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Pourquoi « Dune » nous fait (toujours) réfléchir sur le changement climatique

En publiant les premières pages de Dune, en 1963, l’écrivain américain Frank Herbert a jeté les bases d’une œuvre qui nous questionne toujours autant. Son projet d’article sur un programme de stabilisation des hautes dunes mené par le département de l’Agriculture américain a ouvert un univers qui nous parle du leadership, du changement environnemental ou encore des risques du fanatisme religieux et de la technologie.

Allégorie du pétrole

Sur Arrakis, l’autre nom de la planète Dune, des puissances coloniales récoltent une épice précieuse. Elle est indispensable au transport intersidéral. Mais elle permet aussi de fabriquer beaucoup d’autres produits, du film aux tissus. Sauf que les Fremen, les habitants de cette terre désolée, sont bien décidés à gripper cette mécanique ronronnante. Quitte à couper le robinet à épice. Résumé ainsi à grands traits, l’univers planté par Frank Herbert dans Dune ne vous rappelle rien ? L’allégorie de la production pétrolière au Moyen-Orient, quelques années avant le premier choc pétrolier, semble claire. 

Un parallèle toujours d’actualité, plus de cinquante ans après, alors que nous cherchons encore la voie vers une société plus durable. « L’intérêt d’une telle œuvre, c’est de nous donner l’occasion de dépayser les problématiques », se réjouit Daniel Suchet, l’un des auteurs du mook Dune, un ouvrage de réflexion sur le roman culte publié en 2020.

Au-delà du pétrole, pour cet « Herbertologue » physicien, maître de conférences à l’École polytechnique, Dune offre une illustration très intéressante du trilemme – un choix difficile entre trois options – énergétique. En clair, entre trois objectifs complémentaires (sécurité, équité, durabilité) à atteindre. « Ce roman nous montre que la durabilité est indispensable mais pas suffisante. Et qu’on ne peut pas attendre une position parfaite pour agir », résume-t-il.

Changement climatique

Contrairement à l’enjeu terrien actuel – arriver à contenir le changement climatique – les Fremen de Dune, une société durable et en accord avec la nature, souhaitent paradoxalement changer leur monde. « C’est intéressant par rapport à une vision de la frugalité choisie, de la résilience. Ils ont la ferme intention de détruire leur environnement », souligne l’universitaire. Mais si l’adaptation des Fremen semble aboutie, leur modèle de société ne fait pas rêver. Très violente, elle est muette sur ses arts ou ses loisirs. 

Pour changer leur environnement, les Fremen, armés de pièges à vent pour récolter l’eau présente dans l’air, sont patients. « Leur terraformation nécessiterait une quantité d’énergie énorme. C’est un problème qu’ils contournent en étalant le processus dans le temps », note Daniel Suchet. Ayant peu de ressources à disposition, les Fremen compensent donc par une sobriété de puissance sans pareille, précise le scientifique dans un texte publié dans l’ouvrage Exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers, édité par Le Bélial’. « Ils réduisent l’effort au strict nécessaire.« 

À lire aussi : Cory Doctorow : “La science-fiction ne peut pas prédire l’avenir, mais on peut l’influencer”

Dune, une réflexion sur la technologie

Mais cette société des Fremen, d’apparence low-tech, est muette sur certains outils clés de son adaptation à l’environnement. Comment sont fabriqués leurs distilles, leur combinaison à la fois vêtement et recycleur intégral, qui nécessiterait la maîtrise de la nanofiltration pour fonctionner ? « Comme pour toute solution technologique, il faut se demander ce qui est caché avant et après la phase d’utilisation, observe Daniel Suchet. Ça nous rappelle aussi qu’il n’y a pas de position parfaite, mais toujours des compromis : l’écologie est affaire de nuances.« 

Pourquoi Frank Herbert choisit-il de laisser se faire l’impasse sur le détail des innovations techniques développées dans l’univers qu’il a créé ? « En évacuant ces aspects, il nous rappelle que la technologie est nécessaire mais pas suffisante », estime Daniel Suchet.

À rebours de son époque, mais sans doute moins de la nôtre, Herbert semble douter de l’innovation technique comme synonyme de progrès. Laissant entendre « son profond scepticisme à l’égard de l’idéologie prétendant que le progrès culturel procède du progrès technique » par la voix du personnage principal.

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