffe de sa tenue d’apparat en vue de l’Université de la Terre, qui vient de se tenir les 25-26 novembre à l’Unesco. Entre son quotidien au milieu des montagnes en Papouasie-Nouvelle-Guinée et les rues de Paris, Mundiya Kepanga pourrait se sentir complètement perdu. Mais il a l’habitude. Depuis une vingtaine d’années, il a voyagé à de multiples reprises pour témoigner de la vie de sa tribu, les Hulis, dont il est le chef coutumier. Et expliquer comment leur quotidien, au cœur de la forêt primaire dans les montagnes, est bouleversé par le réchauffement climatique.

Loin d’être pessimiste, Mundiya Kepanga explique qu’il y a bien des raisons d’espérer malgré un écosystème papouan-néo-guinéen bien malmené ces quarante dernières années. Une faute partagée entre les autorités du pays, qui ont autorisé l’exploitation des forêts en bord de mer, et « l’homme blanc », comme il l’appelle, c’est-à-dire les sociétés internationales – occidentales et dernièrement également asiatiques. Elles se sont largement servies en bois tropical de grande valeur sans remplir leur part du contrat, à savoir la construction d’écoles, d’hôpitaux et de réseaux routiers. Sa venue à Paris a été l’occasion d’un entretien hors norme.

WE DEMAIN : Pouvez-vous nous parler de vous et d’où vous venez ?

Mundiya Kepanga : Je suis né dans un sanctuaire naturel de l’humanité, une forêt primaire dans mon pays la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ma mère m’a donné la vie littéralement au pied d’un arbre, comme le veut la tradition. C’est sans doute pour cela que je suis particulièrement attaché à la biodiversité de mes montagnes. Je vis dans les Hautes-Terres, avec ma tribu, les Hulis, dont je suis le chef coutumier.

Ce n’est pas un grand titre, je ne suis pas rémunéré pour cela mais j’ai à coeur de conserver nos traditions. Un jour, il y a 20 ans maintenant, Marc est venu dans mon village [Marc Dozier, photographe-réalisateur qui a réalisé le documentaire « Frères des arbres » diffusé sur Arte en 2017 sur la vie de ce chef papou, ndlr]. J’ai pris soin de lui, je ne lui ai rien volé et aujourd’hui nous sommes encore amis. Ensemble, nous avons voulu témoigner de l’importance de préserver les forêts. Car sans elles, nous ne sommes rien.

Que signifie pour Mundiya Kepanga, être « frère des arbres » ?

Les frères et soeurs des arbres sont répartis un peu partout sur Terre. Nous avons des croyances différentes, des façons de vivre différentes mais, in fine, nous portons le même amour à la forêt. Nous avons tous besoin de la nature malgré les différences de couleurs, de coutumes et de traditions. Car si tous les arbres disparaissent, les Hommes vont disparaître à leur tour. La toute première génération d’êtres humains vivait au plus près des arbres. Elle mangeait leurs écorces et leurs feuilles. Ce sont eux qui nous ont permis de grandir alors il est normal que nous les aidions en retour. Dans mon village, pour chaque naissance, nous plantons un arbre.

Les deux vont grandir ensemble. Pour chaque mort, nous plantons un arbre. Il va accompagner le défunt. C’est ce que nous ont appris nos ancêtres et ce que nous enseignons à nos enfants. L’arbre, c’est un protecteur. Il fournit de l’ombre face au soleil, ses feuilles nous abritent quand il pleut, etc. Il apporte paix et bien-être sur Terre. Dans mon pays, nous avons une des plus grandes forêts primaires au monde et nous essayons d’en prendre soin. Nous plantons des arbres autour de notre village car, pour protéger la forêt primaire [intacte, sans intervention humaine, ndlr], il faut une forêt secondaire autour.

Mundiya Kepanga, au centre, entouré de deux autres membres de sa tribu, les Hulis, au cœur de la forêt primaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Crédit : Marc Dozier.

Mais la Papouasie-Nouvelle-Guinée est victime de déforestation…

Oui, les forêts en bord de mer sont décimées car les autorités de notre pays ont accordé des baux agricoles spéciaux (SABL) autorisant des sociétés forestières étrangères à couper nos forêts pour exporter le bois. En échange, elles devaient construire des routes, des hôpitaux et des écoles. Mais nous n’en avons jamais vu la couleur. Notre pays a été pillé avec notre consentement.

Aujourd’hui, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a perdu environ 60 % de son couvert forestier à cause de l’exploitation forestière.

Source : Greenpeace.

Les habitants se sont plaints de cette situation. Et c’est aussi pour cela que nous avons fait le documentaire « Frères des arbres », pour témoigner de la situation dramatique de nos forêts. Nous avons fini par obtenir la fin des SABL mais la situation est loin d’être réglée. Depuis la sortie du documentaire en 2017, la situation a évolué. Nous avons un nouveau Premier ministre à l’écoute de ce problème. Il a fait interdire l’export de grumes bruts [bois encore couvert de son écorce, ndlr].

