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Je vous écris du Mindlab de Wellington, où les enseignants repartent à l’école

RÉCIT. Marion Bedat, co-fondatrice du projet Bascule.

Le 28/11/2017 par WeDemain
(Crédit : Marion Bedat)
(Crédit : Marion Bedat)

Ako est un joli mot n’est-ce pas ? C’est surtout un très beau concept maori qui signifie à la fois enseigner et apprendre. Loin d’être descendant ou encore unilatéral, l’apprentissage est ainsi perçu comme un acte éminemment réciproque dans lequel enseignant et apprenant progressent ensemble.
 
Grâce au Mindlab, ce n’est plus seulement un concept mais une réalité pour déjà plus de 4 000 enseignants qui ont repris le chemin de l’école en Nouvelle-Zélande. Laissez-moi vous raconter le récit d’une école d’un nouveau genre qui ambitionne de former les professeurs du 21ème siècle !

Rochelle et Dave m’ont raconté la réussite fulgurante du Mindlab 

Rochelle Thorn et David Parson ont tous deux été professeurs dans une vie antérieure ; l’une dans l’enseignement secondaire, l’autre à l’université. Aujourd’hui, ils sillonnent la Nouvelle-Zélande avec le Mindlab. Entre deux sessions de formation, j’ai réussi à capter leurs intuitions et retours d’expérience.
 

« Le Mindlab est une aventure née d’un besoin et d’une envie exprimés par les enseignants sur le terrain. Nous avons grandi, si vite, en répondant à la demande des enseignants, parents, grands parents… ».

Une innovation portée par le terrain

Rochelle qui pilote le Mindlab de Wellington (capitale de la Nouvelle-Zélande) n’en revient toujours pas du chemin parcouru en à peine 3 ans… Tout a commencé en 2013 lorsque le premier espace Mindlab est créé à Auckland pour initier les enfants aux nouvelles technologies mais aussi et surtout à de nouveaux modes d’expression plus agiles et collaboratifs.
 
Si le jeune public a évidemment  apprécié l’expérience, les adultes ont manifesté un intérêt des plus inattendus. Et les enseignants en tête ! Eux aussi souhaitaient apprendre et être formés pour pouvoir partager ces nouvelles compétences avec leurs élèves.
 

« C’est bien l’implication des élèves dans leur propre apprentissage qui compte. Il s’agit de pousser les enseignants à recontextualiser l’apprentissage, à l’ancrer dans le monde réel. Les enseignants doivent donc eux-mêmes être connectés à ce monde en constante transformation », raconte Rochelle.

 
C’est alors que le programme post-graduate Mindlab est lancé en 2014, et que des espaces dédiés fleurissent sur l’archipel. Dave, directeur du programme qui entend bien aller encore plus loin, m’a partagé la clé du succès : initier le changement et non l’imposer pour donner envie aux enseignants de tenter l’expérience.
 
Le Mindlab se développe donc géographiquement en réponse à une demande grâce à sa plateforme de crowdsourcing :  wheretonext. Lorsqu’une ville ou une région collecte 40 candidatures d’enseignants au programme, le Mindlab s’exporte pour lancer une promotion !

8 mois pour changer les habitudes

Pendant 32 semaines, les enseignants alternent sessions collaboratives, recherche et publication académiques, tutoriels en ligne… Dans l’optique de changer la culture et les pratiques dans les classes !

Peu de théorie, beaucoup de conversation. Et surtout, de la remise en question pour passer d’un enseignant qui transmet un savoir à un enseignant qui crée les conditions favorables à l’apprentissage. Et mine de rien, ça change tout !
 

« L’impact le plus fort du Mindlab reste le mindset (état d’esprit). Et ce n’est pas vrai, on ne change pas un mindset en quelques heures, ou même quelques jours. C’est un processus d’apprentissage critique et de réflexivité qui prend du temps. »

 
Le jour où j’ai observé les enseignants parler leadership et impression 3D
Nous sommes mercredi 16h, je rentre en classe avec une promotion de 10 enseignants du Mindlab de Wellington. Certains ont sans aucun doute déjà des années d’expérience, d’autres viennent tout juste de lancer leur carrière.
 
Tous se retrouvent pourtant pour entrer ensemble dans le 21ème siècle ! La formule semble un peu exagérée, pourtant certains disent avoir besoin de rattraper un certain retard.
 

