Partager la publication "Techno-Apocalypse : Elon Musk, Mark Zuckerberg et la course au chaos"
Depuis son enfance, Elon Musk est dévoré par l’angoisse que fait naître en lui la perspective d’une fin de l’humanité à cause de la dénatalité. Les humains, selon lui, n’auraient plus envie de sacrifier de nouvelles générations à un monde qui offre trop de chances à ceux qui ne les méritent pas et refuse trop d’opportunités aux meilleurs. Trop de règles, trop de lois, trop d’interdictions entravent ceux qui pourraient “réparer le monde” si les États et leurs administrations les laissaient faire à leur guise. Cette Terre est un enfer dont les Libertariens, comme Musk, sont les damnés.
C’est dans la science-fiction qu’il a retrouvé l’espoir de sauver le monde en devenant le “technomessie”. Thomas Michaud, chercheur, prospectiviste et auteur de SF, écrit : “Musk est fan de ce genre littéraire, il n’hésite pas à annoncer vouloir réaliser des visions qui appartenaient jusqu’alors à cet imaginaire technique. Il est l’archétype de l’entrepreneur hyperréel, c’est-à-dire un innovateur ne fixant aucune limite, cherchant à réaliser la science-fiction.“
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Elon Musk, prophète d’une science-fiction désespérée
Les robots domestiques que fabrique Musk ? On les voit dans le film I, Robot, d’Alex Proyas (2004). Les implants neuronaux de Neuralink ? Tout est dans les livres de Iain M. Banks (par exemple, Les Enfers virtuels, 2010). L’idée de numériser les esprits ? Piquée à la SF cyberpunk, cette science-fiction du chaos parle de mondes effondrés, de sociétés surpeuplées et dévorées par la violence, la corruption, les virus. Rien de plus pessimiste mais rien de plus propre à enthousiasmer Elon Musk, convaincu que Teotwawki [“the end of the world as we know it”, la fin du monde tel que nous le connaissons, NDLR] est proche.
Mais il a une solution. Transformer l’humanité en espèce multiplanétaire et expédier sur Mars sa partie la plus audacieuse, la plus intelligente, la moins faiblarde… et aussi la plus réfractaire à l’autorité d’un État mais pas à celle d’un vrai chef, comme lui. Selon le chercheur danois Gregers Andersen (Climate Fiction and Cultural Analysis A New Perspective on Life in the Anthropocene, Routledge Environmental Literature, Culture and Media), il s’agit là de “science-fiction désespérée”, fondée sur la vision la plus noire du futur. L’Humanité ne pourra être sauvée qu’en ayant recours à des solutions technologiques qui relèvent de la géo-ingénierie, de la déportation d’une partie de l’humanité vers Mars ou de la manipulation des masses par le Big Data.
Pourquoi sauver notre planète quand on peut aller sur Mars ?
Mais le salut de l’espèce ne se fera pas sans que se produisent d’effroyables hécatombes. Pas question pourtant de perdre son temps à travailler avec d’autres à régler les problèmes sur Terre, maintenant. La disruption, c’est la seule solution. Musk ne va pas investir pour trouver des remèdes sur lesquels d’autres travaillent déjà. Peter Thiel, son mentor, l’affirme : “Competition is for losers !” Que l’on veuille faire fortune ou sauver le monde, il faut affronter et résoudre, seul, des problèmes devant lesquels tous les autres reculent. Musk veut construire, sur Mars, d’ici à 2050, une ville où pourront survivre un million de migrants terriens.
Pour cela, il faudra d’abord acheminer les pionniers jusqu’à la planète rouge, les faire vivre sous cloche dans un premier temps avant de “terraformer” leur planète d’adoption, c’est-à-dire en modifier l’atmosphère pour que des humains puissent vivre sans équipements spéciaux. C’est impossible, dit la Nasa… La même Nasa qui affirmait qu’il était impossible de ramener intacte une fusée sur son pas de tir pour la réutiliser, font remarquer les Muskolâtres. Impossible aussi, pensaient les esprits sains, de récupérer Trump, de le recycler, de le réinstaller à la Maison-Blanche et d’obtenir de lui un contrôle total sur l’administration américaine. Mais Musk l’a fait, et ce n’est que le début de son plan apocalyptique.
Mark Zuckerberg, attention danger
Parmi les cavaliers de la techno-apocalypse, le plus dangereux serait Mark Zuckerberg, selon la journaliste Kara Swisher. L’auteure de Burn Book, A Tech Love Story (2024, Simon & Schuster) enquête sur la Silicon Valley depuis des décennies. Elle connaît ceux qui sont devenus des Big Players depuis leurs débuts. Elle garde une vague tendresse pour Musk même si celui-ci l’a énormément déçue. Mais depuis qu’elle a rencontré Zuckerberg, elle n’a jamais pu se départir d’un sentiment de malaise face à un être qui semble inoffensif si l’on ne prête pas attention “à ses yeux de fauve“. Kara Swisher affirme que Zuckerberg – “tout doux, tout mou à l’extérieur mais dur, acéré comme une poignée de clous à l’intérieur” – n’a jamais été motivé que par sa volonté de laisser une marque assez profonde dans l’Histoire et que son nom soit connu pendant quelques millénaires.
