Mongolie : la culture du cachemire passe à l’heure éthique et durable

Depuis quelques années, les pulls en cachemire se sont multipliés dans les rayons des magasins européens. De nombreux consommateurs se réjouissent de pouvoir se draper de ce tissu autrefois inaccessible. Ces derniers peuvent désormais s’offrir un pull en cachemire pour moins de 50 euros. Cette tendance n’est pas sans conséquences sur la vie des éleveurs de chèvres pashminas, en Mongolie, le deuxième pays producteur de cachemire après la Chine. L’augmentation des volumes de laine produits a en effet engendré une dégradation des salaires et un surpâturage qui menace l’équilibre des écosystèmes. L’ONG Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) s’est saisie de l’affaire et lance une filière de cachemire mongole durable et équitable, avec une première récolte prévue au printemps 2015.

Les plus grandes prairies au monde désertées

Comment expliquer une telle baisse du prix de « l’or des steppes », réputé pour sa douceur et sa chaleur, ces dernières années ? Son prix a longtemps été justifié par le faible volume de laine produit (quatre à six chèvres pour réaliser un pull fin) et aux savoirs-faire requis pour son tissage. Ces deux conditions n’ayant pas changé, face à la demande grandissante, les économies se sont faites sur les salaires des éleveurs. Les éleveurs ont également multiplié le nombre de chèvres par quatre (5 à 20 millions de chèvres en 13 ans).

Ce développement a entraîné un surpâturage provoquant une désertification des steppes préoccupante : 70 % des prairies mongoles sont aujourd’hui considérées comme dégradées. Une surexploitation qui a des effets irréversibles sur l’écosystème de ces prairies, connues pour être les plus vastes du monde. Les conséquences pour l’homme sont également majeures. En Mongolie, le cachemire représente 80 % des ressources des éleveurs de la région. La baisse des salaires qui frappe le secteur a donc appauvri des familles entières.

 

Transformer les habitudes des éleveurs

Face à ce désastre économique, social et écologique, AVSF a décidé de prendre les choses en main. Entre 2011 et 2013, des membres de l’ONG se sont entretenus avec des éleveurs mongols pour leur proposer de faire évoluer radicalement leurs manières de travailler. Un programme de formation a été mis en place afin de coordonner les actions des éleveurs.

Jadis isolés, ces derniers ont été regroupés en coopératives. Leurs troupeaux sont mieux répartis dans l’espace, dans un souci de préservation de la végétation et de l’eau disponible. Enfin, l’ONG gère entièrement la commercialisation et l’export vers l’Europe, se débarrassant ainsi des intermédiaires. Trois après son lancement, environ 500 familles d’éleveurs bénéficient de ce programme. Un chiffre qui devrait doubler d’ici 2 ans.

Du cachemire pour le luxe

Mais l’ONG ne s’arrête pas là : elle agit en parallèle en Europe, où l’on consomme le cachemire en Mongolie. C’est Cécile Lochard, experte du luxe durable (1), qui a été chargée d’étudier le marché européen et d’inciter ses acteurs à se fournir en cachemire équitable et durable. Une démarche à laquelle les grandes maisons de luxe françaises et italiennes ont été sensibles, avant, pour certaines d’entre-elles, de s’y investir.

 

Pourquoi avoir choisi d’associer le secteur du luxe à cette démarche durable ? « On a tendance à juger le luxe très sévèrement en matière de développement durable. En réalité, beaucoup d’actions sont menées par cette industrie », analyse Cécile Lochard, qui souligne au contraire les prédispositions du secteur à s’engager dans cette voie. « D’abord parce qu’elles s’inquiètent de perdre la qualité de leurs produits et de voir disparaître un savoir-faire inestimable. » Ensuite, parce ces grandes maisons ont les moyens de s’entourer de directeurs du développement durable. « À l’inverse, ajoute l’experte, la grande distribution n’est pas prête à adopter de telles démarches, qui entraineraient une hausse de ses prix. »

 

Dès lors, comment expliquer le fait que le luxe peine à se défaire d’une image peu responsable ? « Cela tient à une culture du secret qui entoure ce secteur, analyse Cécile Lochard. On est très loin du greenwashing (procédé marketing visant à sur-vendre une démarche responsable) et de l’opportunisme. Communiquer sur le développement durable, c’est entrer dans la matrice du produit : on vend la transparence du processus… au point d’en démystifier l’objet vendu. » Le mystère est tel que les marques engagées refusent de donner leur nom. Un espoir cependant pour les consommateurs candidats au cachemire durable : AVSF travaille sur un logo indiquant que le cachemire est durable, mais la marque pourra toujours refuser l’apposer à son étiquette.

(1) Luxe et Développement Durable, de Cécile Lochard et Alexandre Murat, éditions Eyrolles, 2011.

Laura Cuissard
Journaliste
@faisonsenvie

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