Partager la publication "Fabrice Amedeo (navigateur) : « Je vais profiter du Vendée Globe pour réaliser des mesures de la pollution marine »"
Fabrice Amedeo revient tout juste du sommet du Kilimandjaro, en Tanzanie. Le navigateur, qui prépare le prochain Vendée Globe et sera fin octobre au départ de la Transat Jacques Vabre, s’est mis au défi de gravir la plus haute montagne d’Afrique (5 895 mètres) afin de répondre à une triple problématique. D’une part, terminer une longue phase de préparation physique en sortant de sa zone de confort. Ensuite, cet objectif avait une dimension symbolique : « après avoir fait naufrage en novembre dernier, je voulais montrer qu’on peut rebondir et passer de la chute au sommet. »
Enfin, Fabrice Amedeo – qui navigue sur un Imoca 60 pieds – a couplé cette ascension du Kilimandjaro avec une démarche scientifique. À l’instar de ce qu’il peut faire sur son bateau lors de ses courses, il a profité de sa présence sur le toit de l’Afrique pour réaliser des prélèvements (sur les glaciers aux sommets mais aussi dans la rivière qui coule à ses pieds). Des prélèvements qui seront analysés d’ici une quinzaine de jours par la société nantaise Tame Water, experte en bio-essais et dans l’analyse de l’eau.
Fabrice Amedeo : En 2016, après mon premier Vendée Globe, j’ai fait le choix de devenir marin professionnel et de tirer un trait sur ma vie de journaliste au Figaro. Mais j’ai bien vite compris que naviguer n’allait pas suffit. Il fallait que je donne du sens et que je m’engage pour une cause qui me tenait à cœur. Comme beaucoup de navigateurs sur Imoca défendent une cause, j’ai décidé d’aider les scientifiques à mieux comprendre le niveau de pollution des océans et l’impact du réchauffement climatique.
Depuis 2019, suite à une rencontre avec des chercheurs de l’Ifremer et de l’Université de Bordeaux, je les aide à évaluer la qualité de l’eau et la biodiversité des océans partout où me mène mon bateau.
Nos bateaux vont dans des zones où les bateaux scientifiques ne vont pas ou très peu. Soit parce que c’est trop loin, soit parce que les conditions en mer sont très difficiles. Par exemple, durant le Vendée Globe qui partira en novembre 2024, nous effectuerons un tour du monde en solitaire en faisant notamment le tour de l’Antarctique. Ce parcours est très atypique pour un bateau et ce sera l’occasion de prendre des mesures inédites.
Avec nos voiliers, nous sommes ce qu’ils appellent des « bateaux d’opportunité ». Je vais donc profiter du Vendée Globe pour évaluer le niveau de pollution marine un peu partout autour du globe, et notamment dans des régions très inhospitalières. C’est d’autant plus intéressant que nous n’utilisons pas de moteur, donc il n’y a pas de risque de perturber certaines mesures, comme la température.
Je prélève cinq types de données : le niveau de CO2 et la salinité de l’eau, le taux de microplastiques, la température et l’ADN environnemental, c’est-à-dire la biodiversité. Pour réaliser ces prélèvements, on installe des capteurs au niveau de la pompe de refroidissement du moteur. Comme celle-ci est inutilisée en course, nous plaçons nos capteurs à l’entrée de la pompe, à 1,5 mètre de profondeur tout près de la quille. L’eau qui la traverse est analysée 24h/24 en temps réel par des capteurs de CO2, de salinité et de température.
Toutes les 24 heures, il faut que je change le filtre qui analyse les microplastiques. Et toutes les 48 heures, je pratique les mesures de l’ADN environnemental pendant quelques minutes. Ce n’est donc pas anodin quand on accepte ce genre de mission pendant une course. Il faut pouvoir caler ces prises de mesure dans son quotidien déjà très prenant. À la fin de mes navigations, j’envoie mes filtres aux scientifiques qui ensuite en font une publication annuelle. Leur but est d’établir une cartographie de la pollution par les microplastiques dans les eaux de surface océanique. Mais aussi d’évaluer leur imprégnation chimique et leur toxicité.
Pour l’heure, les mesures ont été réalisées exclusivement dans l’Atlantique. Nous avons trois types de filtres plus ou moins fins : à 300 microns, à 100 microns et à 30 microns. À 300 microns, les chercheurs ont constaté une forte présence de deux composants principaux : les fibres de celluloses (à 80 %, issues des textiles, transportées vers les océans via les eaux usées des machine à laver) et les microplastiques (20 %). À 100 microns, le rapport est quasi équilibré entre les deux : 56 % de fibres et 44 % de microplastiques (ils sont quarante fois plus présents qu’à 300 microns). Il reste encore à étudier les filtres les plus fins, à 30 microns. Les scientifiques supposent qu’ils y trouveront principalement des microplastiques mais cela reste encore à confirmer.
C’est effectivement une réflexion permanente. Jusqu’à présent, notre sport véhicule une image assez propre. Il ne faudrait pas que cela change. Cela peut être effectivement choquant de voir certains bateaux – les plus petits, pas les Imoca que l’on ramène nous-mêmes – qui ont fini une compétition et que l’on fait revenir en France sur un cargo. Ou les nombreux avions affrétés pour emmener des spectateurs et l’organisation assister à l’arrivée d’une course.
Aujourd’hui, les bateaux sont de plus en plus des concentrés de technologie, on consomme de plus en plus de fibre carbone… Notre sport n’est pas hors-sol mais si on ne se remet pas en question maintenant, il pourrait le devenir. Moi, par exemple, pour mon prochain bateau, le Nexans – Art & Fenêtres qui sera mis à l’eau le 5 juillet prochain –, j’avais le choix entre un bateau à la pointe, avec foil, ou récupérer un ancien bateau. J’ai opté pour le second. D’une part, il est vrai, pour des questions de coûts, mais aussi, d’autre part, pour une question de sobriété. Ce projet est plus en phase avec moi-même.
Pour en savoir plus : le site officiel de Fabrice Amedeo
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