« Je ne veux pas être une barrière pour mes étudiants, je veux vivre dans le même monde qu’eux, et les préparer au mieux à s’y développer. »

Le digital comme cheval de Troie

Evidemment, la technologie apparaît comme un besoin criant. Pourtant, à ma grande surprise, la séance s’ouvre sur un sujet bien plus humain que technologique : le leadership. 

Rochelle donne le ton, et j’écoute les enseignants tour à tour énoncer leur propre définition d’un leader et embrayer sur le partage d’expériences, tant réussies que ratées ! Le débat est lancé. Les histoires fusent. La métamorphose serait-elle en train d’opérer ?
 
En deuxième partie de session, c’est d’impression 3D dont il est question. Avant de se former concrètement aux outils, le groupe conclut sur la vertu pédagogique des outils de modélisation pour appréhender l’espace. Ils s’accordent toutefois sur la tentation de production de gadgets, qui entre alors en contradiction avec l’effort de sensibilisation à la protection de l’environnement.
 

« Ce n’est pas parce que l’on a une imprimante 3D dans sa classe que l’on doit se sentir obligés d’imprimer des porte-clés en plastique qui ne servent à rien ! »

Quand le pair à pair prend tout son sens

Au moment de la pratique, Nick qui est bien plus à l’aise avec le logiciel que Liz, vient l’aider à prendre l’outil en main. Ensemble elles créent sans aucun doute l’animal le plus bizarre du monde, en 3D !
 
Et je comprends alors que c’est ça le Mindlab : faire vivre aux enseignants l’expérience qu’ils vont faire vivre aux élèves. Une expérience collaborative, une expérience d’exploration, où l’on apprend à apprendre ensemble. Sans jamais prétendre, ni même vouloir tout savoir.
 
Gareth m’a raconté ce que c’est d’être un jeune prof dans un monde qui bouge vite
Gareth Haddon est sans conteste une superstar parmi les profs en Nouvelle-Zélande. Après seulement trois années d’enseignement sur le terrain, il a raflé en 2016 le trophée du Professeur Expert de l’année.
 
Il faut dire qu’il enseigne déjà trois disciplines à l’Aorere College, établissement riche d’une forte diversité culturelle dans le Sud d’Auckland : géographie, sciences sociales et robotique. Il incarne donc la pluridisciplinarité et crée des passerelles entre les enseignements. Et ce n’est pas tout !

Prendre confiance pour oser

Ceux qui l’ont vu à l’œuvre m’ont parlé de Gareth comme d’un jeune dynamique mais aussi et surtout capable de réflexivité. Selon lui, c’est bien son passage au Mindlab qui a transformé la perception de son rôle en tant que professeur.
 

« Avant je me pliais à l’autorité de l’expérience alors que maintenant j’ose dire qu’il y a peut être une meilleure façon de faire les choses, et être force de proposition », explique-t-il.

 
Et aujourd’hui, il contribue activement à l’expérimentation d’un cursus digital pour les élèves d’Aorere. Qu’est-ce que cela veut dire ? Non, certainement pas juste manipuler les nouvelles technologies mais les utiliser à bon escient pour résoudre des problèmes complexes. Je suis enthousiasmée d’entendre Gareth prononcer les mots design thinking, collaboration, mode projet ou encore leadership pour décrire son approche. 

Changer d’ère

Pour aller plus loin, Aorere College a décidé d’imposer à tous ses élèves d’être équipés d’un Chromebook (sorte d’ordinateur portable) pour venir en classe. Tous ces appareils électroniques étaient pourtant interdits comme partout ailleurs il y a à peine quelques années. Ma question concerne sans surprise l’accessibilité financière, à laquelle Gareth me répond sans tabou :
 

« Et dans la société d’aujourd’hui comment s’en sortiront-ils sans cet outil et cette connexion indispensables ? »

 
Et de préciser que des aides sont évidemment prévues pour les familles en difficulté. Je sens que Gareth est fier d’embarquer ses élèves avec lui dans l’appréhension des grands changements portés par la technologie.

Pour ma part, je ressors de ces rencontres avec le Mindlab scotchée par le pas de géant qui est en ce moment franchi par les enseignants en Nouvelle-Zélande. Et vous ? 
 

Marion Bedat
Bascule est une plateforme de réflexion et d’expérimentation en tous genres autour de l’éducation. Co-fondatrice du projet, Marion Bedat est littéralement partie à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande Aotearoa, pour s’inspirer de pratiques innovantes. Elle nous présente ceux qui font l’éducation sur ces deux îles verdoyantes.
 
Twitter : @bascule_atelier
Site internet : en cours de développement

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