COP24 : les conditions pour freiner le réchauffement climatique

Le 28 mars 1985, le président Ronald Reagan prononçait une allocution à Wall Street, prônant la baisse des impôts, l’élimination des réglementations excessives et l’ouverture des marchés à la concurrence. Ce fut fort comme un discours de coach à la mi-temps du Super Bowl, l’ancien acteur concluant par « we are going to turn the bull loose » et frappant l’instant suivant la cloche du New York Stock Exchange dans les hourras. La mondialisation était lancée.

Libre de faire fructifier leurs capitaux sur l’ensemble de la planète, les multinationales allaient devenir des transnationales. L’économie connaîtrait un formidable cycle d’expansion, abaissant le nombre de personnes dans l’extrême pauvreté de 1,9 à 1,3 milliard dans la période 1990-2010. Cependant de gigantesques difficultés apparaîtraient, le creusement des inégalités ou l’impact désastreux sur la biodiversité (selon le WWF les populations de vertébrés ont décliné de 60% depuis 1970). Mais à tout cela nul n’y pensait en ce jour, tant la pensée de l’argent roi dominait.

Plus de trente ans après, le taureau de l’économie semble incontrôlable. La population mondiale a augmenté de 50% et les émissions globales de CO2 sont passées de 20 gigatonnes (Gt) en 1985 à un niveau où les 40 Gt ne sont plus loin. La concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais aussi élevée depuis trois millions d’années.
 

« Si nous intégrions le carbone importé, les émissions de nombreux pays européens croîtraient de plus de 30% tandis que celles de la Chine baisseraient de 13%. » 

Les pires scénarios sur le réchauffement climatique envisagent la destruction des conditions viables de vie humaine. Nous sommes sur une trajectoire qui serait d’au moins 3 à 3,5°C, déclarait Emmanuel Macron le 22 mars dernier à Bruxelles. Le globe est en surchauffe, rien ne semble arrêter notre course folle vers le précipice. Dans ce contexte, la COP 24 qui se déroule à Katowice, du 3 au 14 décembre, s’inscrit dans l’urgence. Mais, ne cédons pas à la panique, énonçons les conditions pour que l’accord de Paris (2015) réussisse, avec comme cadre d’actions la chaîne de valeur des entreprises.

Chaînes d’approvisionnement : changeons le calcul des émissions de gaz à effet de serre (GES) car celui-ci, basé sur les productions locales, ne considère pas les d’approvisionnement, et ce faisant, omet le carbone induit dans les produits achetés à l’étranger. Selon le Global Carbon Project, si nous intégrions le carbone importé, les émissions de nombreux pays européens croîtraient de plus de 30% (Grande-Bretagne +38% ; Suède +66%) tandis que celles de la Chine baisseraient (-13%).

Les chaînes d’approvisionnement représentent jusqu’à quatre fois les émissions directes de GES des groupes donneurs d’ordres. Ne pas les inclure, c’est truquer le bilan carbone de la société mondialisée, c’est ne pas voir la partie immergée de l’iceberg.

Entreprises: exploitons la puissance des réseaux sociaux pour accélérer la transition. En 2017, le CDP révélait que seulement 1 400 entreprises utilisaient (ou prévoyaient de le faire) un prix interne du CO2 pour guider leurs décisions. De même l’adoption d’objectifs de réduction compatibles avec les faits scientifiques est primordiale mais encore trop faible. Uniquement 498 organisations ont rejoint l’initiative Science-Based Targets à ce jour. Sans surprise, la performance environnementale des entreprises avance à pas comptés : 2.5% de progression de 2015 à 2017 selon l’indice EcoVadis 2018. Créons une plateforme de type Facebook ou Linkedin dédiée aux entreprises visant le zéro carbone et permettant la dissémination rapide des bonnes pratiques.

Consommateurs : n’oublions pas non plus que les inégalités sociales sont un frein à la transition écologique. Le ras-le-bol sur la hausse du carburant (fronde des Gilets Jaunes) et le fioul domestique en France indiquent que le passage vers des comportements vertueux n’aboutira que si la question du pouvoir d’achat est traitée. Les solutions existent, à l’instar de l’aide financière à la mobilité solidaire proposée par le Réseau Action Climat, qui tient compte de la localisation et de l’absence d’alternative à la voiture. Une économie dé-carbonée devra passer par une économie et une fiscalité juste et solidaire.
 

À lire aussi : Prix des carburants : « La transition écologique ne se fera pas gratuitement »

Au final, c’est le leadership politique qui offrira les modalités ultimes de succès. Or, cette volonté ne viendra pas à court terme de l’Amérique. L’Europe, elle, est affaiblie par ses divisions. Alors, rêvons de voir à son tour le président chinois, Xi Jinping, haranguer les traders de la bourse de Shanghai afin qu’ils investissent dans des acteurs dé-carbonés.

Alain Peyrefitte écrivait en 1996 que la Chine s’était éveillée. Espérons que le leader des énergies renouvelables, qui a inauguré cette année le premier tronçon d’autoroute solaire photovoltaïque, montrera la voie face à un Occident désuni.

 

Sylvain Guyoton est Senior Vice-President Research chez EcoVadis, une plateforme collaborative étudiant l’impact en développement durable des fournisseurs pour les chaînes d’approvisionnement mondiales. 

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