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Pour Nicolas Hulot, les petits pas ne suffisent pas, il faut « changer de modèle »

Avec l’essai graphique « Les petits pas ne suffisent pas ! », Nicolas Hulot et Muriel Douru, illustratrice engagée, dépeignent l’urgence climatique à travers les expériences de vie de l’ancien ministre. Ensemble, ils livrent aussi leur vision de l’avenir. Interview.

Le 29/03/2021 par Sofia Colla
Les petits pas ne suffisent pas
Muriel Douru et Nicolas Hulot, auteurs de l'essai graphique "Les petits pas ne suffisent pas !". (Crédit : Gérard Cambon)
Muriel Douru et Nicolas Hulot, auteurs de l'essai graphique "Les petits pas ne suffisent pas !". (Crédit : Gérard Cambon)

WE DEMAIN : En lisant l’essai graphique, le constat est assez dur. Il démontre que rien ne va dans nos sociétés occidentales. Alors, peut-on encore garder espoir ?  

Nicolas Hulot : Nous n’avons pas le choix. D’abord, rien n’est joué. Nous sommes à un moment déterminant. Ce que nous allons décider individuellement, mais surtout collectivement, dans les prochaines années va conditionner l’avenir pour le meilleur ou pour le pire. 

Donc nous ne pouvons pas baisser les bras. Si nous voulons que cela se termine d’une manière heureuse, la vérité c’est qu’il va falloir changer notre modèle. Il faut le changer radicalement mais progressivement. 

Muriel  Douru : L’espoir seul ne suffit pas, s’il n’est accompagné d’actes très concrets.

Il faut se demander, à titre personnel, ce que l’on peut faire. Quand on se pose cette question-là, cela fait quand même très mal. On passe par une forme d’effondrement intérieur, tout ce qu’on croyait par le passé s’écroule.

Changer à son échelle permet d’influencer à son tout petit niveau, puis cela se dilue et crée une forme d’action collective.

Vous dites qu’il faut changer progressivement, mais ce n’est pas ce que laisse penser le titre de votre ouvrage « Les petits pas ne suffisent pas ! »

Nicolas Hulot : « Les petits pas ne suffisent pas » en effet car les phénomènes que nous essayons d’endiguer, eux, progressent à grandes enjambées. Si nous avions amorcé la mutation plus tôt nous aurions pu organiser la mutation d’une manière moins brutale. 

Les petits pas ne suffisent pas non plus car l’idée n’est pas de corriger ou d’aménager un modèle, l’idée est de changer de modèle. C’est-à-dire de s’attaquer aux causes et aux racines systémiques d’un modèle économique, marchand, de société, qui est la cause de la crise écologique. Quelque part, la crise écologique est l’avatar d’une crise culturelle et d’une crise de civilisation. Il faut être radical dans l’objectif. Par contre, il faut être progressif dans sa réalisation. 

Ce changement de modèle ne pourra se faire que dans l’application de trois principes. Un principe de prévisibilité : se fixer des objectifs ambitieux. Nous devons aller vers un modèle énergétique quasiment exclusif à partir des énergies renouvelables, vers un modèle agricole dont le conventionnel va probablement devenir le bio, vers des modes de transport totalement différents… Deuxièmement, il faut rendre ces objectifs irréversibles : c’est-à-dire les cranter dans la loi et les monitorer d’année en année pour voir si nous sommes bien sur la trajectoire. Et, le troisième principe, c’est d’identifier ceux qui vont se retrouver dans une impasse et abonder la recherche ou les financements pour ne laisser personne sur le chemin. 

Muriel Douru : L’idée avec ce titre n’est pas de dire les petits gestes suffisent, un discours qui culpabilise les individus, souvent utilisé par la classe politique.

Jean-Marc Jancovici, et son organisme The Shift Project, a fait une analyse qui montrait que si nous appliquions tous les gestes de base pour limiter notre empreinte carbone, nous pourrions baisser les émissions de CO2 de 25 %. C’est déjà pas mal ! Mais il faut quand même être conscient que 71 % de ces émissions sont dues à 100 multinationales. 

Nous ne pouvons pas faire porter toute la responsabilité aux individus. Mais, en même temps, si nous voulons créer une révolution, au moins des consciences, il faut que les gens s’y mettent. Cela se joue sur les deux tableaux.

L’ouvrage pointe l’influence des lobbyistes, notamment de la chasse, et des PDG de multinationales sur les politiques. Le gouvernement a-t-il encore le pouvoir d’agir face à eux ? 

Nicolas Hulot : Les politiques ont perdu la main sur certains groupes de pression, et notamment sur des lobbies financiers. Car quelque part, ils ont baissé les yeux. 

Dans un monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui, le politiques français ne peuvent pas affronter tous les groupes de pression à eux seuls et éditer de nouvelles règles. Mais dans le premier espace économique mondial qu’est l’Europe, il serait possible de remettre de l’ordre. L’Europe peut aider à fixer un certain nombre de règles. 

Par exemple, quand j’ai pris la décision de mettre fin à la vente de véhicules thermiques d’ici 2040, que c’est-il passé ? L’industrie automobile a dit « ok, mais aidez-nous ». La contrainte n’est pas l’ennemi de l’innovation, elle en est la condition. 

Encore faut il empêcher les connivences. Il n’est pas normal de voir certains groupes de pression avoir portes ouvertes au plus haut niveau des institutions.

Muriel Douru : Les politiques devraient aussi se rappeler qu’ils sont au service des citoyens. Or, bien souvent, nous avons l’impression que ce n’est plus le cas.

