À Bordeaux, une école de l’agriculture du futur dans des tiny houses

En une dizaine d’années seulement, la France a perdu un quart de ses paysans, tandis que les surfaces agricoles ne cessent de diminuer. Face à ce constat, Charles-Édouard Oksenhendler et Sarah du Vinage ont cofondé La Ferme de la Glutamine, une association qui souhaite revaloriser le métier de paysan et relocaliser la production agricole.

Située à Tresses (Gironde), cette ferme est à la fois un incubateur, un coworking agricole et un centre pédagogique. Les objectifs sont multiples : former de jeunes maraîchers à l’agriculture biologique, faciliter leur insertion professionnelle, faire émerger de nouveaux savoirs en agroécologie, rapprocher l’agriculture des villes, sensibiliser le public aux questions d’alimentation et d’environnement…

« Le projet de Charles était déjà très avancé dans sa tête, mais il avait besoin d’être structuré. » C’est ainsi que Sarah, 28 ans, concrétise son désir de « retour à la terre ». Avec ses compétences en communication et gestion de projet, elle aide Charles-Édouard, maraîcher de 38 ans, à faire naître la Ferme de la Glutamine. « Mon objectif n’est pas de devenir agricultrice, c’est d’accompagner ceux qui ont cette vocation mais ne peuvent pas le faire. »

Coworking agricole, mutualisation et open source

Début 2018, les premiers coworkers investiront la ferme pour deux à trois ans d’incubation. Ils seront hébergés sur place dans des tiny houses, ces toutes petites maisons mobiles où chaque mètre carré d’espace est optimisé. Elles seront construites sur le modèle conçu par Nicolas Laveau de My Little Loft, au cours de chantiers participatifs auxquels tous les adhérents de l’association seront conviés.

Pour travailler, chaque agriculteur sera doté de 4 000 m2 de parcelles cultivables et d’une « boite à la ferme ». Dans ce conteneur détourné et réaménagé, ils disposeront d’un espace de stockage pour abriter leurs outils, et d’une petite serre pour démarrer leurs semis.

Les jeunes maraichers mutualiseront les plus gros outils, comme le vélo-tracteur, dont Sarah nous présente le huitième prototype. La Glutamine a participé à sa création avec le collectif Farming Soul, qui se fait selon un modèle open source. Différents modules s’y clipsent en fonction des besoins, et une éolienne permet une assistance électrique pour les travaux difficiles.

Bicitractor. Culticycle from Farming Soul from Farming Soul on Vimeo.

Avec cet incubateur moderne, La Glutamine propose une vraie réponse à la crise qui frappe le monde agricole. Les maraîchers seront sélectionnés sur projet par un comité scientifique. L’association mettra gracieusement à leur disposition les parcelles à cultiver, en échange d’une demi-journée par mois dédiée à faire avancer le projet collectif.

Ils seront accompagnés et formés à l’agriculture biologique, l’initiative ayant été reconnu d’utilité publique et d’intérêt général par la Chambre d’Agriculture de la Gironde. Seul achat obligatoire, le « pack coworking » comportant la tiny house, la boîte à la ferme, une éolienne auto-construite ainsi qu’un vélo-tracteur. Après 24 à 36 mois d’incubation, les paysans profiteront de prêts à taux modiques pour leur installation, négociés pour eux par la Glutamine.

Une vision complète, de la fourche à la fourchette

Sur les 6,5 hectares de la ferme, c’est toute une logique « zéro déchet, zéro gâchis » qui s’appliquera. Les surproductions et invendus seront valorisés par une conserverie partenaire, le Bocal Local. Située à Pompignac, cette association d’intérêt général lutte contre les gaspillages potagers, tout en faisant travailler des personnes éloignées de l’emploi. Les conserves et jus fabriqués viendront agrémenter les paniers des AMAP (Associations de Maintien de l’Agriculture Paysanne) nourries par les maraichers.

La Glutamine abritera aussi un « Ferme-lab ». Son objectif est d’expérimenter des méthodes et techniques qui facilitent le travail du maraîcher sans détériorer l’environnement. Les innovations, validées par le comité scientifique, seront ensuite modélisées, valorisées et partagées, toujours selon un modèle open source.

Enfin, la ferme proposera des formations à la permaculture, l’agroécologie, l’apiculture ou la nutrition. Des animations sont prévues sur place, mais également à la maison Écocitoyenne de Bordeaux ou dans les écoles du département. Entre autres idées qui naissent dans les esprits fertiles de ses créateurs.

L’alimentation, « un bon sujet de sensibilisation »

Grâce à leur association, Charles-Édouard et Sarah entendent promouvoir des modes de production respectueux des écosystèmes, mais aussi rapprocher l’agriculture des villes. « C’est hyper important que les gens voient ce qu’ils mangent » insiste Sarah.

De septembre à début novembre, ils se sont installés sur les quais de Bordeaux avec une tiny house et une boîte à la ferme, pour interpeller institutions et citoyens sur la question de l’autonomie alimentaire des villes. « Il est essentiel d’associer les particuliers à la production alimentaire du territoire : il y a des espaces disponibles comme les friches mais aussi les balcons, les toits… »

Quand on demande à Sarah si de telles cultures ne seraient pas un peu dérisoires face au nombre de bouches à nourrir, elle répond que les enjeux dépassent la seule question de l’autosuffisance. Il y a besoin de rapprocher l’agriculture des villes, également pour minimiser les transports ou l’impact sur les sols, sensibiliser à la préservation de l’environnement… Et justement, l’association la Ferme de la Glutamine compte bien s’y atteler.

Pour les jeunes maraichers intéressés par un coworking agricole près de Bordeaux, le dossier de candidature est en ligne. Toute personne titulaire d’un diplôme certifiant sa Capacité Professionnelle Agricole (CPA) et donc éligible au statut d’agriculteur, peut postuler auprès de La Ferme de la Glutamine, et ce jusqu’au 25 novembre.
 

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