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À Soulac-sur-Mer, les premiers expulsés climatiques français

Le 16/07/2019 par Pauline Vallée
En 2000, les vagues de l’océan Atlantique s’échouaient à  100 mètres de l’immeuble Signal, à  Soulac-sur-Mer. Dix ans plus tard, il ne restait que 40 mètres de sable hors de l’eau. (Crédit : Shutterstock)
En 2000, les vagues de l’océan Atlantique s’échouaient à  100 mètres de l’immeuble Signal, à  Soulac-sur-Mer. Dix ans plus tard, il ne restait que 40 mètres de sable hors de l’eau. (Crédit : Shutterstock)

Retrouvez cet article paru en novembre 2018 dans la revue We Demain n°24 sur notre boutique en ligne.

Depuis la publication de l’article dans la revue en novembre 2018, l’Assemblée a voté l’indemnisation des habitants du Signal à hauteur de 7 millions d’euros, fin décembre 2018.

Dans les années 1960, l’idée du Signal avait pourtant semblé bonne. L’époque est au plein-emploi, à l’enthousiasme des Trente Glorieuses, à la quatrième semaine de congés payés : les Français veulent profiter du littoral, les maires se mettent en tête de le bétonner. Celui de Soulac-sur-Mer, petite commune de Gironde, voulait, lui aussi, sa station balnéaire. Soit l’édification, sur le front de mer, de 1 200 logements, d’un boulevard deux fois trois voies, d’une Thalasso et d’un hôtel de luxe.

Seul le Signal aura le temps de sortir de terre avant que le projet ne s’éteigne. L’immeuble fera le plein. Des retraités, pas franchement fortunés, se laissent tenter : agréablement posés sur la dune, les 78 appartements du signal sont la promesse d’une belle vue sur mer et d’un doux repos estival.

La promesse a pris l’eau.

« En 1978, lorsque nous avons acheté, la mer était à plus de 250 mètres à marée haute, nous n’avions aucune inquiétude »,  se souvient Jean-José Guichet.

Alors cadre dans l’industrie, il s’était offert un appartement au premier.

« À partir des années 1990, nous avons commencé à douter : à chaque grosse tempête, des mètres et des mètres de dunes foutaient le camp. »

Gloutonne, la mer s’est mise à copieusement ronger la dune. Elle n’est plus qu’à 100 mètres du signal en 2000, à 40 mètres en 2010… « C’est après le passage de Xynthia, en 2010, que nous avons compris que nos jours étaient comptés. » L’eau a dévoré le sable jusqu’à 23 petits mètres de la barre de béton.

Une Houle de 5 mètres

Le coup de grâce viendra en janvier 2014.

Une houle de 5 mètres, et de forts coefficients de marée rognent encore quelques mètres. Le trait de côte atteint en une tempête le tracé prévu pour 2040. Le préfet missionne le maire d’expulser les habitants. Eau, gaz et électricité coupés sans préavis, oust ! Ils deviennent, ce jour-là, les premières victimes climatiques des côtes françaises.

Beaucoup d’autres pourraient suivre. Car l’érosion du littoral s’accélère en France, au point de concerner un quart des côtes métropolitaines, soit plus de 1 700 km. Moins d’un dixième du trait de côte suit le mouvement inverse, d’engraissement et de regain sur la mer, selon le Commissariat général au développement durable.

Les prochaines décennies ne devraient pas voir s’inverser la tendance. Dans le cinquième volume de son rapport sur le Climat de la France au XXIe siècle, remis en 2015 au ministère du Développement durable, le climatologue Jean Jouzel donnait l’alerte.

