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Contre le chômage de longue durée, 2 communes de l’est parisien testent le dispositif TZCLD

Djamel Chaoui réside aux Quatre-Chemins (à Pantin, en Seine-Saint-Denis) depuis toujours. Né dans le quartier il y a 53 ans, il était au chômage depuis plus d’un an lorsqu’il a été embauché par la nouvelle entreprise à but d’emploi (EBE) implantée dans le quartier, en mai 2023.

Dans une vie antérieure, le Pantinois a arpenté les marchés parisiens et nantais et fait un peu de nettoyage de bureaux. Depuis, il livre des jus au gingembre faits maison à des restaurants et des particuliers. Il est l’un des tous premiers bénéficiaires de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » dans son quartier : « J’ai repris goût au travail », se réjouit le quinquagénaire.

« Une révolution sociale »

Les EBE sont des entreprises à but d’emploi. « Il s’agit d’une forme d’agrément liée à l’expérimentation des Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD)« , explique Catfish Tomei, directeur de l’EBE des Quatre-Chemins. Elles ont été instituées par une loi de 2016 qui définit et offre aux territoires les outils juridiques et financiers pour lutter contre le chômage endémique de longue durée. Les EBE embauchent en CDI et au SMIC des personnes éloignées du marché du travail depuis au moins un an. Leur salaire est subventionné par l’État.

À l’est de Paris, Patrick Bessac, président de l’établissement public territorial Est Ensemble, qui rassemble neuf communes dont Pantin et Bagnolet, a décidé d’initier le projet sur son territoire : « L’expérimentation propose un droit à l’emploi. C’est une révolution sociale dans la manière d’appréhender les situations des chômeurs longue durée », a-t-il déclaré à l’Echo d’Île-de-France. Actuellement, les EBE de Pantin et Bagnolet emploient 22 personnes : 16 à Pantin et 6 à Bagnolet.

« D’autres vont être embauchées dans les semaines à venir », précise Juliette Oliva, cheffe de projet TZCLD à Est Ensemble, satisfaite de ces débuts encourageants. Sophie L’Hostis fait partie des acteurs engagés sur la commune de Bagnolet. L’EBE qu’elle dirige intervient dans plusieurs domaines : « L’essentiel de notre activité est tournée vers l’aide aux personnes âgées, explique-t-elle. Nous gérons aussi une épicerie sociale et solidaire qui propose des denrées alimentaires à petits prix. » L’entreprise a même ouvert un tiers-lieu abritant un café et proposant une aide aux seniors dans leurs démarches administratives.

« Toute personne est employable »

Les TZCLD ont d’abord germé au sein de l’association ATD Quart Monde, rejointe ensuite par d’autres organisations comme le Secours catholique ou Emmaüs, avant qu’une loi ne soit votée à l’unanimité en 2016. Prévu pour être testé sur dix territoires, le dispositif a été étendu en 2020. L’expérimentation concerne aujourd’hui 58 territoires.

« Quand nous avons travaillé sur ce dispositif, notre réflexion reposait sur trois pilliers : toute personne est employable, ce n’est pas le travail manque et l’argent existe, résume Emmanuel Altmayer, responsable du projet Territoires zéro chômeur de longue durée à ATD Quart Monde. L’idée était de dire à l’État que lorsqu’on sort quelqu’un du chômage, il nous verse l’argent que lui coûte un chômeur. Tout le monde est gagnant ! »

1 500 emplois créés

L’autre avantage de ces « Territoires zéro chômeur de longue durée » est leur flexibilité. Comme le rappelle Sophie L’Hostis, « chaque territoire a ses spécificités, ses particularités, ses besoins propres. » À Bagnolet, l’une des dix villes les plus pauvres de France, le trafic de drogue est un problème crucial : « La Capsulerie est l’un des principaux points de deal de la région« , estime la responsable associative. Aux Quatre-Chemins, à Pantin, la pauvreté frôle les 40 %. « Le manque d’information des habitants est aussi un enjeu majeur, complète Catfish Tomei, directeur de l’EBE de Pantin. On compte beaucoup sur nos employés pour créer du lien social. » Dans les territoires ruraux, très représentés parmi les TZCLD, les EBE doivent relever d’autres types de défis, principalement liés au manque d’emplois ou de transport.

À en croire l’ensemble des acteurs du secteur, les dix premiers TZCLD ont rencontré un franc succès. Entre 2016 et 2021, en effet, 1 500 emplois y ont été créés sur des territoires de moins de 10 000 habitants. « Une grande réussite », selon Emmanuel Altmayer, qui rappelle que sur les quinze entreprises à but d’emploi, la moitié ont terminé l’expérimentation à l’équilibre économique. « On a validé nos fondamentaux et démontré que les gens voulaient bosser », poursuit-il. Le dispositif intéresse même au-delà de l’Hexagone : « De nombreux pays européens comme l’Espagne, l’Autriche ou la Suisse, s’inspirent de nos solutions », se félicite Laurent Grandguillaume, rapporteur de la loi. À Rome, deux territoires zéro chômeur sont en préparation.

« Dans le quartier, les gens sont heureux ! »

Malgré un bilan positif, l’aventure des TZCLD doit faire face à deux défis sur la deuxième phase d’expérimentation. À commencer par la réduction des subventions accordées au Fonds d’expérimentation qui finance le dispositif. Par un arrêté publié cet été, le Gouvernement a en effet décidé de diminuer la contribution financière de l’État de 102 % à 95 % du SMIC à compter du 1er octobre. Soit 122 euros de moins pour un temps plein mensuel. « Un signal très négatif, en totale contradiction avec les déclarations de l’exécutif », s’indigne Laurent Grandguillaume, qui rappelle que « le droit à l’emploi est un droit garanti par la Constitution. »

L’autre défi est managérial. Très impliqué dans le projet, Emmanuel Altmayer développe : « On est confronté à un public très éloigné de l’emploi, avec une surreprésentation des personnes handicapées par rapport au marché du travail classique. Il faut un accompagnement très spécifique et donc imaginer un nouveau management, inclusif et participatif. » Pas de quoi doucher l’optimisme de Djamel Chaoui. Aux Quatre-Chemins, le livreur constate déjà les bénéfices de l’EBE : « J’ai découvert une nouvelle manière de travailler. Dans le quartier, en tout cas, les gens sont heureux ! »

Auteur : Matthieu Valletoux

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