Le crowdfunding au secours de la plus vieille biscuiterie normande

À Caen, Jeannette est une institution. Fondée en 1850, cette fabrique de madeleines est la plus vieille biscuiterie de Normandie. En août 2013, stupeur : Jeannette est placée en liquidation judiciaire. Pas de quoi décourager les salariés, qui, refusant de voir leur entreprise disparaître, continuent à faire tourner les machines et à écouler des madeleines sur le marché local. Parallèlement, plusieurs offres de reprises sont déposées, proposant de racheter les machines ou la marque, mais aucune ne garantit de maintenir Jeannette à Caen. C’était sans compter sur l’entrée en scène d’un homme d’affaires franco-portugais, Georges Viana, spécialisé dans la « gestion de projets difficiles ». Ce dernier présente au tribunal de commerce un ultime projet de relance, en plus de sept autres. Sans succès… Le tribunal de commerce de Caen n’en retient aucune. Déterminé à sauver Jeannette, l’entrepreneur décide de s’en remettre au financement participatif.

Si le sort de la biscuiterie reste aujourd’hui suspendu à une décision du tribunal de commerce de Caen, le projet de Georges Viana a dores et déjà remporté l’adhésion des internautes. Quelques mois après son lancement, la collecte initiée sur la plateforme Bulb in Town, spécialisée dans le financement d’entreprises locales, a déjà permis de récolter plus de 83 000 euros auprès d’environ 1 700 internautes. Face à cet engouement, elle a été prolongée jusqu’au prochain passage de Jeannette devant la justice, le 13 novembre. Une première en France et en Europe selon Alexandre Laing, co-fondateur de Bulb In Town, au point d’être citée par le journal anglais The Guardian.

Succès jusqu’en Corée

Pour mobiliser les internautes, les équipes de Bulb in Town et de Jeannette ont travaillé ensemble à l’échelle locale, distribuant affiches, flyers, et organisant de petits événements en Normandie. L’opération de soutien a alors trouvé écho dans la presse locale. « On a réussi à toucher les trois cercles du crowdfunding, explique Alexandre Laing. En général, les deux premiers cercles, c’est à dire le réseau direct, la famille, les amis, les habitants, sont assez facilement atteints. Ce qui est beaucoup plus compliqué, c’est d’atteindre le troisième cercle, c’est à dire le grand public. C’est ce qui s’est passé avec Jeannette. » Et plus seulement à l’échelle de la Normandie : Jeannette reçoit aujourd’hui des contributions d’Australie, de Corée ou de Singapour ! 

Afin de familiariser la population locale avec le financement participatif, l’équipe a du faire preuve de pédagogie. « Beaucoup étaient séduits par l’idée de sauver l’entreprise, mais pensaient que le crowdfunding ne concernait que la musique ou le cinéma, raconte Alexandre Laing. Un travail qui a permis d’obtenir « des contributions venant de gens très différents : l’âge moyen est de 40 ans, supérieur à celui du crowdfunder moyen, avec des profils pas forcément très connectés. » Au point que Bulb in Town a récemment reçu un chèque d’une femme de… 86 ans.

Le projet porté par Georges Viana consiste à faire évoluer la production de Jeannette vers une madeleine bio de qualité. Une idée qui a plu aux contributeurs, qui ont salué un retour aux « valeurs traditionnelles », selon l’entrepreneur. À cela, s’est ajouté une autre motivation : celle de sauver des emplois et l’économie locale. « Face à l’impuissance du monde politique, du gouvernement, analyse Alexandre Laing, les donateurs ont l’impression que c’est eux qui ont le pouvoir de sauver le site. »

Rien n’est joué

L’histoire pourrait leur donner raison. Car si l’argent du crowdfunding ne suffira pas à relancer Jeannette, le fait que le projet de Georges Viana ait convaincu autant d’internautes pourrait redonner confiance aux banques, dont ce dernier a besoin pour finaliser le montage financier. En août dernier, ces dernières avaient refusé d’octroyer les financements nécessaires à ce projet de reprise. « Chaque soutien supplémentaire donne plus de poids en faveur de la biscuiterie dans la balance judiciaire », veut croire aujourd’hui l’entrepreneur, qui déclare avoir besoin d’au moins 1,5 millions d’euros pour relancer la marque.

Jeannette n’est donc pas encore sauvée. « Je ne veux pas me réjouir trop vite. Je crains que la marque soit cédée au plus offrant, qui peut choisir de la conserver mais de produire en dehors de la Normandie. Avec ces 1 500 preuves de soutien, on espère faire pression sur le tribunal en leur demandant de ne pas regarder l’offre en cash, mais le coût global et social de leur décision. » Réponse le 13 novembre, date à laquelle le tribunal tranchera entre les sept offres de reprise de Jeannette.

Laura Cuissard
Journaliste
@faisonsenvie

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