Partager la publication "Manque d’eau : bientôt une France sous tension ?"
Avril 2018, Le Cap, en Afrique du Sud, retient son souffle : si ses habitants ne réduisent pas drastiquement leur consommation et s’il ne pleut pas rapidement, la ville n’aura plus une goutte d’eau. Mais la population suit les consignes, et il finit par pleuvoir dans les mois qui suivent. Les 3,7 millions d’habitants n’auront pas à vivre une situation aussi inédite qu’effrayante. La presse, en France et en Europe, évoque une crise de l’eau aussi lointaine qu’impensable sur notre continent. Même si, à cette occasion, le monde découvre que d’autres villes citées pourraient connaître la même situation, São Paulo, Pékin, Miami, Istanbul, Mexico, Le Caire et même, curieusement, Londres.
Quelles sont les causes de ces crises hydriques et de la fragilité des ressources ? Le réchauffement conjugué à la démographie, et souvent à des politiques désastreuses d’aménagement et de gestion des ressources. On estime que 30 % de l’eau dans le monde est perdue à cause des fuites dues à la mauvaise qualité des réseaux. La Syrie fournit, peut-être, une illustration tragique de cela. Car des analystes expliquent les origines de la guerre civile, en grande partie, par une sécheresse qui frappe le pays entre 2006 et 2010. Et qui a provoqué l’afflux massif de paysans dans les grandes villes, entraînant tensions et crises sociales.
La France, elle, ne connaît pas bien sûr de situations aussi extrêmes, mais elle subit depuis 1976 des épisodes très secs, conjonction de déficit pluviométrique et de grandes chaleurs qui provoquent évaporation des cours d’eau et assèchement des sols. Face à une situation qui va probablement s’aggraver à moyen terme, avec une augmentation des températures, politiques, citoyens, agriculteurs et industriels vont devoir changer. « La question de l’eau risque, à l’avenir, de mettre la société française en tension. »
Ronan Dantec, sénateur, membre du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, et vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, pousse avec d’autres parlementaires à prendre des initiatives rapidement et, surtout, à anticiper : « Pour l’instant, la tendance est de repousser les mutations. Les filières concernées s’installent dans une logique d’attentisme. Même les grands groupes agro-industriels n’ont pas intégré les problèmes. » Pourtant, des problématiques émergent qu’il va falloir affronter rapidement pour éviter justement de futures tensions. « C’est maintenant qu’il faut se poser certaines questions : faudra-t-il un jour irriguer les vignes ? L’irrigation telle qu’elle existe est-elle tenable ? Faut-il imaginer une tarification de l’eau qui varie selon les besoins, en particulier en ce qui concerne les piscines ? »
Si, pour l’instant, de grands bassins tels que le Rhône ne subissent que faiblement les conséquences du réchauffement climatique, cela pourrait changer assez vite. Car le fleuve est largement « nourri » par la neige et les glaciers des Alpes. Or, selon des chercheurs signataires d’un article dans la revue scientifique The Cryosphere, entre 1971 et 2019, la période avec de la neige au sol l’hiver s’est réduite de près d’un mois, dans les Alpes en dessous de 2 000 m.
Pour l’heure, c’est surtout la qualité de l’eau que surveillent les spécialistes : « Sur le Rhône, il existe depuis longtemps un problème de pollution, en particulier chimique, avec des PCB déversés il y a plus de vingt ans », précise Thomas Pelte, expert à l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.
« Sur certaines exploitations, on utilisait jusqu’à 40 000 m3 d’eau à l’hectare pour des tomates. Aujourd’hui, on arrive à 2 000 m3 pour un même rendement. »
André Bernard, président de la Chambre d’agriculture de PACA.
Depuis quelques années, seuls des affluents tels que l’Ardèche et la Drôme connaissent des problèmes de débit en été. Et l’irrigation, tout le long du fleuve, reste soutenable, au moins pour un temps : « L’irrigation sera questionnée, même si aujourd’hui de la Suisse à Arles, c’est seulement 3 à 5 % du débit qui est détourné ».
« Mais en raison du réchauffement, les projections à trente ans annoncent de 15 à 40 % de baisse du débit moyen annuel. Conséquence d’une montée des températures qui provoque l’évaporation, alliée à une baisse des chutes de neige en montagne. Il faudra, à terme, se mettre autour de la table pour le partage de l’eau : les consommateurs, les agriculteurs et les responsables du tourisme. »
« L’équilibre est fragile entre changement climatique et croissance de la démographie. »
Anne Claudius-Petit, conseillère régionale PACA.
