Sécurité & Résilience

Estelle Guyon Abinal (AXA France) : « Un assureur ne gère pas uniquement les risques, il contribue à les prévenir »

À l’occasion du 3e Forum Sécurité & Résilience organisé par WE DEMAIN le 25 octobre dernier à la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale, Estelle Guyon Abinal, secrétaire générale d’AXA France, a participé à une table ronde qui abordait une question cruciale à l’aune du réchauffement climatique et de tous les dérèglements qui en découlent : « Les risques environnementaux sont-ils encore gérables ? »

Selon un rapport de France Assureurs sur l’impact du changement climatique à l’horizon 2050, le coût cumulé du seul risque sécheresse pour les assurances devrait passer de 13,8 milliards d’euros cumulés sur la période 1999-2019 à 43 milliards d’euros pour les 30 prochaines années. Le Forum a été l’occasion pour WE DEMAIN d’une interview en profondeur avec Estelle Guyon Abinal sur l’avenir du métier d’assureur.

WEDEMAIN : Comment AXA se met en ordre de marche pour affronter le dérèglement climatique ?

Estelle Guyon Abinal : En tant que compagnie d’assurances, nous avons un impact sur le climat à trois titres : assureur, investisseur et employeur. D’une part, en tant qu’assureur : comment fait-on pour répondre présent face à un client dans une situation de sinistre, y compris si celui-ci est lié à des risques climatiques. Dans ce cadre là, nous préférons être dans l’action en amont que dans la simple réaction. Un assureur ne gère pas uniquement les risques, il contribue aussi à les prévenir.

C’est pour cela que nous développons ce que nous appelons le « business vert », c’est-à-dire que nous imaginons des produits et services à impact positif sur l’environnement. Des produits d’assurance plus intéressants sur le plan tarifaire pour rouler en véhicule électrique, l’incitation à utiliser des pièces de réemploi pour les réparations du véhicule, etc. Pour les entreprises, nous allons aussi les encourager à faire des réparations qui vont diminuer leur impact carbone. Par exemple, une entreprise qui voudrait changer son chauffage suite à un incident bénéficiera d’aides financières pour s’équiper en chauffage géothermique plutôt que de remettre en place un chauffage au fioul.

Et en tant qu’investisseur ?

Une entreprise d’assurances possède d’importants actifs financiers. Cela se compte en centaine de milliards d’euros [600 milliards d’euros pour le groupe Axa, ndlr]. Là dessus, nous avons des objectifs très précis pour favoriser les investissements verts et accompagner les entreprises en transition. Nous avons aussi été les premiers à nous désengager de l’industrie du charbon en tant qu’investisseur en 2015 et des sables bitumineux en 2017. AXA exclura tout investissement et toute souscription pour de nouveaux projets d’exploration pétrolière dits « greenfield », sauf s’ils sont portés par des leaders de la transition disposant de plans ambitieux et crédibles. En 2021, nous avons encore réduit notre liste des secteurs d’activité dans lesquels nous acceptons d’investir pour favoriser la réduction globale de notre empreinte carbone.

Enfin, quelles sont vos initiatives en tant qu’employeur ?

AXA a investi dans des immeubles bas carbone, des flottes automobiles hybrides ou électriques, etc. Depuis 2012, nous avons réduit notre empreinte carbone de 60 %. Et nous avons pour objectif de la réduire encore de 20 % d’ici 2025. Et à cet objectif initial, nous avons encore récemment ajouté les objectifs de sobriété énergétique encouragés par le gouvernement.

Aujourd’hui, en France, 100 % de nos sites fonctionnent aux énergies renouvelables, à l’électricité verte. Nous travaillons aussi pour diminuer l’impact énergétique de tous nos data centers et de nos équipements IT (stocker moins de mails, éteindre des écrans qui ne servent pas, etc.).

Face au dérèglement climatique, comment anticipez-vous les grands changements pour vous préparer aux évolutions ?

En tant qu’assureur, nous sommes là pour accompagner les évolutions de la société et influer dessus. Cela a toujours été le cas dans l’Histoire. C’est parce qu’il y a eu des assureurs qui ont accepté de soutenir des armateurs qu’ont pu être affrétés de grands navires et que le commerce maritime mondial a pris son essor à partir du XVIIe siècle. Dans les années 1950, c’est parce qu’il y avait des assureurs et des réassureurs qui ont pu mettre en commun leurs capacités financières au sein du pool Assuratome, que les risques liés à l’énergie nucléaire civile sont devenus assurables et que la France a pu accroitre son indépendance énergétique avec la construction de centrales nucléaires.

Troisième exemple : dès 1982, la France a mis en place le régime CatNat [catastrophes naturelles, ndlr]. C’est un partenariat entre les assureurs, les réassureurs et l’État et qui permet la prise en charge des catastrophes naturelles (inondation, sécheresse…) dans des cas extrêmement précis, avec un mécanisme extrêmement encadré. Cela passe notamment par un arrêté qui prononce l’état de catastrophe naturelle après avis d’une commission interministérielle qui assure la neutralité et l’homogénéité de la notion de catastrophe naturelle.

