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Régénérer en grand : le pari réussi de deux pionniers de l’agriculture régénérative

Labour, engrais minéraux ou de synthèse, pesticides, sols nus entre deux cultures… les principes de l’agriculture conventionnelle sont abandonnés au profit de ceux de l’agriculture régénérative. Sa méthode : entretenir ou restaurer la santé du sol en augmentant sa teneur en matière organique, tout en cultivant. Pas de labour donc, mais un semis direct, la rotation des cultures, l’épandage de fumier ou de compost, le couvert végétal permanent. Une pratique qui, en prenant soin de la microflore et de la microfaune du sol, en augmente la fertilité, renforce la santé des plantes, améliore la circulation de l’eau et la séquestration du carbone, diminue l’érosion, réduit les sécheresses. C’est bon pour les plantes, bon pour celles et ceux qui les mangent, bon pour le climat et la biodiversité.

Diane Masure gère une exploitation qui fait partie des 2 % de fermes françaises à avoir adopté ces pratiques. Ingénieure agronome de formation, elle est fascinée depuis toujours par le sol. Après une carrière de consultante agricole qui l’a vue bourlinguer un peu partout en Europe, elle a repris, en 2013, les 115 hectares de la ferme de sa belle-famille à Polisy, dans l’Aube. Pour elle et son mari, s’engager dans l’agriculture de conservation des sols était une évidence. “Pour moi, cela tombait sous le sens : les agriculteurs sont les protecteurs du patrimoine sol et de la biodiversité. Cette notion de protection est cruciale. Donc nous limitons au minimum le travail du sol, nous gardons des couverts végétaux toute l’année et pratiquons les intercultures pour capter du carbone tout le temps.” Blé, colza, chanvre, légumineuses… ces rotations de cultures participent de la santé du sol.

Diane Masure, lors du World Living Soils Forum 2024 à Arles. Crédit : WLSF.

Protéger le sol avec l’agriculture régénérative

Quand elle s’est lancée dans cette aventure, Diane a été épaulée par un agriculteur local qui avait déjà fait siennes ces méthodes, connaissant l’importance de la transmission des savoirs entre pairs. Rapidement, un réseau s’est formé autour d’elle, renforçant les échanges de pratiques et l’adoption des nouvelles techniques. Son engagement ne s’arrête pas à sa ferme. En tant que présidente de l’association Apad (Association pour la promotion d’une agriculture durable), elle participe activement à la promotion de cette approche et sensibilise le grand public, notamment lors de journées portes ouvertes.

Également engagée dans le projet 4 pour 1 000 (pour la séquestration du carbone), elle multiplie les labels (Bas carbone, Haute valeur environnementale…) sur son exploitation. “C’est beaucoup de paperasse mais c’est important pour valoriser et prouver le bien-fondé de notre démarche”, souligne-t-elle.

Une vision holistique sur une exploitation non loin de Berlin

Benedikt Bösel, ancien financier reconverti en agriculteur, dirige quant à lui une énorme exploitation de 3 000 hectares située à Alt-Madlitz, à environ une heure de route à l’est de Berlin. Un changement de cap radical dans sa carrière qui a eu lieu au moment de la crise financière du milieu des années 2010. L’occasion d’une profonde prise de conscience.

Mais avec un hic : cet ancien kolkhoze de l’Allemagne de l’Est possède des terres sablonneuses et un régime climatique pauvre en précipitations. Un terrain a priori peu propice qu’il a décidé de transformer en adoptant une multitude de pratiques régénératives : agroforesterie, pâturage planifié, compostage, et bien plus encore. “Nous avons adopté une large gamme de techniques régénératrices. Si nous prouvons qu’elles sont à la fois rentables et bénéfiques sur les plans écologique et social, ce sera alors une victoire.”

Benedikt Bösel teste nombre de solutions d’agriculture régénérative sur son exploitation en Allemagne. Crédit : DR.

Nutriments, compostage, fermentation, agroforesterie, animaux…

Pour documenter cette transformation en agriculture régénérative, il a créé la Finck Foundation en 2021, afin de collecter et partager les données sur l’impact de ces méthodes. “J’ai appris à améliorer la santé des sols et la biodiversité à l’aide de nutriments, explique Benedikt Bösel. Mais aussi comment le compostage et la fermentation peuvent aider les plantes et améliorer la santé des sols. J’ai découvert ce qu’est l’agroforesterie, comment les sols peuvent absorber l’eau, la stocker… Enfin, j’ai appris comment l’intégration des vaches et une gestion holistique dans la production agricole peuvent m’aider à préserver les cycles de la nature. C’est ainsi que j’ai pris conscience de l’incroyable potentiel qui existe.” Sa ferme, rentable, emploie aujourd’hui 30 personnes, elle est passée de 20 à 200 vaches en agriculture sylvopastorale, et s’est dotée d’un jumeau numérique de ses systèmes agroforestiers… Un cas d’école et un véritable laboratoire du vivant.

Benedikt Bösel explique qu’il faut renouer avec le temps. Celui de rétablir les équilibres de l’écosystème agronomique avant d’atteindre l’équilibre économique qui lui a pris cinq ans. Le temps aussi de laisser pousser les arbres pour en tirer bénéfice. Une transition qui peut rebuter les agriculteurs par manque de connaissances, et bien souvent de moyens.

Changer d’agriculture pour une agriculture régénérative, une nécessité

Diane Masure et Benedikt Bösel, bien que venus d’horizons différents et travaillant sur des exploitations aux dimensions opposées, partagent une même conviction : il est urgent de restaurer la vitalité des sols pour nourrir un territoire et répondre aux défis climatiques et environnementaux. Pionniers de l’agriculture régénérative, ils s’attachent tous les deux à partager leur savoir-faire et à prouver que la préservation de la santé des terres est une solution clé pour le climat. Diane Masure conclut ainsi : “L’agriculture de conservation des sols n’est pas une alternative, c’est une nécessité.”

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