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Marseille : après le drame de la rue d’Aubagne, les citoyens font entendre leur voix

Arrosé de larmes, leur combat a porté ses fruits. Ce lundi 8 juillet, devant le bar Le Molotov, en haut de la rue d’Aubagne, une dizaine d’associations marseillaises célèbrent la signature de la charte de relogement des 2 700 habitants qui ont été contraints de quitter leur domicile, insalubre ou trop dangereux, et de ceux qui continuent de l’être. Quelques jours plus tôt, la Ville et l’Etat ont ratifié cette charte. Leur charte.

Celle réclamée par des citoyens et divers collectifs * après l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne, le 5 novembre dernier, ayant fait huit morts. Le document en question dresse noir sur blanc les engagements pris par les pouvoirs publics (État et Ville de Marseille) pour « assurer la meilleure protection des personnes évacuées, garantir leurs droits et accompagner au mieux leurs conditions de vie quotidiennes, leur logement transitoire, leur relogement (le cas échéant) ou le retour dans leur logement d’origine. »

Réunis par milliers dans la rue pour manifester leur colère après le drame, les citoyens marseillais ont pris conscience de leur nombre et de la nécessité de s’unir, pour reprendre leur destin en main, dans le domaine du logement, et pas seulement.

Risque de gentrification de Marseille

Signe de cette volonté de reconquête citoyenne, du 21 au 23 juin, se sont tenus les Etats généraux de Marseille. 60 associations et collectifs se sont retrouvés tout un week-end pour discuter et faire naître des doléances par ateliers et groupes de travail. Parmi les principaux thèmes abordés, se trouvait l’habitat, mais aussi les services publics, l’écologie, l’accueil et la solidarité, tout comme la place du citoyen, l’emploi ou le clientélisme.

Dans le domaine du logement en particulier, les associations sont décidées à rester vigilantes. Elles veilleront à ce que les pouvoirs publics respectent la loi et les engagements pris. « Le travail n’est pas terminé », prévient Martin Lefebvre, membre du collectif du 5 novembre . Maintenant, c’est à nous de nous battre chapitre après chapitre pour revendiquer tout ce qui nous revient. »

Beaucoup s’inquiètent aussi du Projet partenarial d’aménagement du centre-ville (PPAC) de Marseille signé début juillet par l’Etat et la Métropole Aix-Marseille Provence. Ce projet prévoit un grand plan d’action contre le logement indigne dans la ville, qui pourrait toucher 6 000 personnes. Fathi Bouaroua, co-président de la communauté Emmaüs de la Pointe Rouge, appelle à la vigilance. Avec ce projet, il craint une gentrification de la ville, « un grignotage par destruction, puis rénovation » des immeubles pourris. « Depuis plus de 70 ans, la politique communale est dirigée contre les plus pauvres, les migrants, les dockers… Le pouvoir rêve que les pauvres s’en aillent ailleurs et que les riches viennent », dénonce ce défenseur historique des causes sociales marseillaises.

Des municipales plus participatives

Marseille, c’est 25 % de la population sous le seuil de pauvreté. 51,3% dans le quartier de la Belle de mai, dans le 3e arrondissement : le plus pauvre du pays. Surtout, Marseille est une ville inégalitaire. Dans une étude de 2018, l’économiste Philippe Langevin décrit une ville « éclatée » où se côtoient plus d’un quart d’habitants sous le seuil de pauvreté et 10 % au seuil de l’impôt sur les grandes fortunes.

Outre le logement, ces inégalités infusent dans bien d’autres domaines, comme les transports en commun. Aucune station de métro, ni ligne de bus directe ne fait le lien entre le centre-ville et les quartiers nord, où vivent 250 000 habitants sur les 800 000 de la ville.

Ces indicateurs expliquent aussi en partie la crise démocratique locale. En 2014, à Marseille, on pointait à 47 % de taux d’abstention, 65 % en moyenne dans les quartiers nord, ce qui « sert la survie du clientélisme », analyse la chercheuse Anaïs Voy-Gillis dans une étude post-élections marseillaises en 2014.

Les municipales qui approchent seront donc l’occasion d’une mobilisation accrue. Lors des États Généraux évoqués, les associations ont décidé de mettre en place des assemblées populaires par quartiers, et des plateformes de débat citoyen, « pour faire émerger des propositions fortes », explique Marie Batoux, autre membre du collectif 5 novembre, avec en tête l’objectif « d‘impliquer davantage les habitants. »

Pour cela, une autre initiative, le Pacte démocratique pour Marseille, a une vocation plus politique et centrée sur les municipales. L’objectif : « rassembler les forces de gauche et citoyennes dans des listes communes ». Mais aussi, explique Fathi Bouaroua, « s’inspirer des démarches de certaines villes comme Barcelone, gérée par ses habitants« . Elue en 2015, la maire Ada Colau, issue du mouvement Barcelone en commun, avait mis en place un système de consultation permanente de la population et de co-construction des politiques publiques. Un fonctionnement que Fathi Bouaroua aimerait voir calqué à Marseille, afin que « chacun, au-delà d’être consulté, soit impliqué dans le processus de décision ». Prochain rendez-vous : le 19 août.

* Collectif du 5-Novembre, Conseil citoyen du 1-6, Marseille en colère, l’assemblée des délogés, la fondation Abbé-Pierre, l’Ampil, Destination famille, la Ligue des droits de l’homme, Un centre-ville pour tous et les Compagnons bâtisseurs.

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