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Et si on redécouvrait les vertus de l’échec ?

Gagner, c’est perdre. Et inversement. Pourtant, entre le succès et l’échec, notre cœur balance le plus souvent en faveur du premier. Pourtant, ne devrait-on pas redécouvrir les vertus de l’échec ? À l’occasion d’une intervention pour Les Napoleons sur la scène du Grand Auditorium du siège de l’Unesco à Paris, le philosophe Charles Pépin est revenu sur la notion de l’échec… et ses bienfaits. Des réflexions qui permettent de donner une nouvelle perspective à son propre parcours. Et d’envisager l’avenir différemment.

Pour Charles Pépin, il ne fait aucun doute que l’échec est intrinsèque à l’expérience humaine. Mieux : l’échec peut même mener au succès. Car, plutôt que se concentrer sur le seul résultat – passer un concours, gagner un appel d’offre, finir en tête d’une compétition sportive… – l’échec nécessite du courage et de la persévérance pour le surmonter. « Au fond, quand on ose, on on ose la possibilité de l’échec. Si on arrive à comprendre que, oser, c’est tout simplement oser l’échec, alors cela change notre regard sur l’échec. Ce n’est plus une humiliation, une stigmatisation. Cela devient une preuve qu’il y a eu de l’audace. Cela permet de mieux le vivre. »

Charles Pépin, le 12 janvier 2024, lors du sommet Les Napoleons au siège de l’Unesco. Crédit : Florence Santrot / WE DEMAIN.

« Les grands succès doivent beaucoup aux échecs passés »

Si chacun de nous rédige la frise chronologique de sa vie, on s’aperçoit que celle-ci n’est absolument linéaire. « Une vie humaine, c’est toujours une succession d’échecs et de succès, explique le philosophe. Et si on y regarde de plus près, on réalise généralement que les grands succès doivent beaucoup aux échecs passés qu’aux succès passés. » Contrairement aux humains, un animal ne sera pas vraiment jalonné de grands succès ou d’échecs car il agit purement par instinct.

« Si vous comparez un poulain avec un bébé humain, le premier va naître, se déployer et déplier ses pattes. Puis il met 20 minutes à 1 heures à apprendre à marcher. Un bébé humain, au contraire, aura besoin bien souvent de 12 mois, voire 18, avant de savoir marcher. Pour y parvenir, il va tomber – échouer – en moyenne 2 000 fois avant de réussir à faire ce que le poulain fait d’instinct à la naissance. Autrement dit, nous sommes des animaux ratés. Et c’est parce que nous sommes des animaux ratés que nous sommes des humains si réussis », souligne Charles Pépin.

« Nous sommes des animaux ratés. Et c’est parce que nous sommes des animaux ratés que nous sommes des humains si réussis. »

Charles Pépin, philosophe.

L’apprentissage par l’échec, encore et encore

C’est parce que l’être humain ne sait pas faire les choses d’instinct qu’il doit se tourner vers les autres de son espèce pour apprendre. C’est ainsi que nous allons nous tourner vers nos parents, vers l’école, vers la culture, vers la tradition, vers les livres… on apprend par essai et rectification, par tâtonnement progressif. « On a l’habitude de dire ‘l’erreur est humaine’ mais on ne comprend pas vraiment ce proverbe. Souvent, cela sous-entend qu’on fait souvent des erreurs. Ce n’est pas grave, il faut avoir de l’empathie… Mais ça veut pas du tout dire ça. Ça veut dire que l’erreur est la façon normale d’apprendre chez l’animal humain qui n’a pas réellement d’instinct. »

Et puis il importe aussi de connaître la suite du proverbe : « L’erreur est humaine, mais la répéter est diabolique. » Charles Pépin déclare : « Cela signifie qu’on peut échouer plusieurs fois mais qu’il ne faut pas répéter exactement le même échec à chaque. Répéter l’échec à l’identique, c’est tragique. Il faut analyser, rectifier… ce n’est que comme cela que l’on progresse. C’est l’écrivain irlandais Samuel Beckett qui a écrit ‘Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.‘ Rater mieux, quelle belle idée ! Je rate de mieux en mieux et, in fine, je gagnerai car je suis un chemin de progrès. »

La première vertu de l’échec, c’est la persévérance et de l’enseignement

On n’apprend jamais mieux que de ses échecs. « Le succès fait plaisir, nous récompense. Mais, si vous regardez votre passé, vous vous apercevrez sans doute que vos plus grandes leçons dans la vie viennent de vos échecs. Souvent, on ne sait pas exactement pourquoi on gagne. En revanche, un échec, on va l’analyser, on essayer de comprendre le pourquoi du comment… et en retirer un apprentissage très utile pour la suite. » Et cela est vrai aussi bien si nos échecs mènent un jour à un succès que si l’obstacle ne peut pas être surmonté.

« Charles Darwin est devenu scientifique parce qu’il était nul en littérature. Gainsbourg, parce qu’il échoue comme peintre, il devient chanteur. L’échec peut aussi inciter à prendre un autre chemin d’existence. L’échec nous apprend la persévérance mais peut aussi nous apprendre l’hybridation. Il nous permet parfois de comprendre qu’il faut faire autre chose, qu’il faut faire autrement. » Persévérer toujours dans la même voie n’est donc pas toujours la solution. Mais il est difficile de savoir quand ou comment il sera plus bénéfique pour nous bifurquer. Comment savoir quand il faut insister ou abandonner ? « Cette question, elle est très dure, reconnaît le philosophe. Mais ce que je sais c’est qu’on a parfois besoin de la violence de l’échec pour se réveiller et découvrir son talent, son désir. »

« On a parfois besoin de la violence de l’échec pour se réveiller et découvrir son talent, son désir. »

Charles Pépin, philosophe.

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