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Marche ou vélo : aussi bon pour la planète que pour notre santé

À la faveur de la crise énergétique que nous traversons depuis le printemps 2022, le débat sur les transports actifs (marche et vélo) a été ravivé. Un débat très souvent abordé sous l’angle climat-énergie… Il est vrai que les transports constituent le premier poste d’émissions de gaz à effet de serre (GES) en France. Et que le développement de l’usage du vélo pour les trajets de courtes distances permettrait de réduire à la fois les émissions de GES et la dépendance énergétique de la France. Pour autant, ce cadrage du débat occulte un argument fort en faveur des transports actifs : leurs bénéfices pour la santé.

En effet, en induisant un certain niveau d’activité physique, les transports actifs – principalement le vélo (avec ou sans assistance électrique) et la marche – permettent d’éviter un grand nombre de maladies chroniques. Il a ainsi été établi que l’absence d’activité physique régulière augmente l’occurrence de maladies graves. Comme les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, le cancer du sein ou du colon et la démence.

Intégrer la marche ou le vélo dans son quotidien, la bonne idée

Une manière simple de pratiquer une activité physique régulière consiste à se déplacer à pied ou à vélo. Plusieurs méta-analyses d’études épidémiologiques ont montré que ces modes de déplacement réduisent la fréquence de ces maladies. Ce qui génère des réductions des dépenses de santé. On estime ainsi qu’un cas de diabète prévenu évite annuellement à la collectivité près de 36 000 euros de dépenses médicales.

Un effet bénéfique calculé

Au-delà de ces pathologies, la marche et le vélo ont été également associés à une réduction du risque de décès. Une autre méta-analyse a ainsi mis en évidence que la pratique hebdomadaire d’1h40 de vélo réduisait le risque de décès (toutes causes confondues) de 10 %. Et que la pratique de 2h50 de marche hebdomadaire réduisait ce risque de 9 %. À l’échelle d’une population, ces effets protecteurs sont substantiels.

Par exemple, il est estimé que les niveaux de pratique actuels du vélo aux Pays-Bas engendreraient un gain d’espérance de vie de 6 mois. À proprement parler, le décès n’engendre pas ou peu de coûts médicaux. Toutefois, les pouvoirs publics ont fixé la “valeur” d’un décès évité et celle d’une année de vie sauvée, ce qui représente la somme qu’une société est prête à dépenser pour sauver une vie ou une année de vie moyenne. Sur cette base, le vélo engendrerait annuellement aux Pays-Bas des bénéfices estimés à 19 milliards d’euros. Soit, pour donner un ordre de grandeur, plus de 3 % du PIB du pays.

L’exemple des Pays-Bas l’illustre de manière édifiante. En matière de transports, ce qui est bon pour le climat l’est aussi pour la santé. Dès lors, documenter de manière rigoureuse les bénéfices sanitaires de politiques de décarbonation peut jouer un rôle très important. Notamment pour renforcer l’engagement et l’adhésion de la population. Mais aussi des autorités locales ou nationales aux mesures de réduction des GES.

Une évaluation inédite

C’est à cet exercice que nous nous sommes essayés dans un article scientifique récent. En utilisant la méthode de l’évaluation quantitative d’impact sanitaire, nous avons cherché à évaluer les bénéfices pour la santé liés aux transports actifs dans un scénario de transition bas-carbone : celui décrit en 2021 par l’association négaWatt.

Comme d’autres scénarios (ceux de RTE ou de l’Ademe par exemple), le scénario négaWatt vise à identifier une trajectoire cohérente de transition vers la neutralité carbone pour la France métropolitaine à l’horizon 2050. Et ce, avec un haut niveau de détails pour les principaux déterminants de la consommation énergétique dans une diversité de secteurs (km-passagers pour le secteur des transports, surfaces habitables chauffées dans le secteur du bâtiment, etc.).

Les transports actifs participent à la neutralité carbone

Dans le scénario négaWatt, la décarbonation des transports passe, entre autres, par un essor des transports actifs. Ainsi, ce scénario projette à l’échelle nationale, sur la période 2020-2050, une hausse modérée de la marche (+10 %). Et une hausse forte du vélo (augmentation d’un facteur 7), principalement portée par le vélo à assistance électrique.

Si cette augmentation de l’usage du vélo semble importante, il faut garder en tête que la France part d’un niveau bas en 2020. Et que cette augmentation se traduit au final, par environ 1h de pratique hebdomadaire du vélo par personne en moyenne en 2050. Cela reste en deçà du niveau actuel d’utilisation du vélo aux Pays-Bas, et proche du niveau actuel au Danemark.