La préservation des ressources – et donc des écosystèmes – apparaît comme une priorité, et pourtant ce n’est pas si simple. La complexité des travaux de construction d’infrastructures publiques, par exemple, pour les voies ferrées, routes, ou conduites d’eau et d’électricité, fait qu’elle n’apparaît pas comme une priorité des ingénieurs et aménageurs. Carine Ritan est fondatrice d’un cabinet de consultants AppeldaiR et anime le Gasbi (Groupe d’échanges entre aménageurs et scientifiques autour de la biodiversité et des infrastructures), qui rassemble universitaires et donneurs d’ordre pour optimiser les projets.
« La biodiversité, ce sont des tissus vivants en régénération permanente. Ils produisent des ressources : l’eau, l’air, les sols. C’est cela qui doit être pris en compte dès le démarrage d’une étude. En se demandant, par exemple, si le projet est vraiment nécessaire au regard de son impact sur l’environnement. Et il faut prendre en compte l’ensemble du territoire et pas seulement la zone où seront bâties les infrastructures. »
Le principe des projets d’intérêt public, Éviter (d’altérer la biodiversité), Réduire (l’impact), Compenser (cet impact), devrait s’appliquer strictement dès l’amont : « Souvent on se leurre quand on dit éviter. C’est quand le projet est abouti que l’on mesure son impact réel. Il faut que tous les gens concernés partagent et échangent dès le début, trouvent des alternatives. Par exemple, en montagne, un téléphérique plutôt qu’une route, si c’est possible, car son impact est bien moindre. »
On le voit, lorsqu’on parle de ressources, l’eau reste au cœur des préoccupations des spécialistes et politiques. À commencer par l’agriculture. Manque d’eau et épuisement des sols nuisent aux productions. Le réchauffement provoque aussi une stagnation des rendements, une baisse de la qualité nutritive et une altération des semences. S’y ajoute la déforestation, qui appauvrit encore les sols, les privant d’humidité et de nutriments. Pourtant, même si la France possède une surface boisée proche de celle qui existait au Moyen Âge, la réalité reste ambiguë, et la situation est loin d’être uniforme. En cause, les intérêts financiers.
Lorsqu’un agriculteur cesse son activité, il est souvent tenté de vendre ses parcelles agricoles et forestières à des promoteurs immobiliers, si ses terrains sont constructibles. La conversion des terres agricoles passe davantage par urbanisation que par boisement. Et quand boisement il y a, il ne s’avère pas forcément réussi, en raison… du réchauffement et des printemps et étés plus secs. Les années récentes ont enregistré des taux d’échec des plantations élevés : de 30 à 40 % selon l’enquête annuelle du département Santé des forêts du ministère de l’Agriculture.
« Ce qu’on veut sauver, c’est l’Homme. Sans nous, la planète s’en sortira très bien. »
Yann Wehrling, ambassadeur de France délégué à l’Environnement, conseiller régional d’Île-de-France.
La protection des sols apparaît comme une des priorités des années à venir. Pour y maintenir une biodiversité et favoriser l’écoulement de l’eau. Il va falloir limiter la bétonisation et l’étalement urbain tels que nous les pratiquons depuis plus de cinquante ans. D’autant que le sable, essentiel à la construction, à la fabrication des composants électroniques et des panneaux solaires, commence à manquer. Au point que, sur certains continents, des centaines de plages disparaissent à vue d’œil, victimes d’un trafic mondial. Et que cette quête bouleverse des écosystèmes, y compris en Europe. Et pour ce qui est des surfaces bétonnées, la France s’impose comme championne de l’Union européenne.
Pour 100 000 habitants, elles sont de 47 km2, contre 41 pour l’Allemagne, ou 30 pour l’Espagne. Le président de la République en a pris conscience et en a fait état, lors d’un discours en juin 2020, en s’appuyant sur les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat. Pour lui, il faut réduire par deux les surfaces urbanisables. Et revoir nos conceptions de la ville et des banlieues. En réhabilitant tout ce qui peut l’être ou en concentrant les centres-ville avec la construction d’im- meubles plus élevés. Une mue difficile, mais indispensable. Car pour reprendre le mot d’Emmanuel Macron, dans ce même discours : « Arrêter la bétonisation, c’est un projet pour rendre notre pays plus humain, au fond plus beau. »
Texte de François Marot.
Cet article a été publié dans le numéro 34 de WE DEMAIN. Il fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec la CNR, Compagnie Nationale du Rhône. Le numéro est toujours disponible à la vente en version papier ou en version numérique.
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