Dans ces trois exemples, et il y en a bien d’autres, on voit que des mécanismes de pool, intégrant éventuellement l’Etat, permettent de faire face à des évènements de grande ampleur qui seraient autrement inassurables, et permettent donc de mieux accompagner la société et l’économie.

Que va-t-il se passer s’il y a un déséquilibre et une multiplication de ces catastrophes naturelles ?

L’assurance est un mécanisme basé sur la mutualisation des risques :  beaucoup de monde paye une petite somme pour être couvert contre un sinistre  mais arrivant très peu souvent. Si la multiplication des catastrophes naturelles fait qu’on passe de sinistres rares à à des formes plus massives,mais avec un coût très élevé, nous pourrions nous retrouver dans une situation qui risquerait de devenir inassurable. Un risque qui devient systémique n’est plus assurable. Pour l’heure, les solutions intermédiaires comme CatNat tiennent encore. Il faut tout faire pour éviter que ce risque ne devienne systémique. Cela passe par les partenariats public/privé, la prévention individuelle et les actions à long terme pour agir pour l’environnement et notamment réduire les émissions de CO2. 

Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore dans le cas où des risques ne sont plus assurables mais cela fait effectivement partie des réflexions. Dans un premier temps, la solution sera d’adapter la prime [le montant à payer par le particulier ou l’entreprise pour être assuré, ndlr]. Demain, si un risque devient tellement élevé à un endroit et que ce n’est plus supportable par un assureur seul, on pourrait imaginer avoir des dispositifs d’obligation d’assurance et des actions concertées entre les personnes exposées, les assureurs et réassureurs, et les acteurs publics. Et cela passe aussi par la prise de conscience que certaines zones, comme les zones inondables, ne doivent plus être habitées. Il faut des PLU (Plan local d’urbanisme) établis et appliqués de manière plus rigoureuse que ce qui a été fait ces 50 ans dernières années.

Y a-t-il des réflexions prospectives communes entre les assureurs et l’État sur ces questions ?

Bien sûr. Le métier de l’assurance est un métier de long terme. Je voudrais parler d’un exemple, qui touche un de nos fondamentaux, à savoir l’agriculture. Aujourd’hui, face aux évolutions climatiques, face aux épisodes de grêle qui se multiplient avec des conséquences graves sur les récoltes. L’État, les assureurs et les agriculteurs (via la FNSEA) travaillent ensemble pour créer un dispositif pérenne, viable et soutenable dans la durée, dont chaque partie prenante sera acteur.

Tout d’abord, les agriculteurs seront, par un mécanisme de subvention, fortement encouragés à assurer leurs récoltes car la grêle est un risque trop fréquent pour qu’ils ne s’en préservent pas. Deuxièmement, les assureurs et les réassureurs pourront collaborer au sein d’un pool. Troisièmement, lorsque les sinistres dépasseront un certain niveau, il y aura une intervention de l’État.

Au niveau mondial, comment agissez-vous pour influencer la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

AXA vient de publier pour la 9e année consécutive un rapport très complet, l’Axa Future Risks Report, pour pointer les risques futurs de demain et réfléchir à la façon d’y faire face. Sans surprise, le risque climatique apparait en tête de classement comme pour les 5 années précédentes, mais ce qui est nouveau cette année est qu’il est n°1 selon les experts de toutes les régions du monde, notamment des Etats-Unis. Cette prise de conscience est encourageante, mais il faut agir.

AXA a été à l’origine de la création de la Net-Zero Insurance Alliance (NZIA), officiellement lancée en avril 2021au sein du Programme Environnement de l’ONU. Elle inclut une trentaine d’entreprises dont deux acteurs majeurs français, AXA et Scor, l’un des plus grands réassureurs mondiaux. Au sein de la NZIA, nous sommes engagés pour qu’en 2050 nos portefeuilles de clients soient à émission carbone Net Zéro. Le but est d’avoir un levier énorme pour agir en amont et influer sur les entreprises que nous assurons.

Celles-ci doivent désormais signer une charte de quatre pages qui les engage dans la transition écologique. De notre côté, nous nous engageons à les accompagner dans cette démarche. Mais ce n’est pas un vœu pieux. Si trois objectifs chiffrés ne sont pas atteints dans les délais impartis alors ces entreprises ne seront plus assurées par AXA ou un des membres de la NZIA. Le but est d’inciter ces sociétés à changer radicalement sous peine de ne plus trouver d’assureur à moyen-long terme. C’est tout sauf anodin. Face aux défis du changement climatique, de disparition de la biodiversité et de protection de l’environnement, les assureurs ont un rôle majeur à jouer. 

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