L’exportation n’est possible que si le bois a été transformé sur place, ce qui permet d’accroître la valeur à l’exportation. Nous développons aussi l’agroforesterie avec le soutien financier de l’Union Européenne, autour de la vanille sur la côte et autour du café dans les montagnes. Ces projets s’appliquent à des terrains déjà défrichés. Cela limite la déforestation et permet de reconstruire un peu la forêt secondaire mais le chemin est encore long.

Évolution de la forêt en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans la province de Nouvelle-Irlande, entre 1989 (image du bas) et 2000 (en haut). Crédit : NASA.

C’est une question vitale pour les populations de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Sans la forêt, la survie devient quasi impossible…

Le plus souvent, la seule chose que les papous possèdent, ce sont des arbres et des terres. Pour éviter qu’ils ne vendent leurs terrains aux exploitations, il faut développer des projets pour qu’ils puissent gagner de l’argent sans couper leurs arbres. Quand je vois un arbre vieux tomber, je suis très triste car je pense qu’on ne verra plus jamais d’arbres aussi vieux avec le réchauffement climatique…

Justement, parlez-nous des effets du réchauffement climatique sur votre village…

Il y a eu beaucoup de changements ces dernières décennies. Et depuis une dizaine d’années, le changement est devenu très visible. Tous les anciens sont très tristes car ils ont vu en moins d’une génération l’impact du réchauffement climatique sur leur quotidien. Il y a de nombreux exemples. Beaucoup de sources d’eau dans les montagnes se sont taries. Les anciens se souviennent encore des lieux mais il n’y a plus rien. Il faut aller chercher l’eau à la rivière mais elle est polluée. C’est comme si vous, à Paris, vous deviez boire l’eau de la Seine sans pouvoir la traiter avant.

« Nos sources d’eau des montagnes se tarissent et nous devons boire l’eau des rivières. Comme si vous, vous n’aviez d’autre choix que de boire l’eau polluée de la Seine sans la traiter. »

Mundiya Kepanga.

Il y a aussi deux types de nuages chargés de beaucoup d’eau qu’on voit bien moins souvent qu’avant. Ils ont été remplacés par des nuages qui nous apportent des pluies bien moins abondantes. Et puis, notre alimentation principale, la patate douce, souffre. Elle est de plus en plus contaminée par des parasites qu’on appelle « poupou ». Ce sont des petits vers qui endommagent nos cultures. Cela provoque des famines et l’État doit parfois distribuer de la nourriture dans certaines régions mais il ne peut pas le faire partout, tout le temps.

Nous avons aussi constaté que le sommet des arbres s’assèche depuis quelques années. Chez nous, cela n’arrive pas normalement mais, avec la hausse des températures, tout change. On voit même les feuilles des arbres tomber à terre, comme chez vous. Et puis des marécages sont devenus des terrains de foot en s’asséchant… Tout cela change les écosystèmes et les équilibres de l’environnement. Mais nos ancêtres nous l’avaient prédit.

« Voir les feuilles des arbres tomber, c’est un signe de malédiction chez nous, nous disent les anciens. »

Mundiya Kepanga.

Que vous ont dit vos ancêtres ?

Un vieil homme de notre village nous a dit que lorsque deux rivières fusionneraient en raison de la diminution du débit de l’eau, ce serait un signe de la fin du monde, que ce serait très mauvais signe. Et c’est ce que nous vivons actuellement. Une autre malédiction très ancienne avait prévu l’arrivée de l' »Homme Blanc ». Cette légende, appelée Gigira Laitebo, racontait qu’ils seraient gentils et travailleurs mais nous mettaient en garde contre ces hommes à la peau blanche : il ne fallait pas leur donner le feu provenant d’une certaine montagne, le Mont Gigira. Or, depuis une bonne dizaine années, cette zone est exploitée par le projet PNG LNG [qui inclut ExxonMobil, NDLR], qui extrait du gaz et du pétrole de cette montagne. Deux éléments permettant de faire du feu… Ces ressources naturelles, qui viennent chaque jour renforcer le réchauffement climatique, font notre malheur.

Vous en voulez aux occidentaux de venir piller vos ressources naturelles ?

Je pense que nous avons nos propres responsabilités. Nous avons donné notre accord au niveau du gouvernement et nous touchons de l’argent en l’échange de l’exploitation de ces ressources. On a tous soif d’argent donc je ne tiens pas à rejeter la faute sur certaines personnes en particulier. Nous ne sommes pas différents des autres. Avec la mondialisation, le rapport à l’argent est devenu omniprésent. Nous vendons du bois sec qu’on allait auparavant chercher dans la forêt. On vend des papillons. On vend nos terres et même ce qui se trouve sous nos terres. Ce changement a eu lieu avec l’influence des occidentaux mais nous l’avons accepté. Ils ont aussi apporté les médicaments, les hôpitaux… qui ont changé notre qualité de vie. La modernisation a ses bons et ses mauvais côtés.

Vous voyagez un peu partout dans le monde pour témoigner en tant que « gardien de la forêt ». En quoi cela est important pour vous ?

