Partager la publication "“Écotopia” : une utopie écologiste à (re)lire d’urgence"
Quels sont les rapports entre écologie politique et scientifique ? Comment les sciences écologiques et environnementales peuvent servir à organiser et développer nos systèmes humains ? Surtout dans un futur proche où nous devons prendre un tournant important ?
Si les premiers débats de la présidentielle française de 2022 se focalisent pour l’instant sur des aspects éloignés de tout cela, le vrai débat du siècle réside pourtant dans cette question : à quoi pourrait ressembler une organisation politique et économique vertueuse d’un point de vue écologique ?
Pour le visualiser, imaginons que la Californie et les autres États du Pacifique (Oregon et État de Washington) demandent la sécession avec les USA pour devenir une république écologique indépendante, lassés qu’ils sont de l’aventure politique anti-écologique trumpienne et post-trumpienne. Au grand dam du reste des USA qui, refusant ce « Calexit », fomenteraient une reprise armée et un dénigrement constant grâce à la désinformation.
Imaginons maintenant que cette république nouvellement formée prenne le nom d’ Écotopia pour souligner son engagement total dans un modèle économique et politique fondé sur les principes de l’écologie, de l’éco-inspiration (une des branches du biomimétisme qui s’inspire de l’organisation de la nature) et de la décroissance heureuse et choisie, économique et populationnelle.
Ce récit utopique a déjà été imaginé en 1975 par l’Étasunien Ernest Callenbach, écrivain et journaliste, dans un roman d’anticipation à succès, un peu oublié aujourd’hui.
Ce roman étonnant et visionnaire mériterait que l’on s’y intéresse à nouveau. Car il décrit un système économique et politique original et certainement vertueux (quoique imparfait, car non achevé).
Le récit de Callenbach est ingénieux. L’on y suit un journaliste critique, voire cynique, qui peu à peu se trouve subjugué par ce système. Au fil des pages, le lecteur suit cette évolution à travers les articles qu’il publie dans la presse et dans son journal intime. Une histoire d’amour allégorique avec une Écotopienne, fière et belle, accompagne sa transformation.
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Écotopia fourmille d’idées visionnaires, aux prémices de l’informatique pour tous, avec de multiples visions de la presse, l’éducation, les rapports hommes-femmes, l’économie circulaire (absolue avec le recyclage comme crédo !), les rapports avec la nature (presque tous les Écotopiens sont des naturalistes pour « comprendre » la nature et son fonctionnement), l’amour immodéré des forêts et la technologie (la recherche y est libre et foisonnante, et semble-t-il, très efficace), l’économie plutôt libérale (on est en Amérique du Nord). Mais la puissance publique demeure forte, avec des aides sociales pour tous, tout en étant largement décentralisée.
Dans tous les enjeux qu’il soulève, Écotopia soulève aussi celui de la distinction entre le scientifique ou (éco)logue, spécialiste du rapport entre les organismes vivant avec leur milieu (d’oikos, maison, patrimoine, en grec) et l’écologiste, qui pratique l’écologie politique. Et la façon dont les écologues peuvent se positionner face aux enjeux politiques portés par le défi climatique et environnemental.
Se loge dans ces débats un certain nombre de dénis, instillés notamment par l’industrie du doute, et/ou par une foi immodérée dans les technologies que l’on espère salvatrices – foi tout aussi présente aujourd’hui.
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Ce roman de « nature writing » d’anticipation est pourtant bien de son temps, arrivant quelques années après le Printemps silencieux de Rachel Carlson, la bombe P du biologiste Paul Erlich et le rapport Meadows (1972) du Club de Rome.
Mais on pourrait aussi revenir plus avant aux premiers avertissements d’Alexandre Von Humbold qui, dès le début de l’ère industrielle, fin naturaliste et l’un des tout premiers écologues, avait compris ces nouveaux pouvoirs de l’homme sur la nature et averti des dégâts potentiels de cette révolution. Ou encore de Lamarck, l’un des inventeurs de la biologie.
« On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable. » (Jean‑Baptiste Lamarck, 1820)
Oui, dès le début du XIXe siècle, les tout premiers écologues devenaient écologistes et s’inquiétaient déjà pour la nature !
En se plongeant dans Écotopia, le lecteur français ne sera pas totalement surpris. On trouve un peu de France dans l’attitude des Écotopiens : leur goût immodéré pour la gastronomie, l’intérêt pour la culture, la discussion permanente sur tous les sujets, le caractère parfois emporté…
Et l’on se retrouvera peut-être dans la description de ces habitants joyeux et passionnés, mais aussi concernés par des sujets graves, soucieux du collectif et du respect total et absolu de la nature… Sur ce dernier point, on s’y reconnaît hélas un peu moins ! La biographie de l’auteur nous apprend qu’il a vécu en France.
Lisons ou relisons donc Écotopia, mais surtout imaginons un monde d’après cohérent, novateur et vraiment adapté aux défis qui nous attendent. La science qui nous alerte depuis des décennies peut nous fournir de nécessaires solutions, en respectant notre « maison » (l’oikos des Grecs) – la nature dont nous faisons partie intégrante.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Romain Garrouste est chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
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