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Exploitation minière des fonds marins : menace imminente pour la biodiversité

La France organisera avec le Costa Rica la prochaine Conférence des Nations unies sur les océans : elle se tiendra à Nice en juin 2025. L’enjeu du rendez-vous est crucial : il s’agit de faire adopter formellement un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins, afin de protéger l’écosystème des océans et de freiner le réchauffement climatique. Un engagement sur lequel la France s’est affichée à la pointe, du moins dans le discours : le président Macron avait déclaré vouloir faire de la protection de l’Océan une priorité de son mandat. Sa position a toutefois varié et demeure ambiguë. Mais le pays apparaît aussi, pour l’instant, trop isolé à défendre le sujet sur la scène internationale.

Deux logiques opposées s’affrontent actuellement concernant les fonds marins, dernière « frontière » de la planète qui ne soit pas encore totalement explorée. D’un côté, la logique commerciale et prédatrice des multinationales minières, de l’autre la logique humaniste qui considère les fonds marins et le sous-sol des océans comme un patrimoine appartenant à toute l’humanité. Et à ce titre estime qu’ils doivent être gérés par l’ONU et ses agences, dans l’esprit du multilatéralisme et du bien commun. Laquelle l’emportera ?

L’ONU apparut affaiblie à Kingston

En juillet 2023 s’est tenue à Kingston en Jamaïque une réunion de l’Agence internationale des fonds marins (AIFM), qui dépend de l’ONU. Elle s’est achevée par un « sursis » fragile pour les défenseurs de la protection des océans.

« Si aucun feu vert n’a été accordé au démarrage de l’activité, le projet de code minier n’est pas enterré. [Ni moratoire ni code minier] : l’avenir de l’exploitation des fonds marins reste en suspens ».

Le Chili, le Costa Rica, l’Allemagne ou encore la Nouvelle-Zélande, et plus récemment le Canada, la Suède, la Suisse, l’Irlande, le Brésil, la Finlande et le Portugal, ont milité en faveur du moratoire. La France et le Vanuatu, plus engagés, ont défendu l’idée d’une interdiction totale. En revanche, les États-Unis, le Mexique et la Norvège, ainsi que la petite île de Nauru, poussent coûte que coûte en faveur de l’exploitation minière.

L’ONU semble pour l’instant trop faible pour imposer la logique humaniste face aux appétits aiguisés des grandes entreprises et de leurs actionnaires. Mais rien n’est encore perdu, comme l’ont montré de récentes avancées.

Un nouvel accord ambitieux sur la biodiversité marine

Quelques semaines avant le sommet de Kingston, en juin 2023, les 193 États membres de l’ONU adoptaient en effet un accord juridiquement contraignant sur la haute mer et la biodiversité marine. Après près 20 ans de négociations enflammées, il reconnaît le caractère essentiel de la haute mer, qui génère 50 % de l’oxygène que nous respirons et absorbe 25 % du gaz carbonique provenant des activités humaines. Or, dans cette zone caractérisée par un régime juridique dit de « liberté », l’activité humaine augmente dangereusement d’année en année.

Ce traité vise à assurer la gestion des océans au nom des générations actuelles et futures, conformément à la Convention sur le droit de la mer. Ses 75 articles ont pour objectif de protéger le milieu marin, maintenir l’intégrité des écosystèmes océaniques et conserver la valeur inhérente à la diversité biologique marine.

Il s’agit notamment de préserver l’océan des produits chimiques toxiques et des millions de tonnes de déchets plastiques qui y sont déversés chaque année, affectant dramatiquement la faune et la flore marine. En effet, plus de 17 millions de tonnes de plastique ont rejoint les océans en 2021, et ce chiffre s’accroît chaque année.

À tel point qu’il pourrait y avoir, selon l’ONU, plus de plastique que de poissons dans la mer d’ici à 2050, si rien n’est fait pour inverser la tendance. Le traité vise aussi à réduire la surexploitation des poissons, à faire diminuer la température des océans, à préserver les petites îles. Le but étant d’atteindre l’objectif, fixé par l’ONU lors de la COP15, de protéger 30 % de l’océan d’ici à 2030.

Seul 1 % de la haute mer protégé

Il s’agit aussi de préserver des appétits commerciaux les ressources précieuses, situées à 4 000 mètres de profondeur, à savoir des nodules polymétalliques, riches en manganèse, cobalt, cuivre et nickel. Comme l’explique Michael Lodge, secrétaire général de l’Autorité internationale des fonds marins, outre ces nodules ce sont aussi les sulfures hydrométalliques qui sont convoités pour leur richesse en cuivre, en fer, en zinc, en argent et en or. Toutes ces substances sont en effet indispensables à la fabrication des ordinateurs, téléphones portables, et plus largement les circuits électroniques intégrés.

Le nouveau traité adopté en juin 2023 permettra de créer des aires marines protégées dans les eaux internationales. Une mesure salutaire, lorsque l’on sait que seulement 1 % de la haute mer fait aujourd’hui l’objet de mesures de conservation.

Une entrée en vigueur qui tarde

Mais la mise en pratique du traité risque de prendre du temps : le texte doit d’abord être vérifié par les services juridiques des États membres et traduit dans les six langues officielles de l’ONU, avant d’être officiellement adopté lors d’une autre session. Il devra ensuite être ratifié par au moins 60 gouvernements pour devenir juridiquement contraignant. Le précédent traité, signé en 1982, avait mis 12 ans avant d’entrer en vigueur

Signe encourageant, l’Union européenne a promis 40 millions d’euros pour faciliter la ratification du traité et sa mise en œuvre initiale. Lors de la réunion mondiale « Notre océan » qui s’est déroulée début mars 2023 au Panama, les participants se sont engagés à verser près de 20 milliards de dollars pour la protection des océans.

Il est important que la conférence de Nice en 2025 soit l’occasion de promouvoir la ratification du traité de juin 2023, si possible même d’obtenir son entrée en vigueur. L’enjeu est de taille, car les intérêts économiques privés sont à la manœuvre, poussant en faveur d’une exploitation minière des océans.

En 2022, l’AIFM a ainsi autorisé l’entreprise minière canadienne The Metals Company, sous prétexte de « test », à envoyer un bulldozer dans les fonds marins entre Hawaï et le Mexique, ce qui lui a permis de collecter 14 tonnes de nodules polymétalliques, dégradant du même coup gravement l’écosystème.

Inquiétude des ONG quant à l’exploitation minière

Dans une tribune collective signée le 10 juillet 2023, des responsables de grandes associations et ONG environnementales françaises ont lancé l’alarme : « le 10 juillet 2023 pourrait rester dans l’histoire comme une date fatidique pour l’océan. En effet, à partir d’aujourd’hui, la porte est ouverte à l’exploitation minière des grands fonds, sans normes ni réglementation (code minier)) ».

Les signataires expliquent que, désormais, « une entreprise peut demander à l’AIFM une licence provisoire d’exploitation commerciale des grands fonds ». « Cette aberration, rendue possible par une faille dans les procédures de l’institution intervient alors que les négociations sur le cadre réglementaire de ces activités n’ont pas encore abouti. »

Les signataires de la lettre ouverte appellent l’Union européenne à ce que le Règlement européen sur les matières premières critiques, publié en mars 2023, ne devienne pas « une porte d’entrée aux matériaux exploités en eaux profondes » et qu’au contraire, ce texte puisse « permettre de bloquer toute possibilité d’importer ces minerais dans l’Union ». L’Europe et la France ont donc un rôle exemplaire à jouer, et tout se décidera lors de la conférence de Nice en 2025.

À propos de l’autrice : Chloé Maurel. SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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