Dans cette forge, on chauffe l'acier bien au-delà de 1000 degrés afin de pouvoir le façonner à la forme voulue. Crédit : Jérémy Lempin.
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Le sol de la forge tremble à chaque coup du pilon de plusieurs dizaines de tonnes. L’acier rougeoyant est frappé avec une force colossale, projetant des gerbes d’étincelles autour des forgerons concentrés. Chaque choc prend aux tripes et semble résonner jusque dans la cage thoracique. Les manœuvres sont hypnotiques. À première vue, la forge ne semble pas être un secteur naturellement compatible avec la transition énergétique. Les chiffres sont éloquents : Setforge L’Horme, spécialisée dans la forge et l’usinage depuis 1906, consomme chaque année entre 4 et 5 gigawatts d’électricité et 23 gigawatts de gaz.
La société fabrique des pièces pour les engins de chantiers des travaux publics, le ferroviaire, le textile ou encore l’armement. Tout cela génère d’importantes émissions de CO₂. L’entreprise, située en périphérie nord-est de Saint-Étienne, a pourtant choisi d’embrasser une transformation écologique en profondeur. Et ce, sans faire une croix sur le développement.
“Nous sommes en croissance mais nous voulons aussi réduire notre impact carbone. Cela peut sembler antinomique mais ce n’est pas le cas. Nous sommes persuadés de pouvoir lier les deux”, affirme Didier Forestier, directeur général de Setforge. L’enjeu est d’autant plus stratégique que, en France, l’industrie, dans son ensemble, représente près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.
Pour réduire son empreinte carbone, Setforge L’Horme a lancé depuis 2021 un vaste plan d’investissement, baptisé eCar (“élimination carbone”). L’initiative repose sur plusieurs axes majeurs : électrification des équipements, efficacité énergétique et recours aux énergies renouvelables. “Nous voulons montrer que l’industrie lourde peut aussi jouer un rôle dans la décarbonation”, insiste Didier Forestier, tandis que l’odeur du métal chauffé à plus de 1 000 degrés emplit l’atelier et que le vacarme des machines rythme le travail des ouvriers.
La modernisation de la ligne de traitement thermique est au cœur de cette transformation. L’entreprise prévoit de remplacer ses cinq anciens fours au gaz par quatre fours électriques et un four gaz de nouvelle génération, plus performant. Des transformations qui devraient permettre une réduction significative des émissions de CO2 de Setforge, à hauteur de 150 tonnes CO2eq par an. Une avancée notable quand on sait que Setforge L’Horme émet actuellement 740 kg de CO₂ par tonne produite, pour un volume annuel de 7 000 tonnes.
Outre la modernisation de ses fours, l’entreprise explore de nouvelles technologies pour réduire sa consommation énergétique. Elle mise notamment sur les aciers micro-alliés, qui suppriment l’étape du traitement thermique traditionnel et permettent ainsi de réduire drastiquement les besoins en énergie.Setforge L’Horme envisage aussi l’installation de panneaux photovoltaïques sur les 19 000 m² de toitures de son site.
“Cela pourrait couvrir jusqu’à 20 % de nos besoins en énergie”, explique Didier Forestier. Un projet ambitieux qui nécessitera l’intervention d’un tiers investisseur pour financer cette initiative. L’entreprise a également mis en place un système de récupération de chaleur sur ses compresseurs d’air, permettant de chauffer un atelier sans consommation supplémentaire. “On a réduit notre consommation d’énergie en passant de 160 kW par tonne produite à 140”, détaille le directeur général.
L’urgence climatique n’est pas le seul moteur de la transition engagée par Setforge L’Horme. La flambée des prix de l’énergie a également joué un rôle déterminant. “L’énergie représentait 6 % de notre chiffre d’affaires il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est 12 %. On a dû augmenter nos prix pour ne pas disparaître”, confie Didier Forestier. Malgré cette hausse, l’entreprise n’a perdu aucun client, preuve que la qualité et la fiabilité priment sur le coût seul.
L’optimisation des contrats d’achat d’énergie a aussi été un levier. “On a été obligé de négocier nos contrats au pire moment et on se retrouve avec un prix d’achat électrique bien au-dessus du marché”, admet-il. Grâce à un second raccordement au réseau de gaz, l’entreprise a néanmoins pu réduire sa facture et retrouver un prix compétitif.
Setforge L’Horme illustre une tendance plus large : l’adaptation nécessaire de l’industrie lourde aux impératifs climatiques. Mais peut-on réellement décarboner ce type d’activité ? La forge, par définition, repose sur des procédés très énergivores. Toutefois, en optimisant les processus et en misant sur l’innovation, des gains importants sont possibles.
“Nous voulons montrer que l’industrie lourde peut aussi jouer un rôle dans la transition énergétique”, insiste Didier Forestier. Sa forge est encore loin du “net zéro – et ne l’atteindra sans doute jamais. Mais les efforts multifacettes de Setforge permettent néanmoins d’aller dans la bonne direction. Plus qu’un simple impératif réglementaire, la décarbonation est devenue un enjeu de survie économique. Dans un contexte où la concurrence internationale est féroce et les prix de l’énergie fluctuants, innover pour réduire ses coûts et son impact environnemental est un pari gagnant. Et Setforge montre qu’avec volonté et pragmatisme, il est possible de concilier compétitivité et engagement écologique.
Avec des clients prestigieux comme Alstom, Caterpillar et Nexter, Setforge L’Horme se positionne comme un acteur clé de la mutation industrielle française. Une mutation qui, loin d’être une contrainte, pourrait bien devenir un atout compétitif majeur sur les marchés de demain.
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