Lors de la sortie du premier documentaire « Frère des arbres », je ne pensais pas du tout qu’il aurait un telle retentissement. Cela aurait été très prétentieux de penser qu’avec un seul film, moi, Mundiya Kepanga, petit chef papou, j’allais changer les choses. Mais il a été vu dans de nombreux pays et je fais régulièrement des visioconférences pour témoigner de notre quotidien et de l’importance de préserver notre biodiversité. Avec le nouveau documentaire « Gardiens de la forêt » [réalisé par Marc Dozier et diffusé sur Arte en décembre 2023, ndlr], nous espérons que ce sera un nouveau levier du changement. Que cela permettra une prise de conscience. Je ne fais que partager un message tout simple et je suis fier que cela puisse avoir un impact.

Mundiya Kepanga est chef coutumier de la tribu des Hulis dans une région très reculée de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Crédit : Florence Santrot.

Aujourd’hui, dans votre village, quel est le rapport à la nature ?

Notre philosophie participe toujours à la protection de la forêt et donc de la biodiversité. Quand nous allons chercher du bois pour faire la cuisine, nous ne ramassons que certaines essences. Et si un jeune fait n’importe quoi et prend n’importe quel type d’essence, du bois qui n’est pas sec ou s’il s’aventure dans des zones protégées, il sera puni physiquement. Il est crucial de préserver la forêt primaire. Et pour cela, la forêt secondaire, qui vient faire tampon, est particulièrement utile.

Dès le plus jeune âge, les enfants apprennent à reconnaître les essences et l’utilité de chacune. Ils savent qu’il y a un équilibre à préserver. Les anciens nous ont habitués à une certaine forme de sobriété, peu gourmande en ressources naturelles, contrairement à la vie des occidentaux. Aujourd’hui, nous exploitons des forêts mais il faut garder cet équilibre : replanter, empêcher l’exploitation illégale. Face au réchauffement climatique, il n’y a pas d’autre alternative que de respecter la nature si on veut qu’elle nous respecte en retour. On ne peut pas lui donner d’ordre. On doit tous protéger la nature là où nous sommes. Il est inutile d’attendre qui que ce soit, chacun peut faire quelque chose chez lui, à son niveau. Savez-vous à quelle heure vous allez faire pipi ? Non ! Vous voyez, vous ne pouvez pas maîtriser la nature !

« Savez-vous à quelle heure vous allez faire pipi ? Non ! Vous voyez, vous ne pouvez pas maîtriser la nature ! »

Mundiya Kepanga.

Et vous, Mundiya Kepanga, craignez-vous pour l’avenir de vos enfants ?

Tout a beaucoup changé avec l’arrivée des smartphones, de Facebook et d’Internet. Notre culture est en pleine transformation. Les jeunes ont envie de modernité et c’est bien normal mais ils restent très attachés à leurs terres. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, on déménage beaucoup moins que vous. Il y a une coutume mélanésienne très importante qui veut que si on meurt loin de chez nous, de nos racines, nous allons tout faire pour rapatrier le corps dans son village afin que l’on continue à vivre avec l’esprit de nos ancêtres, sur la terre de nos ancêtres. Cela fait des générations et des générations que nous prenons soin de cette terre, il n’est pas question de s’en éloigner de trop.

Après, je ne suis pas responsable des erreurs de mes enfants [Mundiya Kepanga en a huit, NDLR]. Chacun fait ce qu’il veut. Nous essayons de leur donner le meilleur mais, après, s’ils décident de détruire la planète, ce sera leur propre responsabilité. Tous les anciens apprennent aux plus jeunes tout ce qu’ils doivent savoir sur la forêt. À eux ensuite d’en faire bon usage.

En tant que chef papou, vous ressentez une responsabilité particulière ?

Je ne suis qu’un chef coutumier, je ne suis pas un grand chef. J’ai été éduqué de façon très traditionnelle. Tout ce que je sais je le détiens des anciens mais je n’ai pas été à l’école pour apprendre à lire et à écrire. Donc j’ai l’habitude de dire que je n’ai qu’un œil et qu’une jambe.

Mon rôle est de faire en sorte que notre communauté vive en paix, qu’il n’y ait pas de guerre de territoires, de vols, de disputes de terrains, etc. Je partage aussi le message de nos ancêtres avec le plus grand nombre car leurs enseignements ont une vraie valeur.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée (462 840 km2) est un pays grand comme la Suède ou le Cameroun. Situé au nord de l’Australie, il est indépendant depuis 1975 mais fait toujours partie du Commonwealth. Un peu moins de 10 millions vivent sur cette immense île scindée en deux (la partie occidentale est sous souveraineté indonésienne). Particularité : on y parle pas moins de 851 langues et dialectes. État le plus rural au monde, seulement 13,25 % de ses habitants vivent dans des centres urbains, selon des chiffres de 2019. Bénéficiant d’un climat équatorial, le pays vit principalement de l’agriculture vivrière. Il accueille une biodiversité assez unique avec pas moins de 20 000 espèces de plantes différentes, 1 500 espèces d’arbres, 3 000 espèces d’insectes et plus de 750 espèces d’oiseaux différents.

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