Le fondateur de Facebook a pris l’empereur Auguste pour modèle de vie et de stratégie. Zuckerberg semble si fasciné par celui qui a abattu la République romaine qu’il va jusqu’à copier sa coiffure. “Zuck”, comme Auguste, conclut toutes ses réunions stratégiques en hurlant : “Domination !” Il s’est mis au MMA pour tenter de se sculpter un corps de gladiateur, mais affecte la simplicité de mœurs et d’apparence qui sied aux vrais grands de ce monde. Auguste, au sommet de sa puissance et de sa gloire, n’a jamais eu le millième du pouvoir de Zuckerberg, l’homme qui règne sur un empire de plus de quatre milliards d’abonnés captifs, dont une large proportion est addict à ce mélange de fureur, de contre-vérités, de délires et de haine, qu’ils absorbent en se connectant. Pour Facebook, rien n’est plus rentable que les passions tristes.
“PARMI LES CAVALIERS DE LA TECHNO-APOCALYPSE, LE PLUS DANGEREUX SERAIT MARK ZUCKERBERG.”
“Zuck” ou la fabrique du désordre algorithmique
Kara Swisher a interrogé Zuckerberg sur le fait qu’il ne faisait rien pour empêcher les négationnistes de vomir leurs délires sur son réseau social. Facebook Imperator s’est défendu en arguant que ces gens-là ne cherchaient pas délibérément à nuire et que même si, à titre personnel, leurs propos le heurtaient, il ne les bannirait pas de son empire. La lanceuse d’alerte Frances Haugen a travaillé plusieurs années pour le service d’intégrité civique de Facebook, qu’elle a quitté quand elle a compris que son travail était une vaste farce. “Les dirigeants de Facebook ne font rien pour corriger les problèmes qu’ils connaissent. Encore aujourd’hui, leur objectif reste de garder le plus d’usagers connectés le plus longtemps possible sur leur plateforme. Et tant pis pour les dommages collatéraux !”
Cette obstination à entretenir le chaos par les algorithmes fait peser sur les dirigeants de Facebook le soupçon de vouloir accélérer la course du monde vers une désintégration sociale. De cet effondrement civique et moral émergerait alors le Wrol – ou Without Rule of Law – un état anarchique du monde où la vie serait si peu agréable que les humains chercheraient à s’en extraire à tout prix. Zuckerberg a déjà créé un monde de rechange pour des milliards de réfugiés algorithmiques. C’est ce fameux métavers dont il a annoncé la création en 2021.
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Le métavers, échappatoire postsolutionniste pour échapper au réel
“Le projet, écrivent les chercheurs Anna Verena Nosthoff et Felix Maschewski, de l’université Humboldt de Berlin, est de nous offrir un monde numérique pour ne plus avoir à se préoccuper des problèmes de cette réalité.” Il s’agit d’utiliser nos écrans comme des fenêtres pour regarder l’univers numérique, et avoir ainsi accès à cet autre monde. Chacun y sera libre, en fonction de ses moyens, de vivre une autre vie, en offrant à son avatar une autre tête que la sienne et en dotant son jumeau numérique de tous les talents, de toutes les audaces et qualités qui nous font si cruellement défaut dans une réalité de plus en plus angoissante.
L’idée du métavers existe dans la science-fiction depuis 1935. Philip K. Dick l’a développée dans Le Problème des bulles, sorti en 1953. Mais c’est dans Snow Crash (Le Samouraï virtuel, 1992) de Neal Stephenson que Zuckerberg a trouvé à la fois le nom et le modèle de son métavers. Dans ce roman dystopique, le vrai monde est devenu invivable à cause de la destruction de l’environnement, de l’effondrement du système financier qui provoque un cataclysme économique et social. Les humains, accablés, retrouvent joie et consolation dans un royaume numérique de 66 536 km de long accessible grâce à des lunettes de réalité virtuelle.
C’est exactement le projet postsolutionniste de Zuckerberg. Selon lui, les problèmes du monde réel sont insolubles. Donc plus la peine de multiplier les applications qui nous faciliteraient la vie. Persuadés de l’impossibilité de sauver notre monde, le patron de Facebook, comme ceux de Google et Apple, entendent créer un monde de reflets, où les difficultés n’existeront pas.
Mark Zuckerberg, battu mais toujours en selle
Le confinement lors de la crise de la Covid aurait dû inaugurer la migration de l’Humanité vers le métavers. La Silicon Valley espérait déjà engranger 13 000 milliards de dollars en quelques années. Mais les choses ne se sont pas passées comme Zuckerberg l’avait prévu. À la fin de l’épidémie, l’Humanité a repris goût à la vie en revenant à l’air libre au lieu de plonger dans l’illusion du métavers. Sam Altman, cofondateur avec Elon Musk d’OpenAI, a définitivement fermé les portes de ce monde en offrant son ChatGPT à l’humanité de chair et de sang.
Malgré l’énormité de la défaite subie dans le métavers, l’empire de Zuckerberg ne s’est pas effondré. Au contraire, il ne s’est jamais aussi bien porté. À l’été 2024, ses bénéfices atteignaient 13,7 milliards de dollars, en hausse de 73 %. Le Cavalier Zuckerberg reste dans la course pour franchir le premier le mur de Teotwawki.
“UN ÉTAT ANARCHIQUE DU MONDE OÙ LA VIE SERAIT SI PEU AGRÉABLE QUE LES HUMAINS CHERCHERAIENT À S’EN EXTRAIRE À TOUT PRIX.”
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