« 41 % des plages sont victimes de l’érosion côtière, en France, et les impacts futurs de l’élévation du niveau marin sur le recul du trait de côte sont potentiellement très importants. »

Les zones les plus touchées sont l’Aquitaine, la Manche, ou encore le Languedoc Roussillon. En Aquitaine, la côte sableuse recule en moyenne de 1 à 3 mètres chaque année, parfois jusqu’à 6, voire 10 mètres. En Gironde, plus particulièrement, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) prévoit que le littoral aura reculé de 20 mètres en 2025 et de 50 mètres en 2050.  Sur la Côte d’Opale, dans le Pas-de-Calais, la mer a gagné jusqu’à 40 mètres depuis les années 1970. Sur certaines plages de Vendée et de Charente-Maritime, la seule tempête Xynthia a repoussé, en quelques jours, le trait de côte de 20 mètres…

« La mobilité du trait de côte n’est pas nouvelle. Le phénomène existe depuis que le monde est monde, les sédiments meubles se déplaçant au gré des changements de courants et des tempêtes », rappelle Patrick Bazin, directeur de la gestion patrimoniale au Conservatoire du littoral.

Reste que, depuis quelques décennies, le réchauffement climatique s’accélère, qui dérègle le système.

« On le sait, le niveau de la mer va augmenter de plus en plus vite. D’ici quelques siècles, la hausse se comptera en mètres. Dans le même temps, le GIEC estime que les événements climatiques seront de plus en plus extrêmes, violents et fréquents. Conjugués, ces phénomènes vont accentuer l’érosion », souligne Patrick Bazin.

« RÉSISTER OU SE REPLIER »

Pour les habitants acculés, ne reste alors qu’une alternative : « Résister ou se replier », résume Camille André, chargé de mission pour la gestion des risques littoraux au Groupement d’intérêt public (GIP) Littoral aquitain.

« La solution de court terme consiste à protéger la côte par la mise en place d’ouvrages [les tentatives de freiner l’érosion par l’importation de sable ont été parfaitement inefficaces, ndlr] ; la solution de moyen et long terme est celle du repli stratégique. »

Dans les deux cas, ces victimes climatiques restent livrées à elles-mêmes. C’est là le noeud du problème : l’érosion marine n’est pas, aujourd’hui en France, reconnue comme un risque naturel.

Première option, donc : les victimes abandonnent leur bien, sans indemnisation. Créé en 1995, le fonds de prévention des risques naturels, dit fonds Barnier, couvre notamment le risque de submersion, et même l’érosion des falaises lorsqu’elle implique un risque d’affaissement de terrain, qui figure, lui, dans le texte, mais rien, en revanche, pour l’érosion sableuse, considérée comme un phénomène naturel prévisible.

Les multiples recours des habitants du Signal devant la justice n’y ont rien fait. Le Conseil d’État lui-même les a définitivement déboutés en août 2018.

Seconde option : les victimes défendent leur bien contre la mer. En vertu d’une loi de 1807 toujours en vigueur, elles sont alors censées, avec l’accord de l’État, assumer elles-mêmes les coûts des travaux. Or ce type d’ouvrages (enrocher une plage, construire une digue, importer du sable) est évidemment impossible à financer pour des particuliers.

C’est dans ce piège inextricable que sont aujourd’hui ensablés les ex-habitants du Signal.

« Cette affaire est un scandale, enrage Corinne Lepage, leur avocate. Rien n’a été fait pour protéger l’immeuble, puis ils ont été expropriés sans proposition de solution. Aujourd’hui, le maire ne cherche qu’une chose : sacrifier le Signal aux frais des habitants. »

Pour l’ancienne ministre de l’Environnement, « l’érosion doit être intégrée aux lois de solidarité nationale, car ces victimes climatiques vont se multiplier ».

« Ce n’est plus une histoire d’argent mais de dignité, plaide, la voix nouée, l’ancien habitant Jean-José Guichet, âgé aujourd’hui de 80 ans. Nous refusons d’être ainsi abandonnés. »

Les tentatives pour corriger cette béance du droit, portées par des élus locaux, butent sur l’inflexibilité de l’État : pas question d’ouvrir la voie à la reconnaissance d’un risque dont la prise en charge coûte cher, très cher.

Le naufrage du Signal n’aura servi à rien. Même pas à protéger les bords de mer des constructions : la loi littoral de 1986 vient d’être assouplie par la loi Elan.

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