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Epona, réparer l’âme en réparant le cuir

🐎 Dès l’entrée de l’atelier-boutique Epona, l’odeur du cuir est saisissante. Puis elle se mélange à celle des écuries de courses de Chantilly (Oise), juste en face, de l’autre côté de la nationale. Un présentoir en forme de tête de cheval arbore un bridon flambant neuf et complet, des rênes jusqu’au mors. Au fond de la pièce principale, Franck trône sur une selle de course, des lanières dans les mains. Artisan au travail mais toujours dans sa posture de jockey de « plat » (course de galop) : « J’ai travaillé plus de 30 ans comme lad-jockey. J’ai même monté en Belgique, à une époque », raconte cet homme de 50 ans, qui a gardé le physique de son ancien métier.

En 2023, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Quinze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour des initiatives dans les territoires. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.

Une cinquantaine de salariés et trois activités

Epona compte 3 pièces de travail, l’atelier cuir, l’atelier textile et la boutique. Crédit : Constance Georgé.
Selle-siège sur laquelle Franck aime travailler. Crédit : Constance Georgé.

🪡 En 2016, Franck y a d’abord appris le métier de sellier-bourrelier. Le matin, il confectionnait des paires de rênes neuves puis, l’après-midi, il était chargé de récupérer et déposer du matériel dans les différentes écuries de course. Depuis un AVC, il se concentre sur la fabrication de matériel neuf dans l’atelier.

✂️ Comme lui, une cinquantaine d’autres salariés se répartissent sur trois activités : la sellerie (réparation et confection de matériel neuf), la couture dans une salle annexe (tapis, couvertures, bonnets d’oreilles…) et la création et l’entretien des espaces verts avec des méthodes écoresponsables. Depuis quelques mois, l’entreprise s’est aussi lancée dans la prestation de services aux collectivités locales et aux écuries. 

L’atelier compte plusieurs postes de travail. Les artisans confectionnent également du matériel neuf. Crédit : Constance Georgé.

Un ADN 100 % hippique pour Epona

Tout est cousu à la main dans l’atelier cuir. Crédit : Constance Georgé.

🩼 « La particularité d’Epona parmi les entreprises adaptées, c’est son ADN 100 % courses hippiques, explique Guillaume Jocabée, directeur de l’entreprise. Nous sommes nés de l’envie de la filière des courses d’assumer la reconversion de ses professionnels en situation de handicap. » Ici, on pratique la « RAE » (reconnaissance des acquis d’expérience), qui permet de présenter les dossiers des salariés pour l’obtention d’un diplôme d’état.

L’atelier textile est équipé de machine à coudre industrielle pour rapiécer de gros articles comme les couvertures ou les tapis. Crédit : Constance Georgé.

👍 « Nous avons à cœur de valoriser les savoir-faire de nos artisans », poursuit le dirigeant. Autre avantage : les entreprises de courses ont la possibilité d’employer ponctuellement les salariés d’Epona et ainsi de remplir au moins partiellement l’obligation pour toutes les entreprises d’employer des travailleurs handicapés.

Un travail sur-mesure

L’un des artisans de l’atelier s’occupe de coudre des bridons (harnachement sur la tête du cheval). Crédit : Constance Georgé.

🧵 Dans l’atelier textile, les petites mains s’affairent derrière leur machine à coudre pour réparer avant la saison hivernale les couvertures complètements déchirées. « Ici, j’en ai une dont l’attache du poitrail est partie en même temps que le tissu abîmé. Je dois prendre une chute et rapiécer le tout », montre l’une des couturières. Comme pour la sellerie, une connaissance aigüe du cheval de course est primordiale. Par exemple, les pur-sang étant plus fragiles qu’un « cheval de selle », les textiles utilisés au quotidien ont la particularité d’être plus épais que pour l’équitation classique. Il arrive aux artisans d’aller prendre des mesures sur un cheval pour lui confectionner le matériel le plus adapté. 

Eric, ancien mécanicien poids lourds, est en charge de la réparation d’arçon des selles. Crédit : Constance Georgé.

🚛 Si la plupart des salariés vient des courses hippiques, Epona accueille aussi des novices. C’est le cas d’Éric, 60 ans, ancien mécanicien poids lourds et actuellement sellier-bourrelier en charge de la réparation des selles : « Pendant ma jeunesse, j’ai vécu un grave accident. Après avoir travaillé 17 ans chez un constructeur automobile, j’ai été licencié à cause de mes problèmes de santé. J’ai obtenu ma reconnaissance de travailleur handicapé et j’ai trouvé Epona. Ils ont vite vu que j’avais beaucoup de patience et un savoir-faire de mécano. Il m’arrive même de réparer nos machines », détaille Éric entre deux coups de marteau sur le poinçon de l’arçon qu’il répare. 

Eric est spécialiste des parties métalliques des pièces à réparer. Crédit : Constance Georgé.

🤓 « L’accompagnement professionnel est important pour nous, confirme Guillaume Jacobée. Certains terminent leur carrière chez nous, d’autres se forment ici avant de trouver un emploi ailleurs. On les y encourage, notamment pour libérer des places. Nous avons eu le cas d’une jeune salariée chez un entraîneur qui, en quittant la profession, a voulu devenir aide-soignante. Avec notre aide, elle vient de commencer une formation d’infirmière.« 

Outil de découpe du cuir. Crédit : Constance Georgé.

🐴 Les compétences des salariés, acquises lors de leur formation chez Epona, sont si reconnues que certains continuent leur chemin dans les grandes maisons de luxe comme Louis Vuitton, Chanel ou encore Hermès : « Ces marques sont friandes de nos artisans car nous les formons sur les matières épaisses, plus typées sellier que maroquinier, précise le responsable d’Epona. Nous sommes ravis quand l’un d’eux fait cinq ans chez nous puis part dans ce secteur car cela signifie que nous l’avons accompagné au mieux jusque dans une réintégration au milieu classique. »

Autrice : Constance Georgé

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