Nous l’avons vu avec la Convention Citoyenne pour le climat. C’était très intéressant comme exercice. Mais les propositions ont été ultra-filtrées, il n’en reste quasiment plus rien, alors qu’elles étaient vraiment pertinentes. 

Il y a peut-être un problème de représentation politique. Est-ce que le système, tel qu’il est, nous permet de faire changer les choses ? Personnellement, je n’y crois plus. J’aimerais quelqu’un comme la Première ministre de Nouvelle-Zélande. Et plus des hommes du passé ! 

Nicolas Hulot, l’essai retrace différents moments de votre vie politique, notamment votre passage au gouvernement. Avec du recul, y-a-t-il des choses que vous auriez faites différemment ? 

Nicolas Hulot : Je ne sais pas. Est-ce que j’ai été assez clair à ma prise de fonction auprès du Président et du Premier ministre sur les conditions de mon maintien, sur mes objectifs et mes ambitions ? Je me le demanderai toujours.

Mais je ne suis pas parti sur un coup de tête. Je m’étais fixé une échéance pour prendre le temps de trouver mes marques, de synchroniser, d’harmoniser et quand cette échéance est arrivée et que j’ai eu la certitude que je n’aurais jamais les moyens d’imprimer la transition écologique et solidaire, j’ai pris la décision qui s’imposait à ce moment-là. 

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Pensez-vous retenter un expérience politique ?

Nicolas Hulot : Au sens convenu du terme, la réponse est non. Pour être très franc, je n’en ai plus l’énergie. Je pense qu’il faut passer la main. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire de la politique différemment. C’est-à-dire influer sur la marche de la politique avec ma Fondation, avec des organisations humanitaires, avec la CFDT… Oui, nous allons peser sur les prochaines échéances, mais pas dans une démarche individuelle. 

Au début de la crise sanitaire, on parlait beaucoup de « monde d’après ». Un an plus tard, pensez-vous que ce monde d’après, plus écologique et éthique, est toujours possible ou sommes-nous en train de retourner vers le monde d’avant, voire pire ? 

Muriel Douru : Au départ, j’ai vraiment senti qu’il se passait quelque chose. J’ai senti la solidarité qui diffusait, le respect d’autrui… Et, très vite, la méga-machine a repris le dessus, parce qu’il y a une crise économique. Elle va même toujours plus vite.

« Je n’ai plus l’énergie de retenter une expérience politique. » 

Par contre, j’ai vu beaucoup de gens changer, déménager, renoncer à des métiers mieux payés pour aller vers des activités qui avaient plus de sens… Au niveau des individus, je sens une prise de conscience. Au niveau de l’État, pas du tout. Je n’ai jamais entendu un responsable politique parler des origines de cette pandémie, on ne parle que de la façon de la régler sur le court terme. Or, si on ne fait rien pour comprendre comment c’est arrivé, ça recommencera dans 5 ans…

Nicolas Hulot : Je suis beaucoup moins affirmatif que je ne l’étais au moment du premier confinement. J’ai même pêché par une forme de naïveté. J’ai cru que cette introspection forcée, ce moment de pause subi du jour au lendemain, allait au moins avoir comme vertu de nous interroger sur l’origine des choses, sur notre place dans la nature, sur notre vulnérabilité. 

Et puis j’ai été douché. Je me suis aperçu que la seule chose qui comptait, me semble-t-il, dans l’expression politico-médiatique, c’était un retour à l’identique d’un modèle consumériste, d’un modèle basé sur la croissance.

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À la prochaine présidentielle, quelle serait pour vous la formule gagnante ?

Muriel Douru : Une femme déjà, qui n’ait pas fait l’ENA, qui serait permacultrice. Voilà, ce serait mon rêve !

Le modèle actuel est beaucoup trop pyramidal. Il faut vraiment remettre du citoyen dans les décisions. C’est très compliqué parce que 2022 c’est demain et nous voyons bien que nous n’allons pas changer les choses en mettant un bulletin dans l’urne. Sauf s’il y a vraiment quelqu’un qui émerge de très différent. 

Mais est-ce que nous sommes capables d’élire quelqu’un qui ferait des propositions radicales comme l’a fait la Convention Citoyenne pour le climat ? J’en doute beaucoup.

Nicolas Hulot : En tout cas ce n’est pas une échéance qu’il faut mépriser. Mais il faut peut-être franchir un cap de maturité démocratique, nous les électeurs. C’est-à-dire ne pas se fier simplement aux promesses, parce que tout le monde voudra se parer des vertus écologiques. 

D’abord regarder le diagnostic : est-ce que le constat est bien partagé ? C’est-à-dire est-ce que celles et ceux qui vont aborder ces thèmes-là vont bien reconnaitre que c’est le modèle économique dominant qui est la cause des inégalités sociales et des conséquences écologiques. 

Deuxième chose, une fois que nous nous serons fixés des d’objectifs, la question est de savoir comment nous les atteignons. Et là, il faudra que nous soyons exigeants car c’est ce gap entre les intentions et la réalisation qui crée le discrédit des politiques auprès de citoyens. 

Pendant la crise du Covid, nous avons été capables de nous affranchir d’un certain nombre de règles communes. Allons-nous être capables de cette disruption pour faire émerger ce nouveau monde et pour sortir de ces deux affres des inégalités et de la crise écologique ?

Idéalement, je rêverais effectivement qu’une femme émerge, mais soutenu par un collectif qui s’affranchisse des clivages idéologiques traditionnels. Soit quelque chose de collectif va germer avec une vision, une aspiration, une exigence, capable de rassembler sur l’essentiel. Soit nous auront des lendemains qui déchantent. 

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