Évolution hebdomadaire du kilométrage (A) et de la durée (B) de la marche et du vélo. Le calcul de la durée se base sur une vitesse moyenne de 4,8 km/h (marche), 14,9 km/h (vélo) et 18,1 km/h (vélo électrique). Scénario négaWatt, France 2020-2050. K. Jean, Ph. Quirion, Negawatt, Author provided

Estimation des gains en termes de vies sauvées et de milliards d’euros

En distribuant ces hausses de la marche, du vélo et du VAE entre les groupes d’âge constituant la population, et en appliquant les réductions de mortalité correspondant à ces niveaux, nous avons pu estimer le nombre de décès évités comparativement à un scénario sans hausse des transports actifs (niveaux de 2021 maintenus constants).

Nous avons ainsi pu mettre en évidence que les gains pour la santé de ce scénario pourraient être considérables. Et ce dans un futur proche : dès 2025, cette hausse des transports actifs se traduirait par environ 3 000 décès évités annuellement.

En utilisant les valeurs recommandées au niveau national pour l’évaluation d’impact socio-économique des investissements publics (une année de vie sauvée est évaluée à 139 000 euros en 2020), la monétarisation de ces bénéfices s’élève à environ 10 milliards d’euros par an.

10 000 décès évités d’ici 2050 grâce aux transports actifs

Sur le plus long terme, à l’horizon 2050, ces gains s’élèveraient à environ 10 000 décès évités par an. Un gain d’espérance de vie de l’ordre de trois mois en moyenne pour l’ensemble de la population. Et près de 40 milliards d’euros de bénéfices.

À ce stade, les éléments de comparaison s’avèrent importants pour appréhender le niveau de bénéfices. À titre d’exemple, on estime qu’une politique de santé publique ambitieuse qui permettrait de réduire la consommation d’alcool de 20 % éviterait ~7 000 décès par an. Cela équivaut au nombre de décès évités grâce à l’activité physique induite par les transports actifs dès 2030 dans le scénario négaWatt.

Concernant les bénéfices monétarisés associés (10 milliards d’euros par an dès 2025), ils peuvent être mis en regard des investissements publics pour la promotion des transports actifs… Même si la comparaison ne va pas à la faveur de ces derniers. En effet, le plan vélo gouvernemental annoncé en 2018 représentait 450 millions d’euros sur 7 ans. Soit moins 65 millions d’euros par an… Une goutte d’eau en comparaison des aides d’État sur les carburants. Celles-ci ont représenté plus de 2 milliards d’euros d’aide publique d’avril à août 2022.

De véritables co-bénéfices santé-climat

Cette étude permet d’illustrer qu’un scénario réaliste de transition vers la neutralité carbone peut exister. Un scénario qui articule, dans le cas du scénario négaWatt, sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables. Un scénario qui permet de générer des bénéfices qui dépassent la seule réduction des émissions de GES.

Ces co-bénéfices pour la santé des actions climatiques vont par ailleurs bien au-delà de l’activité physique induite par les transports actifs. Il en est de même pour l’amélioration de la qualité de l’air résultant de la réduction de la combustion des énergies fossiles. Ou encore de l’amélioration du confort thermique des logements.

L’évaluation systématique de ces bénéfices pour la santé constitue ainsi un exercice qui pourrait aider à identifier les trajectoires les plus désirables, ici en se basant sur le critère sanitaire, parmi des scénarios visant la neutralité carbone par des choix techniques et sociétaux contrastés.

Une mobilité active qui doit maintenant se traduire dans les politiques publiques

Cette étude permet une nouvelle fois de souligner la pertinence de promouvoir les mobilités actives. Que ce soit au vu de leurs bénéfices sanitaires ou des bénéfices économiques associés. Ceux-ci dépassent généralement de très loin les sommes investies. Si ce constat fait consensus depuis de nombreuses années dans les études médico-économiques, force est de constater qu’il ne s’est pas traduit – ou seulement très récemment – au niveau des politiques publiques…

En 2019, il était ainsi estimé que seuls 2,7 % des trajets des Français étaient effectués en vélo… soit le même chiffre, à la décimale près, qu’en 2008. En d’autres termes, les politiques publiques de promotion du vélo sont passées à côté d’une décennie de bénéfices potentiels. Que ce soit pour les objectifs climatiques de la France et pour la santé de sa population.

Il n’en devient que plus urgent de reconnaître à leur juste valeur les bénéfices des transports actifs et de leur attribuer les investissements qu’ils méritent.

À propos des auteurs : Kévin Jean. Maître de conférences en épidémiologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
Philippe Quirion. Directeur de recherche, économie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Émilie Schwarz, étudiante au Master of Public Health (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique), a contribué à ces travaux et à la rédaction de l’article.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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