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Nisreen Elsaim : « Il faut cesser le ‘young washing’ et amener les chefs d’État à vraiment nous écouter »

À 27 ans, cette jeune Soudanaise parle avec les plus grands. Et notamment António Guterres, le Secrétaire général de l’ONU. Il faut dire que Nisreen Elsaim préside, depuis août 2020, le Groupe consultatif de la jeunesse sur le changement climatique de l’ONU. Cette aînée de sept enfants, que rien ne prédestinait à cette trajectoire, s’est passionnée pour le dérèglement climatique depuis ses 16 ans, en 2012.

Titulaire d’une licence en physique et d’un master en énergie renouvelable de l’Université de Khartoum, elle sait de quoi elle parle et a particulièrement observé les ravages du dérèglement climatique dans son pays d’origine. Le Soudan est en effet classé comme l’un des pays les plus vulnérables en la matière (sécheresse accrue, fortes précipitations soudaines, pollution, épidémies, insécurité alimentaire, etc.). À l’occasion du Forum mondial 3Zéro, WE DEMAIN a pu échanger avec elle.

Comment et pourquoi êtes-vous devenue activiste ?

Nisreen Elsaim : La vérité, c’est parce que je m’embêtais à l’école ! Au cours de mes études scientifiques, j’ai réalisé les effets délétères du dérèglement climatique et j’ai commencé à militer dans différentes organisations qui œuvrent sur les questions de climat et de sécurité en Afrique. J’ai notamment intégré le Youth Environment Sudan (YES), une ONG qui regroupe plus de 1000 associations environnementales au Soudan et dont j’ai pris la coordination. Mais j’ai bien vite compris qu’il ne suffisait pas de tirer la sonnette d’alarme et que mes études scientifiques ne m’aideraient pas suffisamment pour faire avancer les choses.

Il fallait aussi agir sur le plan politique, une nécessité au Soudan où les tensions politiques sont fortes. Je me suis donc impliquée dans des mouvements qui mixaient écologie et politique. J’ai intégré la Conférence Africaine de la Jeunesse (COY Afrique) et l’Alliance Panafricaine pour la justice climatique. Et puis, en 2019, j’ai été désignée parmi les 30 envoyés spéciaux pour la jeunesse de l’ONU avant d’être nommée par le Secrétaire général de l’ONU comme Présidente du Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques.

Vous avez le sentiment qu’António Guterres vous écoute vraiment ?

Absolument, nous faisons un point avec lui chaque trimestre. Sur les nouvelles initiatives mises en place, ce qui s’est bien passé, ce qui est plus compliqué… Il est vraiment intéressé et à l’écoute. Et il est d’accord avec nos recommandations. La difficulté, c’est au niveau de l’étape suivante, quand les États membres de l’ONU doivent se mettre sur les actions à mettre en oeuvre. C’est souvent là que cela bloque.

Comment crée-t-on de jeunes leaders pour le climat ?

Nous sommes jeunes mais professionnels, avec nos connaissances et nos expériences. Au sein du Groupe consultatif de la jeunesse sur les changements climatiques, nous rencontrons António Guterres quatre fois par an. Et il nous écoute. Chaque jour, les jeunes prouvent qu’ils s’intéressent au changement climatique mais que cette question ne doit pas être traitée seule. Il y a un vrai lien entre le changement climatique et les droits de l’Homme. Pour moi, ça a toujours été intimement lié mais aujourd’hui, les gens en prennent conscience. Cela a toujours été vrai mais cela l’est encore plus en temps de guerre. Car cela génère des pollutions, des crises alimentaires, etc. On le voit clairement en Europe avec la guerre en Ukraine mais c’est quelque chose que nous connaissons depuis bien longtemps au Soudan.

Les jeunes ont conscience de tout cela mais pour qu’ils s’approprient les sujets et qu’ils prennent la parole pour influer sur le cours des choses, il faut aussi que le monde entier prenne conscience d’une chose : les jeunes ne méritent pas seulement une place à la table des discussions et des réflexions aux côtés des chefs d’État et leaders. Les jeunes sont nécessaires à cette table. Sans eux, rien ne pourra se faire. Avec eux, le changement se fera plus rapidement.

Aujourd’hui, quels sont les principaux obstacles que vous – et les autres jeunes – rencontrez dans votre mission ?

Vous voulez dire, en dehors de ma difficulté à obtenir des visas ?! Mon passeport soudanais n’est pas le plus grand facilitateur dans mon travail… (rire) Mais, plus sérieusement, notre plus gros obstacle est l’absence de soutien financier. Quand on va demander des aides pour développement des projets, les jeunes se voient souvent reprocher un manque d’expérience, un manque de responsabilité dans des organisations, une absence de comptabilité fiable, etc. Mais comment peut-on avoir accès à un comptable quand on est une petite association sans financement ? C’est l’histoire de l’œuf et de la poule et c’est un cercle vicieux qui rend très difficile le développement de projets par la jeunesse.

Le deuxième principal obstacle est le « young washing ». On parle beaucoup de la jeunesse mais, bien souvent, cela n’est qu’une apparence. Les choses ne changent pas assez en profondeur. Les marques, les entreprises, les États… créent des sites pour la jeunesse, l’inclusivité, l’égalité des chances, l’écologie… mais quand on regarde les actions concrètes derrière, cela reste souvent très superficiel. Un exemple concret : notre Groupe de la jeunesse sur le changement climatique a demandé à participer à une réunion lors de l’Assemblée générale de l’ONU pour pouvoir échanger directement avec les chefs des États membres. Nous avons reçu une fin de non recevoir sous des prétextes fallacieux (question de sécurité, d’agenda trop chargé…). Il faut que ces gens comprennent qu’ils ont besoin de nous, de nos idées… Et que nous sommes là pour aider.

Quel conseil donneriez-vous à des jeunes qui veulent s’impliquer pour un monde plus durable ?

Les actions individuelles sont importantes. Les actions de groupe aussi. Un proverbe africain dit « Si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble. » Hélas aujourd’hui, il faut marcher vite ET loin. Alors les initiatives individuelles et de groupes sont les bienvenues. Prenons l’exemple de l’Afrique. Ce continent n’est responsable que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Donc, actuellement, nous sommes neutres en carbone pour ainsi dire. Mais ce qui se passe ailleurs dans le monde, notamment dans les pays industrialisés, a un impact négatif sur notre quotidien en raison du réchauffement climatique dont nous souffrons durement.

C’est pour cela que les actions individuelles sont importantes mais nous ne devons aussi agir en groupes, globalement. Si, toute seule, moi Nisreen Elsaim, je plante une centaine d’arbres, c’est bien. Mais au niveau de la planète, on a besoin de beaucoup plus que cela. Et ce n’est qu’en s’organisant tous ensemble qu’on pourra s’en sortir et combattre le dérèglement climatique. Tous nos petits gestes du quotidien sont importants mais ce n’est pas suffisant. Nous avons aussi besoin des grandes initiatives prises au niveau des ONG internationales et des grandes décisions que doivent prendre les États.

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